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peupler douze villes au lieu de deux ou trois; l'autre, de rebâtir Carthage. On envoya Caius lui-même diriger cette reconstruction. Informé qu'on profitait de son absence pour jeter des soupçons sur sa conduite, et pour le rendre, s'il se pouvait, odieux au peuple, il revint à Rome, et se présenta pour être une troisième fois nommé tribun. Il n'y réussit point, à cause des infidélités qui se commirent, dit-on, dans le recensement des suffrages. Dès lors, ses ennemis ne gardèrent plus de mesures le consul Opimius assembla les comices pour casser toutes les lois de Caius. Celui-ci s'y rendit avec ses partisans nombreux, dont il ne put retenir l'emportement ils tuèrent, malgré ses efforts, le licteur Antistius, qui leur criait : « Loin d'iei, factieux! place aux «honnêtes gens. » La mort de ce licteur servit de prétexte à déclarer que la patrie était en danger; et les consuls, investis par la formule Videant ne quid detrimenti d'un pouvoir extraordinaire, s'en servirent pour armer leurs partisans contre ceux des Gracques. Opimius refusa tout accommodement; et, lorsqu'il eut proclamé une amnistie en faveur de ceux qui se soumettraient à lui, Caius se vit bientôt abandonné de la multitude. On raconte que, d'un temple de Diane, qui d'abord lui servit d'asyle, le malheureux Caius s'enfuit dans un bois consacré aux Furies, où, par son ordre, un de ses esclaves le poignarda, et se tua sur son corps. Ses ennemis, qui le poursuivaient, arrivèrent, coupèrent sa tête et la portèrent au consul Opimius, qui avait promis de la payer au poids de l'or. On dit que les assassins la remplirent d'une telle quantité de plomb, qu'elle pesa dixsept livres. Le corps fut jeté dans le Tibre, avec ceux de plus de trois mille citoyens exterminés dans cette jour

née. Les nobles n'en avaient immolé que trois cents avec Tibérius; mais leur patriotisme était devenu dix fois plus ardent. Nous avons vu le peuple romain se livrer quelquefois à de coupables violences, sans approcher néanmoins d'un si haut terme. On regretta bientôt les Gracques; on leur érigea des statues aux lieux où ils avaient péri; on garda le souvenir de l'extrême douceur de Tibérius, de l'intrépide énergie de Caius, des talents de l'un et de l'autre, surtout de leur éloquence, à laquelle Cicéron, né quinze ans après la mort du second, a rendu plusieurs fois hommage.

Cicéron a d'ailleurs jugé fort sévèrement leur conduite politique. Ils ont eu, parmi les anciens écrivains, bien d'autres censeurs : tout le monde a retenu le vers de Juvénal :

Quis tulerit Gracchos de seditione querentes?

et la plupart des auteurs modernes les ont condamnés avec encore moins de réserve. Crévier les appelle factieux, séditieux, méchants citoyens; il voit dans leur mort un supplice justement mérité; c'est, dit-il, l'avis de tout ce qu'il y a eu de tétes plus sages et plus sensées. Salluste néanmoins et Plutarque ne sont pas si décisifs; ils ne reprochent guère à ces deux tribuns célèbres que trop de chaleur à soutenir une bonne cause; Appien va jusqu'à dire la meilleure de toutes les causes. Vertot ne les condamne qu'avec infiniment de restrictions, tandis qu'il n'en met aucune au jugement rigoureux qu'il prononce contre le cruel Opimius, qui, dit-il, après avoir répandu tant de sang, n'eut point honte d'élever un temple à la Concorde. Le peuple ne regardait ce temple qu'avec horreur, comme

un monument d'orgueil et de cruauté. Saint-Réal termine ce qu'il a écrit sur les Gracques par ces mots : « Il << n'est pas encore décidé s'ils étaient coupables d'ambi«<tion, ou purement zélés pour la liberté du peuple. » Beaufort a pris ouvertement leur défense; et ils ont trouvé enfin un panégyriste dans l'auteur très-instruit qui a publié, en 1783, des Discours et réflexions critiques sur l'histoire et le gouvernement de Rome, en trois volumes in-12. Mais nous ne pouvons entrer aujourd'hui dans l'examen de ces troubles; cette matière nous fournira un jour le sujet de plusieurs

séances.

