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gance et témoignent d'un sentiment vrai de l'harmonie 1. Il faut ajouter, à l'éloge de leurs nobles auteurs, qu'ils ont véritablement le goût et le sentiment des choses littéraires, pas bien profonds sans doute, pas bien chauds, mais en somme, dignes d'être notés. Ils sont au courant de la littérature française. Ils connaissent les poètes de l'antiquité, au moins les latins, surtout Horace. Quand ils veulent s'élever un peu, ils les traduisent. Le comte de Roscommon met en vers anglais l'Épitre aux Pisons; Rochester imite la dixième satire du premier livre d'Horace et la première de Juvénal3; Sedley rend en vers le quatrième livre des Géorgiques. C'est bien encore un signe de faiblesse, puisqu'ils ne peuvent sortir de leur ornière sans s'appuyer sur quelqu'un; mais c'est aussi le témoignage d'une culture qu'il faut en toute justice mettre à leur avoir.

Après la poésie vint le roman. Il ne détonna pas; il fut galant aussi. L'Angleterre faisait depuis plusieurs années ses délices de M de Scudéry. En 1656, on traduisait sa Clélie (l'année même où elle paraissait en France); la première partie de la Cléopâtre de la Calprenède avait été traduite dès 16525. La Restauration, si attentive aux femmes, ne pouvait que se plaire à ces œuvres précieuses, et l'on continua à voyager dans le pays de Tendre. Les dames firent des romans les plus doucereux leur lecture favorite"; et Dryden, dans la dédicace de sa tragédie d'Aureng-Zebe, a soin de s'appuyer sur le Grand Cyrus pour défendre sa pièce auprès d'elles. Le théâtre emprunta à cette littérature romanesque tout un genre de pièces, et la conversation de chaque jour s'imprégna profondément de son vocabulaire et de son style. John Dunton, simple libraire, épouse en 1682 Me Elizabeth Annesley. Elle est pour lui la Belle Iris: elle-même signe Iris. John Dunton signe ses lettres du nom de Philaret; il appelle sa femme « ma belle conquérante », « ma chère captive », et publie un portrait

1. Voyez, par exemple, « Go, lovely rose!» de Waller; et « Love still has something of the Sea », de Sedley

2. OEuvres, 1753.

3. HORACE'S Tenth Satire of the First Book imitated (OEuvres, vol. I, p. 10) Imitation of the First Satire of JUVENAL (id., id., p. 15).

4. The Fourth Book of Virgil (Euvres poétiques).

5. Voyez ma bibliographie, s. v. Scudéry et la Calprenède.

6. My wife in Great Cyrus till 12 at night (Pepys, 7 Dec. 1660).

d'Iris, écrit par Arsinda, avec un portrait de Philaret, par l'ingénieuse Cleonta, sœur de la belle Iris1. Mrs. Katherine Philips, « l'incomparable Orinda », donne à son mari le nom d'Antenor, et à ses amis ceux de Silvander, Cratander, Poliarchus, Lucasia, etc 2.

Le roman de la Restauration s'inspira donc de ceux de Me de Scudéry et consorts. Mais il fallait aux galants d'alors. des lectures plus alertes et moins sévères. Ils furent servis à souhait par «<l'ingénieuse Mme Aphara Behn », ou, comme on l'appelle surtout, « l'admirable » ou mème « la divine Astræa ».

Son histoire de Oroonoko ou l'Esclave Royal entre autres, « écrite par ordre du roi Charles II », eut une telle vogue, qu'après plus de trente années le poète Southerne en faisait le sujet d'une de ses tragédies les plus applaudies 3. Cette célèbre histoire pourtant n'a pas vécu jusqu'a nous, et toute la littérature romanesque de cette époque s'est abimée dans le même oubli. Il est d'autant plus nécessaire de s'y arrèter un instant, car elle reflète tout un côté de l'esprit de la Restauration 1.

Oroonoko est le petit-fils et l'unique héritier du roi de Coramantien (?), pays peu connu, où les Anglais vont chercher des esclaves pour leurs colonies. Les habitants de ce pays sont des enfants de la nature, et l'auteur les compare à nos premiers parents avant la chute ». Cependant Oroonoko est un modele de politesse, d'honneur, de genérosité; il sait le français, l'anglais, l'espagnol et même un peu d'histoire (il admire les Romains, et a déploré la mort de Charles Ier d'Angleterre).

