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NOTICE

SUR UN
UN LIVRE A PEINTURES

EXÉCUTÉ EN 1250

DANS L'ABBAYE DE SAINT-DENIS.

Lettre à Monsieur le duc de La Trémoille.

Bibliothèque Nationale, 25 août 1877.

Monsieur le duc,

Vous vous êtes cru l'obligé de la Bibliothèque Nationale, et, en souvenir d'un acte de courtoisie, qui n'était au fond qu'un acte de justice, vous avez tenu à vous placer parmi les bienfaiteurs du Département des manuscrits. Comme vous m'avez laissé l'honneur de choisir les articles dont votre libéralité voulait enrichir notre dépôt national, c'est à vous que je dois compte de la mission que vous avez bien voulu me confier, et que j'ai acceptée avec l'agrément de M. Waddington, alors ministre de l'instruction publique. Je viens donc aujourd'hui vous faire connaître un précieux manuscrit, que j'ai acquis en votre nom le 20 août dernier, et qui dès maintenant figure sur nos registres comme donné par vous à la Bibliothèque Nationale.

La présence de ce volume chez un marchand d'antiquités de Toulouse m'avait été récemment signalée par M. Molinier, archiviste-paléographe, que M. le ministre de l'instruction publique avait envoyé dans cette ville, pour y rédiger le catalogue des manuscrits de la bibliothèque municipale. Les notes de M. Molinier m'avaient fait concevoir l'espérance que c'était un livre digne d'être offert en votre nom à la Bibliothèque Nationale. Je

ne me trompais pas, et je n'eus pas plus tôt vu le manuscrit que je résolus de l'acquérir. Grâce à votre générosité, je ne tardai pas à m'entendre avec le marchand; le manuscrit me fut livré; immédiatement je le déposai de votre part à la Bibliothèque Nationale.

Ce volume, qui se compose de 67 feuillets de parchemin, hauts de 315 millimètres et larges de 228, se présente, au premier abord, dans un assez triste état de conservation. Le fol. 8 a été mutilé; un feuillet tout entier a disparu entre les feuillets qui sont aujourd'hui numérotés 58 et 59. Des doigts barbares ont souillé plusieurs des miniatures, et la reliure, qui datait de la fin du xve siècle, tombe en lambeaux. Mais il sera aisé de cicatriser quelques-unes de ces plaies, et le volume fera très-bonne figure quand les feuillets en seront consolidés et qu'il sera couvert de maroquin.

Quoique le manuscrit soit parfaitement homogène et qu'il ait été exécuté d'un seul jet, on peut y distinguer trois parties.

La première (fol. 1-28) est une vie de saint Denis et une histoire des origines du monastère de Saint-Denis, en prose française. En voici les premières et les dernières lignes :

INCIPIT VITA BEATorum martyrum DyONISII, RUSTICI et Eleutherii. Apres la precieuse mort que nostre sires Jhesu Criz, verais dex et verais hoem, vout soffrir en la veraie croiz por le salu du munde, et apres sa resurrection et sa glorieuse ascensión es sainz cieux, où il siet à la destre son pere, la doctrine et li preeschemenz des apostres s'espandi et s'estendi par totes terres et parvint à totes manieres de genz. Dont il avint que la foiz Jhesu Criz crut et monteplia, en tele maniere que li pluseur qui avaient esté deciple furent mestre et pastor de verité, qui estoient si embrasé de l'amor dam le Dieu que, [por] le desirrier d'estreper les errors et les mescrandises des cuers des genz, s'abandonoient volentiers à torment et à martyre.....

.....Et por l'ennor et la memoire du pretiex martyr mon seingnor saint Dyonise et de ses bons compaignons fist cele eglise apeler as sainz martyrs en l'escole de Grix. Et li servises et l'ennor qui ileques est fez à l'essaucement des gloriex martyrs radunde et repere à la gloire et à l'essaucement nostre seingnor Jhesu Crist, qui aveques les hommes deingna nestre verais hom de la benaaite virge Marie, et parmaint verais Dex aveques son gloriex pere et le saint esperit, qui

par sa grace et sa haute franchise nos doint en cest siecle pardoner nos pechiez et doner sa grace, et en l'autre siecle nos voille parmener à gloire pardurable. Amen.

