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ma présente captivité, vu que vous m'accordez souvent ces baisers et ces caresses pour lesquels j'aurais donné le monde lorsque j'étais homme. J'espère que cette découverte de mon identité ne tournera pas à mon désavantage, et que vous continuerez vos faveurs accoutumées à

» Votre très humble et très dévoué serviteur,

» PUGG.

» P. S. Je conseille à votre petit chien barbet de se garer de moi; car, comme je le considère comme le plus formidable de mes rivaux, je pourrais bien un jour ou l'autre lui donner un coup de dent qui ne lui fera pas plaisir 1. >>

Le Spectateur offre souvent à ses lecteurs des morceaux pareils, croyant avoir rendu quelque service à leur éducation. morale s'il a fourni à leur esprit une récréation délicate et de bon aloi. Mais ce n'est pas tout. Pour que les plaisirs auxquels Addison veut rendre leur droit de cité prennent possession d'une manière complète et assurée, il s'attache à en expliquer, et à en faire comprendre l'attrait et la valeur; en un mot,—et c'est là une partie bien intéressante de son œuvre, — il entreprend de faire l'éducation intellectuelle de ses compatriotes.

On peut dire qu'il a inauguré pour eux la critique littéraire. J'ai déjà indiqué que les premières tentatives qui comptent dans cette voie étaient venues de Dryden; mais Dryden n'avait pas poussé plus loin que quelques petits traités sur des points particuliers, choisis selon l'inspiration ou l'intérêt du moment, sans idée d'ensemble, sans but précis et sans suite. Du reste, écrivant pour le monde léger de la cour, pour des lecteurs peu susceptibles de réflexion et d'attention soutenue, il avait dû chercher à plaire plutôt qu'à instruire; ses dissertations, plus élégantes que solides, n'avaient pas eu et n'avaient pas voulu avoir une action bien étendue ni bien profonde; l'ambition la plus haute de l'auteur était satisfaite lorsqu'il avait fourni quelque matière nouvelle aux aimables conversations des Sedley, des Dorset, des Mulgrave et de leurs semblables 2. L'auditoire

1. N° 343. Voyez aussi, au no 78, l'amusante pétition de who et de which, et au n° 80 la réponse de that.

2. Il y avait bien eu depuis The Tragedies of The last Age consider'd..., 1678, et A Short View of Tragedy..., 1693, par Thomas Rymer (voy. ma Bi

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d'Addison était moins étroit et de tempérament moins futile; lui-même avait de son rôle d'écrivain une idée autre que son prédécesseur; aussi, en venant à son tour cultiver ce champ où Dryden avait tracé un premier sillon, il apporta à sa tâche des visées plus vastes et plus sérieuses. Il n'eut pas devant les yeux la cour seule, mais toute la société, et dans toute la société il voulut ouvrir les esprits aux choses littéraires; - mieux encore qu'ouvrir les esprits, former les jugements, faire réfléchir, munir ses lecteurs d'idées générales; autrement dit, il se mit en devoir de leur faire en quelque sorte un cours d'esthétique et de littérature. Non pas certes ex cathedra, en remontant aux origines premières et avec des théories dogmatiquement et longuement développées; l'étendue limitée de son journal, la nouveauté des sujets pour la plupart de ses lecteurs 1, s'y opposaient; et d'ailleurs en aucune matière il n'aimait à disserter. Ses leçons littéraires, disséminées dans le Spectateur, ont une allure plus modeste : comme ses leçons de morale, elles sont simples et pratiques; son objet n'est pas tant de donner à ceux qui le lisent un savoir complet et minutieux, que du goût et la faculté de jouir comme il convient des plaisirs délicats auxquels il les convie. Cependant, en revenant à diverses reprises sur les mêmes questions, d'un numéro à un autre numéro, il leur en fait faire petit à petit le tour, et parvient assez vite à leur fournir un bagage respectable de notions littéraires. Il leur expose, brièvement et sans pédantisme, les règles principales qui doivent, selon lui, présider

bliographic), et surtout les Essais de Sir William Temple: I. Upon Antient and Modern Learning. II. Upon the Gardens of Epicurus [dans le corps du volume, cet essai porte la date 1685]. III. Upon Heroick Virtue. IV. Upon Poetry. (Euvres, I, p. 147 et suiv.) Mais c'était encore là de la littérature qui ne dépassait pas un cercle assez restreint de lettres et de gens du monde.

1. Le Spectateur était tellement une innovation sous ce rapport, qu'on lui reprochait de « prostituer » la science et d'en faire une fille des rues >> (n° 379).

