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assez nombreuses pour s'embarrasser dans leur fuite, et les fait arriver sans perte, agmine incolumi, au lieu de leur retraite. Orose réduit la perte des Samnites près d'Aquilonie à douze mille tués et trois mille prisonniers; et ce calcul est plus admissible.

Tout le pays se couvrant de neige, Papirius revint à Rome, où il rentra en triomphe; la solennité en fut magnifique, par les décorations que rapportaient les cavaliers et les fantassins. On ne voyait que couronnes civiques, vallaires et murales, civicæ coronæ, vallaresque ac murales. La couronne vallaris ou castrensis se décernait au soldat entré le premier dans un camp ennemi; elle avait des rayons d'or qui représentaient une palissade. On admirait aussi les riches dépouilles des Samnites, et l'on distinguait parmi les prisonniers des personnages d'un rang éminent. Des chariots portaient deux millions six cent soixante mille livres de cuivre, et six cent soixante marcs d'argent pris dans les villes. Au grand déplaisir de l'armée et du peuple, tout cet argent et tout ce cuivre furent déposés au trésor public, sans gratification pour le soldat, et sans réduction du tribut à payer pour la solde des troupes; en quoi Tite-Live semble trouver Papirius répréhensible. C'était, dit-il, sacrifier trop d'intérêts à sa vanité, au plaisir de se vanter d'avoir enrichi le trésor, gloria captiva pecuniæ in ærarium illatæ. Ce consul dédia le temple de Quirinus voué par son père, et l'orna, ainsi que le Forum, d'une partie des dépouilles qu'il rapportait de sa glorieuse campagne; il en restait encore une quantité considérable, dont il gratifia les alliés et les colonies; ensuite, il mena son armée hiverner dans le territoire de Vescia, toujours menacé

par les Samnites. Cependant Carvilius en Étrurie avait attaqué Troilium, ou Trossulum, ville située vers l'endroit où est aujourd'hui Montefiascone. Il en laissa évader quatre cent soixante-dix habitants, moyennant de grosses sommes d'argent qu'ils lui payèrent; tout le reste de la population tomba en son pouvoir, quand il eut emporté la place. Sur des monts escarpés s'élevaient cinq châteaux forts; il les prit, y tua deux mille quatre cents hommes, et fit environ deux mille prisonniers. Les Falisques demandaient la paix; il leur accorda un an de trêve, en exigeant d'eux, cent mille livres de cuivre, et la solde de son armée pendant une année. L'honneur du triomphe récompensa ces exploits de Carvilius il déposa au trésor trois cent quatrevingt-dix mille livres de cuivre; et, avec le surplus, il bâtit un temple à la Fortune, près de celui que le roi Servius Tullius avait dédié à la même déesse. Elle est ici appelée Fors Fortuna par Tite-Live; Varron la nomme Fortuna Fortis ; et Ovide, Fortis dea:

Ite, deam læti Fortem celebrate, Quirites;

c'était la Fortune des braves. Plus populaire que son collègue, Carvilius réserva une part de son butin aux guerriers chaque soldat reçut cent deux as; les centurions et les chevaliers, chacun deux cent quatre.

Ces libéralités acquirent à ce consul une faveur qui s'étendit sur son lieutenant Posthumius, celui qui avait été consul l'année précédente et honoré d'un triomphe malgré le sénat. Le tribun du peuple Marcus Scantius avait, à l'instigation des nobles, accusé Posthumius, qui, pour se soustraire aux poursuites, s'était chargé d'une lieutenance militaire. L'année étant révolue,

Scantius et les autres tribuns avaient été remplacés par de nouveaux personnages, qui, à raison d'on ne sait quelle irrégularité dans leur élection, furent obligés de céder leur place à d'autres : on ne songea plus au procès de Posthumius.

