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Shadwell avait été longtemps son ami; on se rappelle qu'ils avaient écrit ensemble (avec Crown) les Remarques dirigées contre l'Impératrice du Maroc; en 1679 encore, Dryden écrivait un prologue pour une comédie de Shadwell (A True Widow). Mais la politique les avait séparés, et, ainsi qu'il arrive ordinairement, cet ancien ami avait été l'un des plus violents contre Dryden dans la Médaille de John Bayes il avait lancé contre lui, avec la dernière audace de langage, les accusations les plus odieuses. Dryden ne voulut pas laisser ses attaques sans réponse; et comme, de tous ses adversaires, Shadwell était, non pas seulement celui qui avait le plus de talent, mais le seul qui eût du talent, il le prit spécialement à partie, réservant Settle pour une autre occasion, et publia Mac Flecknoe, ou Satire sur le Vrai Poète Protestant T. S. (c'est-à-dire Thomas Shadwell). C'était un délicieux persiflage littéraire, que Pope n'oublia pas plus tard quand il écrivit la Dunciad, et qui fut pour Shadwell un coup dont il ne s'est pas encore relevé 3.

Cette heureuse exécution d'un dangereux adversaire mit la cour en goût, et elle pressa Dryden qui, avant cette dernière œuvre ne s'était guère attaqué qu'aux chefs du parti populaire, à Shaftesbury, à Monmouth, à Buckingham, de fustiger un peu les roquets politiques qui aboyaient en sous ordre, en donnant une suite aux portraits d'Absalon et Achitophel*.

Mais le poète lauréat était fatigué par tant d'efforts répétés ; il appela à son aide son confrère Nahum Tate, qui venait de témoigner de son zèle tory en écrivant des vers à la louange des poèmes politiques de Dryden. Après qu'ils eurent réglé ensemble l'ordonnance générale de l'ouvrage, Tate se mit à l'œuvre pour malmener du mieux qu'il put les infiniment. petits du parti whig, pour la plupart oubliés aujourd'hui, et termina par un éloge pompeux des amis de la cour, particu

1. Je n'ose pas citer, même en anglais.

2. C'est-à-dire, le fils de Flecknoe, poète déjà cité, p. 81 et 126, et qui semble avoir servi de cible à ses confrères, car Marvell, III, p. 280, se moque de lui comme Dryden.

3. Fort injustement, hâtons-nous de le dire, car il est très supérieur à la réputation que Dryden lui a value.

4. The second Part of Absalom and Achitophel.

lièrement de L'Estrange et de Dryden'. Dryden se réserva seulement les littérateurs de l'opposition, comme Pordage, qu'il représenta sous les traits de Miphiboseth, et surtout ses chers. ennemis Settle et Shadwell, auxquels, sous les noms de Doeg et de Og, il asséna ses coups les plus vigoureux. Shadwell seul essaya de répliquer dans une traduction de la dixième Satire de Juvénal, qu'il fit précéder d'une préface amère contre Dryden.

La même année, le multiple Dryden, seul cette fois, fit paraître un poème d'allure plus calme et moins batailleuse, intitulé Religio Laici, dans lequel il soutient l'Eglise anglicane et tâche de ramener dans son giron et les catholiques et les dissidents.

Tous ces poèmes, toutes ces polémiques de forme littéraire prirent bien vite le pas sur le théâtre et sur les journaux. Ce qui ne veut pas dire que les journaux et le théâtre se turent et cessèrent d'agir; les dates données plus haut montrent suffisamment qu'il n'en fut pas ainsi, et l'époque était trop passionnée pour qu'aucun moyen fùt négligé. Mais le théâtre passa, dans l'attention publique, du premier plan au second; le journal, quoi qu'il fit, resta tout au plus au second plan, et l'influence sérieuse appartint aux écrits dont Dryden avait donné le modèle.

Cela est si vrai, que la pièce dont l'impression fut alors la plus vive sur l'esprit public, le Duc de Guise de Dryden et de Lee, produisit cette impression non pas tant par elle-même que par les écrits auxquels elle donna naissance. Pour y répondre, Shadwell fit paraître Quelques réflexions sur le prétendu parallèle qui se trouve dans la pièce intitulée Le Duc de Guise, et probablement aussi un prologue soi-disant refusé par les acteurs; un avocat nommé Thomas Hunt écrivit une Défense de la Charte et des droits municipaux de la Cité de Londres. Dryden répondit à l'un et à l'autre par une longue Justification (en 60 pages) de sa pièce, et l'émotion causée par toute cette discussion fut telle, que Hunt, menacé de poursuites, se vit obligé de s'enfuir en Hollande, et que Shadwell, dans la dédicace de sa comédie de Bury Fair, dit que sa vie fut

1. Voy. p. 171, note 5. Dryden figure dans le poème sous le nom de Asaph. 2. Biographia Britannica, art. Shadwell, et A Wood, Athena Oxonienses, vol. IV, colonne 81 et suiv.

menacée, et que pendant plusieurs années il fut contraint de renoncer à écrire 1.

Tant d'efforts ne furent pas sans résultat. Dryden avait, le premier, arrêté et troublé les whigs dans leur triomphe, et ranimé le courage hésitant des tories. A sa voix, tous les amis de la Cour, le clergé en tête, avaient redoublé d'ardeur, et étant plus confiants, avaient été plus forts. Peu à peu les whigs avaient perdu du terrain, s'étaient montrés moins hardis, moins sûrs d'eux-mêmes. La découverte du complot du Rye-House (1683) leur porta le dernier coup. L'horreur qu'inspira ce complot whig, habilement mis à profit par le parti royal, rejeta promptement dans le camp tory les prosélytes nombreux que la terreur du complot papiste avaient jetés affolés dans les rangs adverses; le parti populaire devint impopulaire. Déjà Shaftesbury avait fui et était mort en Hollande (1682) 2; le complot du Rye-House fournit à propos une occasion qu'on ne laissa pas échapper de se débarrasser de deux autres chefs du parti whig Lord Russell et Algernon Sidney. Le roi redevenait done maître absolu de la situation.