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2. Comme le but principal de ces spéculations est de bannir le vice et l'ignorance du territoire de la Grande-Bretagne, je m'efforcerai autant que possible d'établir parmi nous le goût de la littérature polie » (n° 58). Dans la dédicace de son premier volume, il parle de son journal comme d'une œuvre qui s'efforce de cultiver et de polir la vie humaine, en encourageant la vertu et le savoir, et en recommandant tout ce qui peut être ou un avantage ou un ornement pour la société ».

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aux différents genres de composition', les avertit quand il croit que leur admiration ou leur engouement fait fausse route, les met en garde contre les défauts spécieux, leur indique des lectures à faire, et surtout, avec une sympathie communicative et libérale qui n'exclut aucune nation et aucune époque, il leur signale les grandes œuvres de tous les pays et de tous les temps 5, leur fait faire connaissance avec elles, les met en état d'en apprécier et d'en goûter dignement les beautés. D'un bout à l'autre de son journal, il ne perd jamais de vue cette partie de son enseignement; sous une forme ou sous une autre, directement ou indirectement, il y revient sans cesse, et il n'y a guère de sujet où il ne trouve occasion d'introduire, toujours à propos, soit un rapprochement ou un fait littéraire, soit une heureuse citation. Nourri de l'éducation classique, constamment entretenue et accrue par la lecture et la conversation, sa mémoire ne le laisse jamais au dépourvu; à point nommé, elle lui fournit l'auteur et le passage dont il a besoin, sans jamais lui faire défaut. Je n'en veux pour preuve que ces épigraphes latines et grecques qu'il met régulièrement en tête de chacun de ses numéros, et au moyen desquelles il·

1. Voyez ce qu'il dit de la tragédie dans les n° 39, 40, 41, 42. Ses articles sur Milton dont il est question plus loin donnent les règles du poème épique.

2. Voyez notamment les articles contre le faux esprit, n° 58, 59, 60, 61, 62, 63.

3. Surtout à ses lectrices, nos 37, 92, 95.

4. « Nous goûtons le plus grand plaisir que nos esprits soient capables de ressentir avec calme, lorsque nous lisons des pensées sublimes exprimées par des hommes de grand génie et de grande éloquence » (no 146). — Voyez aussi ses articles sur les plaisirs de l'imagination, nos 411 à 421.

:

5. Il suffit de consulter un index du Spectateur pour voir combien est étendu et varié le champ de ses études littéraires. Je signalerai seulement quelques numéros consacrés à des œuvres récentes, et qui sont les premiers articles de critique littéraire publiés en Angleterre le n° 253, sur l'Essai sur la critique de Pope, qui venait de paraître; le n° 290, écrit après la représentation de The Distrest Mother, d'Ambrose Philips; le n° 400, sur les Pastoral Verses du même auteur; le n° 523, sur la Miscellany de Pope et de Philips.

6. « Les jugements que j'ai jusqu'ici publiés ont été écrits avec l'intention plutôt de découvrir des beautés et des mérites dans les écrivains de mon temps, que de faire voir leurs défauts et leurs imperfections » (n° 262). — « C'est une très honnête action de s'employer à faire paraître le mérite des autres, et je n'éprouve aucun scrupule à dire que j'ai cette disposition d'esprit autant qu'homme au monde » (n° 532).

fait passer sous les yeux de ses lecteurs une riche et instructive collection de citations intéressantes et jamais banales '.

Dans ces conseils littéraires d'Addison, le théâtre, dont il fait tant de cas, n'est naturellement pas oublié. Pour en faire lenoble divertissement » qu'il rêve, il a bien des réformes, bien des améliorations à réclamer, et les vives critiques que j'ai déjà signalées contre la licence de la comédie ne sont pas, tant s'en faut, les seules qu'il ait à formuler; il a aussi, au point de vue artistique, bien des réserves à faire sur les œuvres dramatiques de son temps, et il les indique avec une singulière justesse de vues. Il y a plaisir, lorsqu'on vient d'étudier le théâtre de la Restauration, à l'entendre protester avec son esprit habituel contre les tragédies rimées et les rants ridicules dont avaient tant abusé les Lee et les Dryden 3, contre les épilogues gais terminant les pièces dramatiques', surtout contre l'abus de la mise en scène et du costume. A tout ce clinquant de mauvais aloi, il oppose les beautés plus solides et plus régulières du théâtre grec, et de notre théatre français qu'il devait lui-même imiter, le jour où il voulut être poète tragique, dans son Caton.