Tite-Live place en l'année 293 la clôture du lustre par les censeurs Cornélius Arvina et Marcius Rutilus; c'étaient, dit-il, les vingt-sixièmes censeurs et le dix-neuvième lustre; on y dénombra deux cent soixante-deux mille trois cent vingt-deux citoyens. Il ajoute qu'en cette même année les citoyens assistèrent aux jeux romains avec des couronnes sur la tête, en réjouissance des succès de la campagne; et que c'était aussi pour la première fois qu'à l'exemple des Grecs, on donnait des palmes aux vainqueurs. Il remarque de plus que les édiles curules qui présidèrent à ces jeux firent paver ou caillouter (silice perstrata ) le chemin qui conduisait du temple de Mars à Bovilles; les amendes auxquelles furent condamnés des pacagers infidèles payèrent cette construction. Enfin Papirius tint les comices d'élections: on nomma consuls Fabius Gurgès, fils de Fabius Maximus, et Lucius Brutus Scéva; et l'on décerna la préture à Papirius lui-même. C'eût été un temps de prospérité, sans la peste qui désola la ville et les campagnes; ce fléau avait, disait-on, le caractère des prodiges qui annoncent le courroux du ciel. On consulta les livres sibyllins; on y trouva qu'il fallait faire venir Esculape d'Epidaure à Rome; et, comme cela ne pouvait s'exécuter dans l'année même, à cause de la guerre, on se contenta d'un jour de supplications adressées à ce dieu: Unum diem Esculapio supplicatio habita est. C'est par ces mots que se termine la première décade

de Tite-Live, dont les derniers chapitres, relatifs au consulat de Papirius fils et de Carvilius, ne laissent pas de présenter des difficultés assez graves, outre celles que j'ai déjà ou exposées, ou essayé d'éclaircir d'abord, le lustre des censeurs Arvina et Rutilus eût été mieux placé sous l'année précédente 294. Il n'est pas le dix-neuvième, mais le trentième selon les Fastes. Apparemment Tite-Live ne tient pas compte de ceux qui ont eu lieu avant l'établissement de la censure; mais, à partir même de ce terme, il en supprime encore un. D'un autre côté pourtant, Rutilus et Arvina ne sont que les vingtièmes censeurs, et non les vingt-sixièmes; ils décernèrent à Fabius Maximus le titre de prince du sénat, ou la première place dans la liste des sénateurs ; et Pline l'Ancien observe que le père de Fabius, et son fils Gurgès, ont reçu la même distinction. Tite-Live a négligé de parler de la préture qu'exerça Marcus Atilius Régulus, immédiatement après avoir été consul, et tandis que Papirius et Carvilius l'étaient. On attribue à ce préteur le règlement sur les tutelles, appelé loi Atilia, et qui, à défaut de tuteur testamentaire ou nommé par le père, et du legitimus tutor, c'est-à-dire du plus proche parent des pupilles, chargeait le préteur d'en instituer un, soit de sa propre autorité, soit, comme le suppose Ulpien, avec le concours de la majorité du collége des tribuns. Il y a des auteurs qui attribuent cette loi à un autre Atilius, tribun du peuple en 311, dix-huit ans avant l'époque dont nous sommes en ce moment occupés. Les tuteurs ainsi nommés se distinguaient par la qualification d'Atiliens.

Tite-Live a donné à Papirius tout l'honneur de la journée d'Aquilonie. Mais, dans les Fastes capitolins,

Carvilius triomphe des Samnites et non des Étrusques, un mois avant que Papirius obtienne la même récompense; et Pline l'Ancien nous apprend qu'avec les armures enlevées à la légion consacrée ou lintéenne des Samnites, ce même Carvilius érigea dans le Capitole une statue en bronze à Jupiter; statue colossale qui s'apercevait du mont d'Albe, à plus de douze milles de Rome. Il resta même des rognures de ce colosse de quoi fondre la propre statue du consul Carvilius, laquelle demeura placée tout auprès : Fecit et Spurius Carvilius Jovem qui est in Capitolio, victis Samnitibus sacrata lege pugnantibus, e pectoralibus eorum, ocreisque et galeis. Amplitudo tanta est, ut conspiciatur a Latiario Jove. Reliquiis lima suam statuam fecit, quæ est ante pedes simulacri ejus. Voilà, Messieurs, des monuments et des rapports qui jettent au moins quelque incertitude sur ce que Tite-Live nous a raconté des exploits de Papirius. On a soupçonné aussi quelque exagération dans ces énormes quantités de cuivre, d'argent et d'or que les Romains rapportent du Samnium. Les copistes du moins ont pu altérer les chiffres, qui ne sont pas les mêmes en tous les manuscrits; en sorte qu'il nous est impossible de nous en former des idées précises, outre que le rapport des anciennes mesures avec les nôtres n'est pas, à beaucoup près, aussi bien éclairci que tous les érudits s'accordent à le supposer, en soutenant chacun une opinion particulière qui contredit toutes les autres. A s'en tenir aux chiffres du manuscrit de Tite-Live provenant de la bibliothèque de Colbert, on trouverait, selon les plus modestes calculs, une valeur d'un milliard deux cent millions de nos francs, en métaux transportés du Samnium à Rome, dans une

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