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d'armée considérable; et, comme sur les derrières la poussière était plus épaisse, on se figurait qu'une forte cavalerie fermait la marche. Les Romains y étaient trompés comme les Samnites; et Papirius annonçait que la ville de Cominium venait d'être prise; que Carvilius accourait victorieux; et qu'il fallait se hâter de vaincre, pour n'en pas laisser la gloire à cette autre armée. En cela, le consul mentait aussi crûment qu'un gardien des poulets sacrés : il savait bien que c'était la troupe de Spurius Nautius (d'autres disent Octavius Métius). Il avait chargé cet officier de conduire tous les mulets de l'armée, avec des cohortes auxiliaires, derrière une éminence, et, dès que l'action serait pleinement engagée, de se montrer sur la hauteur, en faisant le plus de poussière qu'il pourrait. Nautius exécutait ce mouvement; et les valets, montés sur les mulets, traînaient par terre de longues branches garnies de feuilles, qui épaississaient de plus en plus le nuage: TiteLive et Frontin ont exposé ainsi ce stratagème. Le consul avait aussi donné aux deux commandants de la cavalerie, Cédicius et Trébonius, l'ordre de la précipiter sur les ennemis, au moment où ils le verraient élever et agiter sa lance en l'air. En même temps qu'il faisait ce geste, il prescrivit aux tribuns légionnaires et aux centurions de ménager des ouvertures pour les cavaliers, qui en effet, tant il avait bien concerté ses mesures, fondirent en un clin d'oeil sur les Samnites. Pour le coup, la légion linteata oublia ses serments, et prit la fuite, ayant peur, en ce moment, des Romains plus que de ses chefs et des dieux; car la peur se déplace aisément; et il n'y a pas de ressort plus douteux, de moins sûr garant des actions humaines. Pour former

des braves à l'épreuve de tous les périls, il ne faut pas fonder sur de vaines terreurs le courage qu'on leur commande; ce sont les sentiments généreux, l'amour de la liberté, de la justice, de la patrie, de la gloire, qui font les guerriers intrépides et les citoyens vertueux. Voilà donc l'infanterie samnite qui se sauve au camp d'Aquilonie, tandis que la cavalerie et la noblesse se réfugient à Bovianum. Les Romains les poursuivent, les Romains dont l'aile droite est conduite au camp ennemi par le lieutenant Volumnius, la gauche à la ville d'Aquilonie par Lucius Scipion. Volumnius s'est bientôt rendu maître du camp. La ville oppose un peu plus de résistance à Scipion; mais il encourage ses soldats, excite leur émulation, élève son bouclier sur sa tête, et marche droit à la porte. On le suit; la place est forcée; on occupe les murs; mais on se voit en trop petit nombre pour oser s'engager dans les rues.

Le consul Papirius ignorait encore ce succès, et s'occupait à faire rentrer l'armée; car le jour tombait, et la nuit pouvait cacher des piéges, redoutables même à des troupes victorieuses. Cependant il s'aperçoit que le camp des Samnites est pris, il entend les clameurs qui retentissent des murs d'Aquilonie, et n'hésite plus à y conduire son armée. Les Samnites se pressèrent d'évacuer cette place. Ils avaient perdu ce jour-là trente mille trois cent quarante hommes, outre trois mille huit cent soixante-dix prisonniers et quatre-vingt-dixsept étendards. On avait remarqué pendant la bataille la joie qui éclatait sur le visage de Papirius; il avait promis qu'avant de boire la première rasade de vin, prius quam temetum biberet, il offrirait à Jupiter pocillum mulsi, un petit coup de vin miellé, traduit

M. Dureau de la Malle. Ce vou toucha le cœur des dieux, qui rendirent les auspices favorables, de menaçants qu'ils avaient été.