Il lui oppose aussi autre chose; et, en effet, quelques services qu'Addison ait rendus à ses contemporains en les initiant à des notions qui étaient jusque-là restées le privilège de quelques

1. « Quand j'ai fini une de mes spéculations, j'ai l'habitude de chercher quel est l'auteur ancien qui a parlé du sujet que je traite. Par ce moyen je trouve quelque pensée célèbre sur ce sujet, ou une de mes pensées exprimée en meilleurs termes, ou quelque comparaison qui éclaire ce que je veux dire. C'est là ce qui donne naissance à la devise de mes spéculations; et je la prends dans les poètes plutôt que chez les prosateurs, parce que les premiers donnent un meilleur tour à une pensée, et, en l'exprimant en peu de mots et en nombres harmonieux, la rendent plus aisée à retenir. Mon lecteur est ainsi assuré de trouver au moins une bonne ligne dans chaque numéro de mon journal » (n° 221).

2. N° 39.

3. N° 40.

4. Nos 338 et 341.

5. Je voudrais montrer par un exemple au moins quel est, dans ces sujets, le ton de sa critique Aristote observe que le commun des auteurs tragiques s'efforce de faire naître la terreur et la pitié dans l'àme des auditeurs, non par des sentiments et des expressions convenables, mais par l'habillement des acteurs et les décors du théâtre. Il y a quelque chose de fort ridicule en ce genre sur la scène anglaise. Quand l'auteur a envie de nous terrifier, il tonne; quand il veut nous attrister, le théâtre s'assombrit. Mais

uns, si opportuns et si sensés que soient ses préceptes littéraires, il a encore comme critique d'autres mérites, parmi lesquels il faut citer, à son grand honneur, celui d'avoir aidé à retrouver les titres littéraires de son pays, et d'avoir été un des instigateurs d'une sorte de renaissance anglaise. Je m'explique.Depuis la Restauration, les œuvres qui aujourd'hui encore restent les plus grandes du génie anglais avaient été délaissées, et, on peut le dire, oubliées de l'Angleterre; les motifs politiques et religieux, la culture française mise à la mode par Charles II, les goûts frivoles, tout avait aidé à couvrir d'un épais voile d'oubli toutes les plus belles productions où ce génie s'était épanoui avec la puissance et la richesse les plus imposantes. On a déjà vu comment Shakspeare avait été ou mis de côté, ou, pis encore, irrespectueusement défiguré; ses contemporains et ses prédécesseurs les plus illustres n'avaient pas été mieux traités. Enfin, le seul poète nouveau qui méritât d'être cité à côté d'eux, l'auteur du Paradis perdu, n'avait guère recueilli que le silence et l'indifférence. Tout ce fond solide et vraiment anglais avait été submergé par la litté rature futile de la Restauration. A tel point que Saint-Évremond, qui vécut en Angleterre de 1661 à 1703, dans le commerce de la société la plus choisie, semble à peine avoir entendu parler de Shakspeare; que Sir William Temple, qui fut certaine

de tous nos artifices tragiques, ceux qui me choquent le plus sont ceux qu'on emploie pour nous inspirer de hautes idées des personnages qui parlent. La manière ordinaire de faire un héros est de lui camper sur la tête un énorme panache de plumes qui s'élève si haut que souvent son menton est plus loin du sommet de sa tête que de la plante de ses pieds: on dirait que nous croyons qu'un homme grand et un grand homme sont la même chose. Ceci embarrasse beaucoup l'acteur, qui est obligé de tenir son cou très raide et très immobile pendant tout le temps qu'il parle; et malgré toute l'anxiété où il prétend être pour sa maitresse, son pays, ou ses amis, on voit à son maintien que son plus grand souci et sa plus grande préoccupation sont d'empêcher son panache de tomber de sa tête » (n° 42). - Le no 44, sur le même sujet, est aussi bien spirituel.

*

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1. Il ne le cite qu'une fois, et encore d'une façon tout à fait incidente. Il écrit à la duchesse de Mazarin Entendez tous les soirs la comédie de Henri VIII ou celle de la reine Elizabeth **. * »; et une double note qui se rapporte à ce passage dit : « Composée par le fameux Shakespear, mort en 1616 **; Composée par Thomas Heywood, qui fleurissoit sous les Regnes d'Elisabeth et de Jaques I. Toutes les Pieces de Théatre de ces tems-là sont extrêmement longues, et fort ennuyeuses. (Œuvres meslees, 1705, II, p. 306,

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