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INTRODUCTION

Avant d'entrer en matière, il me paraît utile de définir brièvement les mots dont se compose mon titre.

Par homme de lettres, j'entends un écrivain qui vit de sa plume, qui peut, par ses ouvrages seuls, obtenir l'indépendance, et, s'il la mérite, la considération.

Par public, j'entends, moins les spectateurs du théâtre, que l'ensemble des gens éclairés qui s'intéressent aux diverses productions de la littérature, qui lisent et qui achètent les livres.

Tant que, dans une nation, ce public n'existe pas, tant que l'instruction reste le privilège d'une élite restreinte, tant que le goût et l'habitude de la lecture ne se sont pas répandus dans une portion notable de la société, il est clair que les écrivains ne peuvent trouver dans la vente de leurs ouvrages que des ressources incertaines et insuffisantes, et qu'ils ne peuvent être, au sens que je viens d'indiquer, des hommes de lettres.

C'est donc l'établissement graduel d'un public éclairé et curieux qui est le point de départ de ce travail.

Comment ce public s'est-il formé? Par quels degrés, par quelle marche s'est-il constitué? Quelle a été dans sa formation la part d'action des événements, quelle a été la part des hommes?

Et, en même temps, quelle influence son développement a-t-il exercée sur les écrivains? Quel effet son existence a-t-elle eu sur leur situation dans la société?

Telles sont les questions auxquelles j'ai tenté de répondre : il m'a semblé que, dans un pays comme l'Angleterre, et dans

une littérature comme la littérature anglaise, elles méritaient d'arrêter quelque temps l'attention.

A vrai dire, la matière d'une pareille étude commence avec les premières manifestations littéraires d'un peuple, et j'aurais pu remonter presque aux origines de la littérature anglaise. J'ai mieux aimé me renfermer dans des limites plus modestes, et partir de l'avènement de Charles II en 1660. Du reste, plusieurs motifs conseillaient le choix de cette date. En effet, c'est avec Charles II que s'ouvre ce qu'on peut considérer comme la période moderne de la littérature anglaise : les documents deviennent alors plus nombreux et plus certains, les faits plus nets et plus précis. C'est alors surtout que le spectacle de la vie littéraire commence à offrir un intérêt particulier le public entre en scène; sous les règnes suivants nous le voyons peu à peu prendre corps et se développer; — nous voyons en même temps les écrivains, à travers des épreuves et des péripéties diverses, s'élever et prendre rang.

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Je me suis arrêté à la mort de Pope en 1744, parce que, avec Pope, nous arrivons au dénoùment avec lui le public est fondé; le métier d'écrivain est devenu une profession libérale; les hommes de lettres ont conquis dans la société la place qu'ils y occupent aujourd'hui.

D'ailleurs, même ainsi restreint, le champ d'étude restait assez vaste, puisqu'il embrasse, sous des aspects différents, presque un siècle entier de l'histoire de la société et des lettres anglaises; et ma bibliographie indique assez à quelles recherches j'ai été conduit.

Je tiens à dire combien, dans ces recherches, j'ai été aidé par les fonctionnaires du British Museum. Dans les nombreuses et longues visites que j'ai faites à l'admirable bibliothèque qu'ils dirigent, j'ai trouvé auprès d'eux un empressement et une bonne grâce de tous les instants. C'est pour moi un agréable devoir de leur exprimer ici mes remerciements sincères.

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I. La Restauration de 1660: Le roi Charles II, la Cour. puritaine. Le jeu, le vin, la galanterie, le dévergondage. La religion; la morale. II. Les arts, la littérature: Les chansons, etc., les satires, le roman. III. Espérances des écrivains après la Restauration. Déceptions. teurs amis de la Cour: Cowley, Butler. Auteurs opposés à la Cour : Bunyan, Milton. Les écrivains qui réussissent à vivre de leur plume font du théâtre : Dryden, Otway, Shadwell, Lee, Crown, Mrs. Behn, Settle, D'Urfey, Ravenscroft.

Au

IV. Ce que fut le théâtre : Actrices, mise en scène; opéras dramatiques. La tragédie: pièces héroïques. La comédie.

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V. Difficulté pour les auteurs dramatiques de satisfaire les spectateurs. Nombre restreint des spectateurs; obligation de donner sans cesse du nouveau : collaboration et adaptation.-Frivolité des spectateurs: Prologues et Epilogues.

VI. Prétentions littéraires des courtisans. - Nécessité pour les auteurs de se les rendre propices: Dédicaces. Accidents Dryden et Sir Robert Howard, le duc de Newcastle, le duc de Buckingham, Rochester. VII. Profits des écrivains Produits du théâtre, vente de leurs œuvres aux libraires, cadeaux.

VIII. Conclusion: Il n'y a encore ni public ni hommes de lettres,

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On raconte que, pendant sa courteet malheureuse royauté parmi les Écossais en 1650, Charles II avait été mis par les

BELJAME.