Anno milleno, sed quarta parte retracta,
Quatuor exceptis sunt hec miracula facta.
Junius hoc habet ac Augusti quinta kalenda,
Annua quod facta memoratio sit recolenda.

La deuxième partie du manuscrit (fol. 29-58) se compose de trente tableaux représentant la vie de saint Denis et les origines du monastère qui lui fut consacré. Chacun des tableaux est haut de 19 centimètres et large de 12. La plupart sont divisés en deux, trois ou quatre compartiments, suivant que les scènes représentées sont plus ou moins compliquées. Le sujet de chaque scène est indiqué par des vers latins, qui sont tracés alternativement en rouge et en bleu. J'ajoute à la fin de ma lettre une copie de ces vers, d'après lesquels on pourra se former une idée de la versification des moines de Saint-Denis, au xure siècle. Ces légendes en vers sont, à vrai dire, la table des sujets représentés sur les trente pages peintes du manuscrit.

L'exécution des miniatures est d'apparence assez grossière; cependant, l'artiste, avec des moyens très-bornés, a parfaitement réussi à faire comprendre sa pensée; il a donné à toutes ses compositions cette simplicité de lignes et cet éclat de couleurs qu'on admire dans les vitraux du XIIe siècle. Il ne s'est jamais servi d'or. Le fond des tableaux est alternativement bleu et rouge tirant sur un brun clair. Une circonstance matérielle qui prouve quelle importance on attachait à cette suite de peintures, c'est qu'elles ont été exécutées sur de belles feuilles de parchemin, dont un seul côté a été employé. La disposition que l'artiste a adoptée laisse toujours voir d'un même coup d'œil deux pages peintes, auxquelles succèdent deux pages blanches.

La troisième partie (fol. 59-67), principalement affectée à des morceaux liturgiques, est incomplète de son premier feuillet. Elle comprend les pièces suivantes :

Fol. 59. De penitentia sancti Salomonis regis. Jheronimus in XVII libro super Ezechielem, de extrema visione ejus... >>

Fol. 59 vo. Note sur les trois Maries. « Ex tribus textibus IIIIor evangeliorum et epistola Jheronimi... »

Fol. 59 vo. Note sur la condition des pécheurs pénitents qui meurent

sans avoir le temps de recourir au prêtre : « Solet queri si quis dolens et penitens... »

Fol. 60. Note sur les six âges du monde. « Prima etas fuit ab Adam.... VI. M.C.XXXI.

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....

>>

Fol. 60. Note. française sur le jeûne du vendredi: «< Ci orrez por quoi nos devons plus jeuner au vendredi que aus autres jors de la semeine... »

Fol. 60 vo. Petit office de la sainte Vierge.

Fol. 61 vo. Petit office de saint Denis.

Fol. 63. Commémorations diverses, savoir de la Trinité (fol. 63), de la Croix (fol. 63 vo), de la Vierge (fol. 64), de saint Denis (fol. 64 vo), des Anges (fol. 64 vo), de saint Jean Baptiste (fol. 64 vo), des apôtres (fol. 65), des martyrs reposant dans l'église (fol. 65), des martyrs en général (fol. 65 vo), des confesseurs reposant dans l'église (fol. 65 vo), de saint Benoit (fol. 65 v°), des confesseurs (fol. 66), des vierges (fol. 66), des saints reposant dans l'église (fol. 66).

Fol. 66 vo. Vêpres et laudes de tous les saints.

Le contenu du volume qui vient d'être décrit indique surabondamment qu'il a été fait en l'honneur de saint Denis; mais il y a moyen de déterminer rigoureusement pour quelle église il a été exécuté.