Il crut pourtant qu'il y avait encore quelque chose à faire et que le rôle politique de ses écrivains n'était pas fini : il chargea Dryden de traduire l'Histoire de la Ligue du jésuite Maimbourg. Le but évident de cette traduction, au moment où elle fut faite, était d'insister encore sur l'impopularité des whigs en les comparant à ces ligueurs français qui avaient, en se parant d'un beau zèle religieux, attaqué le pouvoir royal, et plongé leur pays dans une longue et sanglante guerre civile. C'était,

1. I never could recant in the worst of Times, when my Ruine was design'd, and my Life was sought, and for near Ten Years I was kept from the exercise of that Profession which had afforded me a competent Subsistence (Dédicace de Bury Fair au comte de Dorset).

Our Author then opprest, would have you know it
Was Silene'd for a Non-conformist Poet...

(Prologue de la même pièce.)

Shadwell ne recommença à écrire pour le théâtre qu'en 1688, année où il donna The Squire of Alsatia. Sa pièce précédente, Les Sorcières du Lancashire, est de 1681.

2. ... The king's influence increasing every day both in London and the country. A loyal lord mayor was this day chosen for the city of London, and two very good sheriffs. My Lord Shaftesbury stole over sea into Holland, and the charter of London was likely to stoop to the quo warranto brought against it. (Reresby, p. 263, 20 nov. 1682.)

en somme, une répétition de la tragédie du Duc de Guise; et la dédicace se chargea de rendre l'intention nette pour les yeux les moins clairvoyants. Cette nouvelle œuvre de Dryden fut publiée avec un soin particulier; et cette fois le titre porta son nom et déclara franchement qu'elle était faite par l'ordre du roi 1.

IV

C'était le dernier service que la littérature devait rendre à Charles II. L'année suivante, pendant que Dryden préparait sous ses yeux l'opéra d'Albion et Albanius pour célébrer sa victoire sur les whigs, le joyeux monarque expirait, laissant le trône à celui qui avait causé toutes les émotions politiques des dernières années.

Avec lui, ces émotions ne furent pas longtemps à renaître, et la période d'espérance et de calme qui suit toujours l'avènement d'un nouveau prince, ne fut cette fois que de courte durée. Les poètes avaient à peine eu le temps de pleurer, selon l'usage, le roi qui venait de mourir et de célébrer l'installation de son successeur, que les discussions reprenaient de plus belle.

1. En tête du volume se trouve une gravure représentant le roi sur son trône; le ciel entr'ouvert laisse voir une main portant une couronne; de cette couronne part un rayon qui éclaire la tête du souverain, et dans lequel est écrit: Per me reges regnant. Autour du trône, la justice, des seigneurs, un magistrat au premier plan, et à ses pieds ces mots : Sibi et successoribus suis legilimis.

2. Dryden, Threnodia Augustalis; apothéose de Jacques II à la fin de Albion et Albanius. D'Urfey, Joy to Great Cæsar; An Elegy upon... King Charles II, and two panegyricks upon... King James and Queen Mary........ Charles Montague, On the Death of His Most Sacred Majesty King Charles II; les vers de Montague figurent dans une collection de poèmes sur la mort de Charles II publiée par l'université de Cambridge (Biographia Britannica, art. Montague). - Voici un échantillon de l'enthousiasme de D'Urfey:

The Kings Health, set to Farinel's Grounds.

First Strain.

Joy to Great Cæsar,

Long Life, Love and Pleasure;

Jacques II, ardent et aveugle, sembla avoir hâte de ranimer les passions politiques en commandant à Sprat, un des auteurs de la Répétition, récemment nommé évêque de Rochester, un récit du complot du Rye-House; les passions religieuses en déclarant que son frère était mort catholique, et en publiant lui-même deux écrits trouvés, disait-on, dans le coffre-fort de Charles II, où était soutenue la supériorité de l'église catholique sur la protestante 1.

A cette dernière publication, Stillingfleet, doyen de SaintPaul, répondit aussitôt. Bien que son nom ne parût pas sur le titre de sa réponse, cette intervention d'un membre éminent du clergé anglican prenant parti contre le roi, est un fait qu'il faut noter tout de suite, car il indiquait dès l'abord que la discussion ne devait pas sous Jacques II avoir le même caractère que sous son prédécesseur, et que notamment le clergé devait y jouer un autre rôle.

Jusqu'ici ce clergé, passionnément attaché à la doctrine de l'obéissance passive, avait soutenu le roi avec une unanimité entière. En somme, quelques doutes que l'on pût concevoir sur les convictions religieuses de Charles II, il était, tant qu'il avait régné, resté protestant, et le chef de la religion protestante. Les intérêts du clergé se confondaient donc avec ceux de la royauté. Maintenant la situation changeait de face. Non seulement Jacques II était détaché de l'Église anglicane, mais il laissait voir clairement l'intention de la battre en brèche.

'Tis a Health that Divine is,

Fill the Bowl high as mine is ;...

Second Strain.

Try all the Loyal

Defy all,

Give denial;

Sure none thinks Glass too big here,

Nor any Prig here,

Or sneaking Whig here
Of Cripple Tony's Crew,
That now looks blew.
His Heart akes too,
The Tap won't do,...

(A Collection of One Hundred and Eighty Loysi Songs, voy, ma Bibliographie, vo T. N.)

1. Voy. ma Iibliographie, v Jacques II. 2. Voy. ma Bibliographie, v° Stillingfleet.

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