En ces temps d'inconstance et de perfidie, on trouva trop aisément un tribun, Lucius Calpurnius Bestia, disposé à flétrir la mémoire des Gracques, et à préconiser leurs adversaires. Papirius Carbon, jadis leur collègue et leur ami, prit la défense de l'implacable Opimius. Une seule voix courageuse s'éleva, du sein du tribunat, contre ee sanguinaire ex-consul; c'était celle de Publius Décius Mus, le descendant de deux guerriers illustres. Mais l'accusation qu'il intenta resta sans effet; seulement on n'osa point encore abroger toutes les lois des Gracques. Caius Marius, depuis si célèbre, commença en 119 sa carrière politique par l'exercice des fonctions tribunitiennes : il proposa une loi relative aux formes des élections, et qui tendait à diminuer l'influence des nobles. Mandé par le consul Cotta devant le sénat, il y vint, non se justifier, mais accuser Cotta d'avoir outre-passé ses pouvoirs, et le menacer de la prison s'il ne se rétractait à l'instant même. Ce fut le parti que prit en effet le prudent consul; et la loi de Marius passa. On vit avec surprise un tribun

si populaire repousser une autre loi qui avait pour objet une distribution gratuite de blés aux prolétaires. Quelquefois encore, dans les dernières années du second siècle avant notre ère, le tribunat s'est honoré par d'énergiques réclamations contre la vénalité du sénat, au sein duquel Jugurtha et ses envoyés achetaient des protecteurs. Memmius surtout dénonça des généraux perfides, des commissaires infidèles, Calpurnius, Scaurus et Jugurtha même. Salluste nous apprend de quelles couleurs Memmius peignait les vices des sénateurs romains. Le collége des dix magistrats plébéiens voyait alors des consulaires et un roi prosternés à ses genoux; mais bientôt il se rencontra dans ce collége un Bébius, dont l'opposition, évidemment payée, montra que la corruption avait atteint toutes les classes d'hommes publics. Marius, devenu consul perpétuel, eut à sa disposition un simulacre de tribunat; là, un vil Saturninus feignait de l'outrager, afin de le mieux servir, et se perpétuer lui-même, par des fourberies et par des assassinats, dans la magistrature populaire. Là, on proscrivait Métellus le Numidique, l'un des meilleurs citoyens de cette époque. Cependant Saturninus succomba enfin, délaissé ou brisé même par Marius, son complice; le peuple, qu'on avait trompé, qu'on trompait encore, se déchaîna contre ses tribuns : il massacra Saturninus et Furius, et condamna Titius au bannissement. La chute de ces misérables a nui à la réputation des Gracques, dont ils n'avaient cessé d'invoquer le nom à l'appui de leurs criminelles entreprises. Mais toutes ces intrigues étaient si ténébreuses, toutes ces manoeuvres si compliquées, que je ne pourrai vous en bien tracer le tableau que

lorsque je développerai devant vous cette partie des

annales romaines.

En 94, les patriciens parvinrent à placer plusieurs citoyens de leur classe dans le tribunat plébéien; un Sextius, un Marcellus, d'autres nobles personnages : c'était l'un des symptômes de la décadence de cette magistrature. Livius Drusus, en l'exerçant, rouvrit aux sénateurs l'entrée des tribunaux ou cours de justice: il partagea entre eux et les chevaliers le pouvoir de juger. Jaloux pourtant de se ménager la faveur du peuple, il reproduisit les lois agraires, fit ordonner des distributions de blés, et fonder des colonies. Il passe pour avoir, le premier dans Rome, altéré les monnaies; il imagina de soulager le trésor public, en faisant entrer dans les pièces d'argent un huitième de cuivre. Un jour, il fit arrêter et traîner en prison par un de ses clients le consul Philippus, qui avait osé l'interrompre pendant qu'il haranguait le peuple. On forma contre la vie de Livius Drusus une conspiration, dans laquelle entra l'un de ses collègues; et il périt assassiné en 90. Deux ans après paraît le tribun Sulpicius, créature de Marius : il vend publiquement les droits de cité; il lève trois mille jeunes sicaires, dont plusieurs l'accompagnent partout; et il doune à cette escorte le nom d'anti-sénat. A force ouverte, il se rend maître des suffrages; mais, à ces nouvelles, Sylla, consul pour la première fois en cette année, accourt de son camp; il arrive dans Rome à la tête d'une partie de son armée, et force, à son tour, les comices d'annuler les lois de Sulpicius, et de déclarer que désormais les tribuns ne proposeront de lois au peuple qu'après les avoir présentées au sénat; que, de plus, les comices du champ

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