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seule année, sans compter les autres dépouilles. En ajoutant ce qu'on avait détruit par incendie ou démolition, et ce qu'enfin l'on avait laissé sur la terre des vaincus, on prendrait une très-haute idée de la richesse de ces Samnites, dont le territoire n'équivalait point à deux ou trois de nos départements. Certes l'État romain, dont la population civile et libre ne s'élevait encore qu'à deux cent soixante-deux mille trois cent vingt-deux citoyens, et qui ne comptait en tout qu'un million ou que douze cent mille habitants, aurait fait, en cette année-là, de très-magnifiques affaires. Le profit, également distribué entre tout ce qu'il renfermait d'hommes, de vieillards, de femmes, d'enfants, et même d'esclaves, eût été d'environ mille francs par tête.

Enfin, Messieurs, Tite-Live a négligé de faire mention d'un cadran solaire établi à Rome sous le consulat de Carvilius et de Papirius. Longtemps les Romains n'avaient distingué dans le jour que le lever et le coucher du soleil; les Douze Tables n'employaient pas d'autre indication. Plus tard ils observèrent grossièrement le milieu de la journée : quand les rayons du soleil passaient entre la tribune aux harangues et la maison des ambassadeurs étrangers, un héraut criait qu'il était midi. Ils prenaient pour la dernière heure celle où le soleil déclinait de la colonne Ménia à la prison; et, quand cet astre était caché par d'épais nuages, ils ne savaient plus s'y reconnaître. Papirius, en dédiant le temple de Quirinus voué par son père, y plaça un cadran solaire, onze ans avant la guerre de Pyrrhus : voilà du moins ce que Pline extrait d'un historien nommé Fabius Vestalis, et qui paraît distinct de Fabius Pictor. Pline observe que ce Fabius ne dit point d'où

venait ce cadran, quel artiste l'avait construit, ni quel auteur plus ancien en faisait mention. Il y a une autre raison de douter de ce rapport : c'est que Varron, cité aussi par Pline, assurait qu'aucun cadran solaire n'avait été vu à Rome avant celui que Valérius Messala apporta de Catane en 263, c'est-à-dire trente ans plus

tard.

Quoiqu'en 293 les Samnites eussent perdu quarantesept mille neuf cent vingt hommes sur divers champs de batailles, outre plus de vingt mille prisonniers, et que, dans les quarante-six années précédentes, ils eussent presque toujours essuyé des pertes considérables, ils se . trouvèrent en état de recommencer une campagne en 292, comme si de rien n'était. Tite-Live en faisait le récit dans son livre XI, qui est, vous le savez, malheureusement perdu. On y supplée par l'épitome de ce livre, et par des textes ou fragments de divers auteurs, Cicéron, Ovide, Valère Maxime, Frontin, Plutarque, Florus, Aurélius Victor, Eutrope, Dion Cassius, Pausanias, Polyen, Orose, Paul Diacre, Zonaras et Suidas. C'est en recueillant ces textes que Freinshémius et, après lui, Catrou, Rollin et d'autres modernes, ont rétabli l'histoire du consulat de Fabius Gurgès et de Junius Brutus Scéva, qui s'ouvre au 26 mars 292. Si l'on en croit Valère Maxime, l'élection de Fabius Gurgès avait été traversée par son propre père, Fabius Maximus, qui exhortait les Romains à ne point prendre si souvent leurs magistrats dans une même famille. C'était effectivement une imprudence, dont ils ne pouvaient manquer de se repentir un jour. Mais, peut-être, l'opposition de Fabius père venait-elle seulement de la mauvaise conduite de son fils, à qui ses

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débauches et sa prodigalité avaient mérité le surnom de Gouffre, Gurges. Brutus Scéva, l'autre consul, n'était pas un habile guerrier; et l'on soupçonne Papirius de s'être donné exprès des successeurs incapables d'éclipser ou d'affaiblir sa propre gloire, et de terminer la guerre. L'incapacité de ces deux magistrats, et la peste qui désolait Rome, enhardirent les Samnites à reprendre les armes; ils dévastèrent la Campanie, et entraînèrent les Falisques à tenter une expédition nouvelle. Le sort envoya Gurgès au Samnium, et Brutus Scéva à la rencontre des Falisques; mais on leur donna des lieutenants illustres à Scéva, Carvilius; et à Gurgès, son père Fabius Maximus. Scéva eut la sagesse de suivre les conseils de Carvilius : les Falisques furent repoussés et vaincus. Gurgès, au contraire, se pressa de partir pour la Campanie, sans attendre son père; il reçut un violent échec, perdit trois mille guerriers, et ramena un plus grand nombre de blessés, dont il ne prit aucun soin; il avait laissé fort loin les chirurgiens avec les bagages. C'en était fait de toute cette armée romaine, si l'annonce de l'arrivée prochaine du grand Fabius n'eût arrêté l'élan des Samnites. Il n'était pourtant pas encore parti de Rome, où il intercédait pour son fils, que les tribuns du peuple voulaient rappeler, et traduire en jugement. On écouta le vieillard; on accepta l'offre qu'il fit d'aller servir lui-même sous Gurgès; et peut-être la fonction de lieutenant ne lui a-t-elle été déférée qu'à cette époque. Son nom seul attira autour de lui un grand nombre de volontaires de toutes les villes latines; car Rome, toujours ravagée par la maladie contagieuse, ne fournissait plus de levées. Le vieux Fabius accourt en Campanie avec ces