Carvilius, l'autre consul, n'était pas moins heureux à Cominium; il avait détaché dix cohortes auxiliaires et des cavaliers, pour aller, sous les ordres du lieutenant Décimus Brutus Scéva, à la rencontre des vingt cohortes samnites dont Papirius lui avait annoncé l'approche. Le surplus de l'armée de Carvilius escalada les murs de Cominium, poursuivit l'ennemi dans l'intérieur de la place, tua trois mille quatre cent quatrevingts hommes, et en força onze mille quatre cents à se rendre à discrétion. On s'attendait à un troisième combat entre Cominium et Aquilonie; mais Brutus Scéva n'y rencontra point les vingt cohortes samnites; elles avaient reçu contre-ordre, en sorte qu'elles ne se trouvèrent ni à l'une ni à l'autre bataille : elles restèrent sur le chemin, couchées par terre, sans dormir, attendant et craignant le jour. A la vue d'un corps de cavalerie romaine, elles prirent la fuite; deux cent quatre-vingts traîneurs furent atteints et massacrés; le reste gagna Bovianum : ainsi Rome avait partout triomphé. Les consuls abandonnèrent aux soldats le pillage des deux villes. Quand on eut dépouillé toutes les maisons on y mit le feu Aquilonie et Cominium disparurent en un même jour. Tite-Live s'arrête à décrire la distribution des récompenses, qui se fit en présence des deux armées réunies. Papirius surtout se montra fort libéral son neveu, pour s'être distingué à la tête de la cavalerie; Nautius, pour avoir si bien effrayé l'ennemi par la marche des mulets; quatre centurions et un manipule entier de hastats, pour avoir forcé la porte et

les murs d'Aquilonie, reçurent des bracelets et des couronnes d'or; et tous les cavaliers, sans exception, des aigrettes et des bracelets d'argent. Un conseil de guerre décida que, les Samnites étant aux abois, c'était une raison de les poursuivre à outrance, afin d'en finir avec eux ; que, puisqu'ils n'avaient plus d'armée en campagne, il fallait assiéger les places qui leur restaient, détruire toutes leurs ressources, et s'enrichir partout de leurs dépouilles. Papirius alla donc faire le siége de Sépinum; et Carvilius, celui de Volana. Sépinum, aujourd'hui Sepino, est au pied de l'Apennin, près de la source du Tamaro; comme on ne sait où retrouver Volana, on s'autorise d'un ancien manuscrit pour changer ce nom en Vélia, ville que les anciens géographes ont nommée, et dont on croit reconnaître des vestiges près de Pisciotta, dans l'Abruzze citérieure.

A Rome, la nouvelle de ces victoires donna lieu à quatre jours de réjouissances et d'actions de grâces, et calma les alarmes qu'inspirait un nouveau soulèvement des Étrusques. Ils venaient de brûler et de saccager les territoires des villes alliées de Rome; des députés de ces villes, introduits dans le sénat par le préteur Marcus Atilius, demandèrent de prompts secours. On leur répondit qu'au premier jour les Étrusques éprouveraient le sort des Samnites; et, comme on apprit la défection des Falisques depuis si longtemps alliés, on se pressa de leur déclarer la guerre, par le ministère des féciaux, au nom du sénat et du peuple. On ordonna aux consuls de tirer au sort lequel des deux passerait du Samnium en Toscane avec son armée; mais Carvilius avait déjà pris Volana ou Vélia, Palumbinum, qui répondait peut-être à Palombara

dans la Campanic, et, après deux batailles rangées, Herculaneum, place dont on a peine à déterminer la position; car il y a peu d'apparence que ce soit Herculanum au pied du Vésuve. Le succès des deux batailles avait été fort incertain; et les pertes de Carvilius y avaient surpassé celles des ennemis : il finit néanmoins par s'emparer d'Herculaneum. Là et dans les deux autres places, il tua en tout un peu moins de cinq mille Samnites, et en fit prisonniers un peu plus de cinq mille. Le sort chargea ce consul de l'expédition d'Étrurie; et Papirius, resté dans le Samnium, eut à soutenir plusieurs combats avant de prendre Sépinum. Il y entra enfin, y fit un peu moins de trois mille prisonniers, et mit à mort sept mille quatre cents hommes. Dans l'ouvrage de Lévesque, on a imprimé Pépinum au lieu de Sépinum, et huit mille prisonniers au lieu de trois mille. Mais, à propos de ces nombres et de tous les précédents, de ceux surtout qui semblent précis, Lévesque s'étonne avec raison de cette exactitude : les anciens généraux avaient-ils donc des moyens de mieux savoir combien leurs ennemis avaient perdu de guerriers, que les généraux modernes ne savent combien d'hommes composent leurs propres armées? Mais il y aurait auparavant, Messieurs, une critique particulière à faire du compte de trois mille huit cent soixante-dix prisonniers et de trente mille trois cent quarante morts à la journée d'Aquilonie; car c'est un total de trente-quatre mille deux cent dix ; et Tite-Live n'a porté qu'à trentesix mille l'armée samnite qui essuya cette défaite. Il n'en serait donc resté que dix-sept cent quatre-vingtdix; et cependant l'historien dit que la noblesse et la cavalerie se réfugièrent à Bovianum. Il les peint comme

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