1. Voyez The Life and Errors of John Dunton, p. 76 et saiv.-Swift subit encore cette influence lorsqu'il appelle Miss Waryng Varina, Miss Esther Johnson Stella, et Miss Vanhomrigh Vanessa.

2. Voyez ses Poems, passim.

3. Oroonoko (1696). - Southerne emprunta à un autre roman de Mrs. Behn (The Fair Vow-breaker) la partie tragique de The Fatal Marriage; voyez sa dédicace. Voici un petit fait qui montre de quelle longue popularité jouit le roman d'Oroonoko. L'héroïne s'appelle Imoinda; or, en 1766, John Buncle rencontre une jeune fille qu'il a jadis aimée : « Quoi! dis-je; Me Wolf de Ralineskay? O mon Imoinda! et la serrant dans mes bras... » (The Life of John Buncle Esqre, par Thomas Amory, vol. I, p. 183.)

4. La plus ancienne édition des romans de Mrs. Behn citée par Lowndes est de 1698; mais Oroonoko doit être des débuts du règne de Charles II, car il y est question comme d'une chose récente de la représentation de The Indian Queen, de Dryden, qui fut jouée en 1664. Je me suis servi de l'édition de 1705, la plus ancienne que j'aie trouvée au British Museum.

Il va sans dire qu'il est beau et capable des plus grands sentiments, fait surtout pour aimer et pour être aimé.

Il rencontre la jeune Imoinda, aussi parfaite qu'il est parfait.

Après lui avoir adressé ses premiers compliments et présenté cent cinquante esclaves enchaînés, il lui dit avec ses yeux qu'il n'était pas insensible à ses charmes; et Imoinda, qui ne souhaitait rien tant qu'une si glorieuse conquête, fut charmée de croire qu'elle comprenait ce langage silencieux d'un amour nouveau-né; et, dès ce moment, elle mit tout en œuvre pour ajouter à sa beauté.

» Le prince revint à la cour dans une disposition d'esprit tout autre qu'auparavant; et bien qu'il ne parlât pas beaucoup de la belle Imoinda, il eut le plaisir d'entendre toutes les personnes de sa suite ne pas parler d'autre chose que des charmes de cette jeune belle. C'était au point que, même en présence du vieux roi, ils la louaient, et exagéraient, s'il est possible, les beautés qu'ils avaient vues en elle: de sorte qu'il n'y avait pas d'autre sujet de conversation, et que, dans tous les coins où il y avait des gens qui parlaient à voix basse, on n'entendait que ce mot: Imoinda! Imoinda! 1»

Un amour si beau doit être traversé. Le vieux roi (il a cent et quelques années) prend feu à ces descriptions, et envoie à Imoinda le voile royal, ce qui l'oblige, sous peine de mort, à se rendre à son harem. Elle obéit donc, et l'aimable monarque la reçoit au bain.

Là-dessus, désespoir d'Oroonoko et lutte pathétique entre son amour et son respect pour son grand-père et son souveverain. Il se calme enfin et prend la résolution de dissimuler son amour et ses ennuis, rassuré du reste par cette réflexion que le roi, vu son âge, sera probablement son rival plutôt d'intention que de fait.

1. Having made his first Complements, and presented her an hundred and fifty Slaves in Fetters, he told her with his Eyes, that he was not insensible of her Charms; while Imoinda, who wish'd for nothing more than so glorious a Conquest, was pleas'd to believe, she understood that silent Language of new-born Love; and, from that moment, put on all her additions to Beauty.

The Prince return'd to Court with quite another Humour than before; and though he did not speak much of the fair Imoinda, he had the pleasure to hear all his Followers speak of nothing but the Charms of that Maid, insomuch that, even in the presence of the old king, they were extolling her, and heightning, if possible, the Beauties they had found in her so that nothing else was talk'd of, no other sound was heard in every Corner where there were Whisperers, but Imoinda! Imoinda!

Celui-ci, qui n'a pas été sans avoir vent de l'amour de son petit-fils et l'a un peu tenu à l'écart, le voyant si tranquille et si paisible, le croit guéri et l'invite à un festin auquel assiste son amante. Pendant le repas, il abandonne ses convives pour emmener Imoinda dans une pièce voisine où son malheureux rival aperçoit « un lit d'apparat préparé avec des parfums et des fleurs 1».