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renforts, et se prépare à livrer bataille. Les Samnites étaient commandés par Pontius Hérennius, qui devait être aussi d'un âge fort avancé; car c'était celui qui, vingt-neuf ans auparavant, faisait passer les Romains sous le joug aux Fourches Caudines. Fabius se jeta à travers le bataillon ennemi qui enveloppait Gurgès, et cette audace décida la victoire. Orose dit qu'on tua vingt mille Samnites; qu'on en prit quatre mille, y compris leur roi Casa sunt in eo prælio Samnitium viginti millia, capta autem quatuor millia cum rege suo. Ce roi n'était sans doute que le général Pontius. Il est superflu d'ajouter qu'on pilla son camp. On distribua aux soldats une partie du butin, et l'on remit l'autre aux questeurs pour le trésor public. Posthumius Mégellus tint, en qualité d'entre-roi, les comices, où il fut élu, pour la troisième fois, consul avec Caius Junius Brutus Bubulcus, qui n'avait point encore exercé cette magistrature. Ils entrèrent en charge le 26 mars 291.

Posthumius est dépeint, dans le Lexique de Suidas, comme un ambitieux et arrogant personnage. Il eut des démêlés avec son collègue et avec Fabius Gurgès, que, malgré ses fautes, on maintenait à la tête de l'armée du Samnium, avec le titre de proconsul, mais à condition que son père continuerait d'être son lieutenant. Le consul Posthumius voulut aussi marcher contre les Samnites; mais il paraît que les progrès de la peste suspendirent son départ. Il n'y avait plus moyen de retarder l'exécution de la mesure prescrite par les livres sibyllins: il fallait aller chercher Esculape à Épidaure; ordre qui aurait pu sembler fort raisonnable, s'il avait signifié seulement qu'il convenait

d'étudier la médecine ou d'implorer ses secours. Mais vous savez, Messieurs, qu'Esculape avait une légende, ou même plusieurs légendes; car Cicéron distingue trois Esculapes. Le plus connu, celui dont nous voulons parler ici, était né au treizième ou quatorzième siècle avant notre ère, à Messène. Ses parents l'avaient exposé au fond d'une forêt : des chasseurs le recueillirent, et le firent allaiter par une chienne. Le centaure Chiron lui apprit l'art de guérir; et le disciple, bientôt plus habile que le maître, vint s'établir à Épidaure: il inventa la sonde, les bandages, les purgations, et l'art d'arracher les dents. On le reconnut enfin pour fils d'Apollon et de la nymphe Coronis; et on lui éleva un temple près de la même ville, sur une hauteur et au grand air, habitation convenable au dieu de la santé. Ses prêtres nourrissaient un serpent, qui s'apprivoisa, et que le peuple révéra comme le dieu même. Ce reptile suivait volontiers tout le monde, et ne mordait personne. Il se tenait ordinairement caché sous le pied de la statue d'Esculape, faite par le sculpteur Thrasymède; et, lorsqu'il en sortait, c'était l'annonce d'une guérison. Les ambassadeurs romains avaient pour chef Ogulnius introduits dans le temple, ils admiraient la statue, quand le serpent s'offrit à leur regard. Ils eurent le bonheur incroyable d'obtenir des Épidauriens la permission de l'emporter à Rome de lui-même, il sortit du temple, traversa la ville, vint droit au port, y distingua le vaisseau romain, entra dans la chambre d'Ogulnius, et s'y arrêta. Valère Maxime et Aurélius Victor fournissent ces détails; mais le père Catrou, qui ne veut jamais croire aux miracles païens, conjecture que le maître du serpent le précédait, et lui servait de

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