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rigides Presbytériens à un dur régime. Forcé de souscrire à leur Covenant et de se soumettre à leur culte, il avait été tout d'abord placé sous la surveillance d'un comité de ministres sévères et vigilants. Ces farouches argus l'obligeaient à assister perpétuellement à des prières interminables, lui fixaient des jours de jeûne, et le condamnaient quelquefois à entendre jusqu'à six sermons de suite. Heureux encore quand ces sermons ne roulaient pas uniquement sur les crimes de sa famille et sur sa propre impiété. Tous les plaisirs, y compris la danse et les jeux de cartes, lui étaient interdits. Le dimanche, défense de se promener et de sourire; le moindre geste déplacé, la moindre expression d'ennui sur son visage l'exposait à de terribles objurgations. Un jour qu'il s'était permis quelques innocentes familiarités avec une femme, un de ces austères fanatiques vint lui adresser, sur la grandeur du péché, une longue réprimande solennelle, qu'il termina en lui recommandant de fermer toujours les fenêtres1.

L'Angleterre, assujettie tout entière à la même discipline surhumaine par les Puritains, avait pendant plus de onze aus manque d'air, étouffé. Au retour de Charles II, elle ouvrit les fenêtres, et toutes grandes. Elle les ouvrit trop. A l'exagération de la rigueur la Restauration répondit par l'exagé ration de la licence.

Le roi se mit à la tête du mouvement. Après un long exil, une vie errante et misérable, il montait tout à coup sur l'un des premiers trones de l'Europe, aux acclamations d'un peuple entier. Il avait trente ans, une tournure gracieuse, des manières séduisantes, le goût des plaisirs, et une excellente constitution. L'argent seul lui avait manqué jusque-là; il allait maintenant en avoir à son gré, en même temps que des compagnons habiles à servir ses désirs et avides de jouir eux-mêmes.

Londres alors était tout; la province, sans communications avec la capitale, ne comptait pas et vivait d'une vic inconnue. Londres étant toute l'Angleterre, la Cour fut tout Londres. La bourgeoisie, convaincue de Puritanisme, fut brutalement mise

1. Clarendon, livre XIII; Burnet: History of my own Times, vol. I, pp. 91, 92; Malcolm, p. 154.

2. Voyez ce que dit Macaulay (Histoire, ch. HII) de la difficulté des communications alors.

à l'écart, annihilée; la Cour prit toute la place au soleil, et tout se régla sur elle, adopta ses goûts et ses amusements.

Le programme qu'elle suivit est simple à dire : elle fit tout ce que les Puritains avaient défendu. Ils avaient porté les cheveux courts et proscrit toute recherche de costume; les longues perruques à la Louis XIV furent adoptées, et la toilette devint une des grandes préoccupations des gens du bel air1. Ils avaient interdit le jeu : on joua avec fureur, et l'on tricha2; le vin on but, on fit bombance, on se grisa3; les jurons: on n'ouvrit plus la bouche sans invoquer sur tous les tons Dieu et le Diable'.

1. A Town-Gallant is a Bundle of Vanity, composed of Ignorance and Pride, Folly and Debauchery; a silly Huffing thing, three parts Fop and the rest Hector (voy. p. 5, note 1) : A kind of Walking Mercers shop, that shews one Stuff to day, and another to morrow, and is valuable just according to the price of his Suit, and the merits of his Taylor... His first care is his Dress, and next his Body, and in the fitting these two together, consists his Soul and all its Faculties (The Character of a Town-Gallant, anonyme). Je dis ici une fois pour toutes que, dans mes citations, je respecte scrupuleusement l'orthographe, qui est à mes yeux un document historique. Voyez aussi The Man of Mode; or, Sir Fopling Flutter, comédie d'Etherege; et Tyrannus, or the Mode, par Evelyn, réimprimé dans Memoirs Illustrative of the Life and Writings of John Evelyn Esq., vol. II.

2. Pepys 14 fév. 1667-8; Evelyn: Diary, 25 janv. 1685; Butler : Satire upon Gaming (dans Genuine Poetical Remains). —Les dés pipés s'appelaient des fulhams.

3. Voyez, par exemple, Pepys 23 sept. 1667. Le roi et le duc d'York se grisent à une partie de chasse; le roi se met à genoux pour boire à la santé du duc, et tous les assistants s'embrassent en pleurant; voyez aussi id.. 23 oct. 1668. Le poète Waller était cité comme un homme exceptionnel parce qu'il savait être bon compagnon sans boire (Johnson: Lives of the English Poets, Waller).

4. He admires the Eloquence of, Son of a Whore, when 'tis pronounced with a good Grace, and therefore applyes it to every thing; So that if his Pipe be faulty, or his Purge gripe too much, "Tis a Son of a Whores Pipe, and a Spawn of a Bitches Purge... he... may have a Patent for the sole use (as the first Inventer) of that Noble Complement, Let me be Damn`d, and my Body made a Gridiron to Broil my Soul on, to Eternity, If I do not Madam, love you confoundedly (The Character of a Town-Gallant). - Un des jurons favoris de Sir Samuel Hearty dans le Virtuoso de Shadwell est your Nose in my Breech. Voici une déclaration du galant Wittmore : Madam, as Gad shall save me, I'me the Son of a Whore if you are not the most Bell Person I ever saw, and if I be not damnably in love with you, but a pox take all tedious Courtship, I have a free-born and generous Spirit, and as I hate being confin'd to dull cringing, whining, flattering, and the Devil and all of Foppery, so when I give my heart l'me an Infidel, Madam, if I do not love to do't frankly and quickly (Sir Patient Fancy, par Mrs. Behn, II, sc. 1).

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