Sur le fol. 65, au recto et au verso, nous trouvons ces deux rubriques : De sanctis martyribus quorum corpora hic sunt, et De sanctis confessoribus hic quiescentibus. Sous la première rubrique figurent : « Eugenius, Peregrinus, Firminus, Patroclus, Cucuphas, Ypolitus, Eustachius, Mauricius, Innocentius, » et sous la seconde : « Hylarius, Hylarus, Romanus. » Le problème à résoudre se pose donc dans les termes suivants : « Quelle église de France possédait les reliques des douze saints ci-dessus énumérés ? » Il est facile de montrer que l'abbaye de Saint-Denis les avait recueillies et les honorait, au XIIe siècle, d'un culte tout particulier. Prenons successivement chacun des douze noms.

1. Eugenius. Saint Eugène, évêque de Tolède, souffrit le martyre à Deuil; son corps, recueilli dans l'église de ce village, fut transféré dans la basilique de Saint-Denis, sous le règne de Louis-le-Débonnaire; les circonstances miraculeuses qui déterminèrent cette translation ont été consignées dans la compilation

que Gilles de Pontoise offrit en 1317 à Philippe le Long1, et dont je copie quelques passages à la fin de cette lettre, pour montrer quelles étaient, au commencement du xiv° siècle, les traditions des religieux de Saint-Denis sur l'origine des corps saints qu'ils se glorifiaient de posséder. Un autel de la basilique était consacré à saint Eugène, et l'inscription commémorative de la dédicace fait partie d'un petit recueil dont la Bibliothèque Nationale possède une copie du milieu du xe siècle. Je reproduis un peu plus loin ce recueil, comme l'un des documents les plus importants pour l'histoire du culte rendu aux saints dans l'abbaye de SaintDenis; on pourra s'en servir pour contrôler et rectifier le texte de six inscriptions que Félibien a publiées, et qui, au xvnre siècle, se voyaient attachées aux murailles de quelques chapelles du chevet de l'église 3.

2. Peregrinus. La compilation de Gilles de Pontoise + nous apprend comment l'abbaye de Saint-Denis s'enrichit du corps de saint Pélerin, premier évêque d'Auxerre. On lui avait consacré la seconde chapelle du chevet de l'église, où une inscription métrique, qui a été retrouvée de nos jours, contenait ce vers : Altisiodoricus presul jacet hic Peregrinus".

Cette chapelle avait été dédiée par Yves, évêque de SaintPol-de-Léon ".

1. Chapitre CXIII de la troisième partie, publié à l'Appendice.

2. Le ms. latin 976, d'où j'ai tiré cette pièce, est un Ordre des offices, à l'usage de l'abbaye de Saint-Denis, qui a dû être écrit peu après la mort de l'abbé Guillaume de Macouris, arrivée le 4 mars 1254 (n. st.). La mention de l'anniversaire de cet abbé est la note la plus récente que le copiste ait insérée dans le calendrier de ce ms.

3. Félibien, Histoire de l'abbaye de S.-Denis, p. 535. Les mots « attachées aux murailles », dont se sert Félibien, me font croire que ces inscriptions étaient des écriteaux sur parchemin. L'abbé Lebeuf (Mém. concernant l'hist. d'Auxerre, éd. Quantin, I, 7), citant l'inscription de l'autel de saint Pélerin, dit formellement qu'elle était sur parchemin. Ces écriteaux étaient sans doute postérieurs au xe siècle, et le texte n'en devait pas être pur de toute altération. 4. Chapitre LI de la troisième partie, publié à l'Appendice. landistes, mai, III, 559 (éd. Palmé).

Voyez les Bol

5. De Guilhermy, Inscriptions de la France, II, 125. 6. Consecrationes altarium, 6; à l'Appendice. Le texte publié par Félibien rapporte cette consécration à l'année 1230. Si cette date était admise, il faudrait ajouter un Yves, second du nom, sur la liste des évêques de Saint-Pol, publiée dans le Gallia christiana, XIV, 977. Mais la version fournie par le ns. 976 est dépourvue de date et mérite peut-être plus de confiance.

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