Cependant Oroonoko a réussi à se faire des intelligences dans le harem; il parvient à voir Imoinda, à l'entretenir de son amour, et à « ravir en un moment ce que son vieux grand-père tentait de ravir depuis tant de mois ». Malheureusement, on le surprend le roi le renvoie à l'armée et fait vendre Imoinda comme esclave, en annonçant à son amant qu'elle a été tuée.

Il se désole, pousse de nombreux soupirs et verse d'abondantes larmes, mais se console juste assez pour vivre et vaincre l'ennemi du royaume, Jamoan, « homme très brave, plein de grâce et de mérite3», dont, après l'avoir battu, il fait son meilleur ami.

Après cette victoire, trompé par un capitaine anglais, Oroonoko est emmené traitreusement et vendu comme esclave à Surinam. Là, il force l'admiration de tous par son mérite, séduit les dames anglaises par sa grâce, et, parmi les esclaves de la colonie, retrouve cachée sous le nom de Clemene, et esclave comme lui, la belle Imoinda. On lui permet de l'épouser, et le récit de leurs amours ayant ému les autorités, on lui promet de les renvoyer libres tous deux dans leur pays. Mais comme on tarde à accomplir cette promesse, déjà trompé par un Européen, il croit à une nouvelle trahison, intéresse les nègres à sa cause et provoque un soulèvement général des esclaves de la colonie. Le sous-gouverneur, effrayé, demande à parlementer, et le décide, par de belles paroles, à mettre bas les armes. Le trop confiant Oroonoko est à peine désarmé, qu'on le saisit, et le sous-gouverneur le fait fouetter. Le « royal esclave, tout frémissant d'un pareil outrage, jure de se ven

1. A Bed of State made ready, with Sweets and Flowers for the Dalliance of the King.

2. He... ravished in a moment, what his old Grandfather had been endeavouring for so many Months.

3. A Man very gallant, and of excellent Graces, and fine Parts.

BELJAME.

2

ger. Il s'enfuit dans les bois avec sa femme, qui est enceinte; il la tue pour qu'elle ne tombe pas au pouvoir des blancs, et elle est heureuse de mourir de sa main. Imoinda expirée, son amant reste deux jours à pleurer à côté de son corps. C'est là qu'il est retrouvé par les gens du sous-gouverneur, qui ne peuvent s'approcher de lui qu'avec beaucoup de peine. Cependant on finit par s'emparer de sa personne, et on le fait mourir par un supplice raffiné: on lui coupe les membres l'un après l'autre. Et lui, calme et héroïque, fume sa pipe jusqu'à l'excision de son dernier bras — exclusivement.

« Ainsi mourut, dit l'auteur en terminant, ainsi mourut ce grand homme, qui méritait un sort meilleur et un esprit plus sublime que le mien pour écrire sa louange; cependant j'espère que la réputation de ma plume est assez considérable pour faire que son nom glorieux survive dans tous les siècles avec celui de la courageuse, de la belle, de la constante Imoinda 1. »

On voit que Mrs. Behn est une digne émule des Précieuses en fait de sentiment et de beau langage. Elle se sépare pourtant d'elles en deux points: d'abord elle n'impose pas à ses lecteurs des tâches aussi rudes (le volume de ses romans contient, avec l'Esclave royal, huit autres récits), et ensuite elle relève la galanterie d'une pointe de sensualité. Ses héros imitent le style de l'llôtel de Rambouillet, mais ils s'en tiennent au style; aucun d'eux n'est disposé à languir quatorze années comme Montausier.

D'autres fois, cependant, ils nagent dans l'insipidité absolue, comme dans la Montre de l'amant ou l'Art de faire sa cour 2. Voici l'argument »>:

« C'est dans la très heureuse et très auguste cour du meilleur et

1. Thus Died this Great Man; worthy of a better Fate, and a more sublime Wit than mine to write his Praise Yet, I hope, the Reputation of my Pen is considerable enough to make his Glorious Name to survive to all Ages, with that of the Brave, the Beautiful and the Constant Imoinda.

2. C'est une imitation de deux œuvres galantes de ce Balthazar de Bonnecorse dont Boileau a associé le nom à celui de Pradon dans l'épigramme : Venez, Pradon et Bounecorse,

Grands écrivains de même force...

On en trouvera les titres complets dans ma Bibliographie.

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