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possint, mandare litteris qui cogitat, is et otio abuti, et de litteris ipsis male mereri simul cogitat. Ces sentiments sont fort honorables; mais, quoi qu'en dise Paul Manuce, il y a pourtant aussi une instruction à puiser dans le triste tableau de la servitude et des vices s'il n'en était pas ainsi, il faudrait supprimer les neuf dixièmes des annales humaines. Dion Cassius rapporte qu'après la défaite de Pompée, les Romains conférèrent à Jules César le droit de s'asseoir sur les bancs des tribuns, et de se considérer comme membre nécessaire de leur collége. C'était jusqu'à un certain point l'investir de la puissance tribunitienne; cependant Tacite assure que ce titre ne fut inventé que par Auguste : Id summi fastigii vocabulum Augustus reperit. L'an 36 avant J. C., un sénatus-consulte défendit d'attaquer la réputation et la personne de l'empereur, sous les peines portées contre ceux qui attentaient à la dignité sacrée des tribuns; le droit de prendre place sur les siéges de ces magistrats du peuple, ainsi qu'avait fait Jules César, est expressément indiqué dans ce décret. Pour s'investir plus pleinement et plus régulièrement de ce pouvoir, Octave, en l'année 29 avant notre ère, se fit élire tribun du peuple dans les comices par tribus, en même temps qu'il était pour la quatrième fois consul, en vertu d'une élection en comices par centuries: un plébiscite le déclara tribun pour toute sa vie, et l'arma ainsi du pouvoir d'entraver les actes du sénat, s'il pouvait jamais s'élever dans ce corps, déjà le plus asservi de tous, quelque mouvement d'indocilité. Sous l'an 23, Dion Cassius, après avoir dit qu'Octave abdiqua la puissance consulaire, parle d'un sénatus-consulte qui le fit, pour toute sa

vie, tribun du peuple. Mais il l'était déjà par un plébiscite; et le sénat n'avait aucun droit, comme aucun besoin, de lui attribuer cette puissance. Il y a donc quelque embarras dans ce texte de Dion, qui néanmoins confirme ce que nous venons de dire de ce développement du despotisme impérial. Chaque année, le 27 juin, anniversaire du jour où on l'avait fait tribun, Octave reprenait solennellement possession de cette charge; et il continua ce manége (c'est l'expression de la Bletterie) jusqu'à l'an 14 de notre ère, époque de sa mort. Ses successeurs l'imitèrent en ce point; et, jusqu'à l'an 268, l'année de leur puissance tribunitienne est exactement marquée sur leurs médailles. Cette indication se retrouve sur des monnaies de Théodose le Jeune des années 439 et 444, et disparaît ensuite pour toujours. Afin d'expliquer en quoi consistait cette puissance, Dion Cassius donne les détails suivants comme extraits du plébiscite de l'an 29 avant J. C. : Secourir ceux qui réclameront son intervention dans l'enceinte de la ville, et au dehors dans l'espace de huit stades et demi; rendre justice à ceux qui recourront à lui par voie d'appel; avoir droit de donner dans tous les tribunaux un suffrage pareil à celui de la déesse Minerve, c'est-à-dire décisif et entraînant l'absolution, malgré la majorité des suffrages contraires. Voilà du moins comment l'entendent Meursius et Jean-Frédéric Gronovius. C'était le droit de faire grâce, conformément aux paroles que Sénèque, dans son traité de la Clémence, prête à l'empereur romain : Contra legem... servare, nemo (potest) præter me. Quant à la limite de huit stades et demi, on a tout lieu de croire que les empereurs, et même sous eux les

autres tribuns, la franchissaient au besoin; car Suétone raconte que, Tibère ayant été associé par Auguste à la puissance tribunitienne, et s'étant retiré à Rhodes, il y prit parti dans une dispute élevée entre des sophistes; et qu'irrité de quelques mots injurieux que l'un d'eux lui avait adressés, il retourna dans sa maison, en ressortit avec.ses appariteurs, cita le sophiste à son tribunal, et commanda de le traîner en prison; en quoi il usait, selon Suétone, de son droit tribunitien : In quo exercuisse jus tribunitia potestatis visus. La Bletterie imagine que l'usage de se réfugier auprès de la statue de l'empereur était relatif à son pouvoir de tribun; mais cette idée n'a aucun fondement dans l'histoire. La coutume dont il s'agit n'était qu'un résultat de la toute-puissance impériale et de la servitude commune. On rendait au prince des honneurs divins; et sûrement le titre de tribun n'ajoutait rien à cette divinité. Les empereurs avaient jugé à propos de le prendre, parce qu'il était populaire, et afin qu'il n'existât point un tribunat indépendant de leur personne. «La plus importante des attributions impériales, >> dit M. Nougarède dans un ouvrage publié, en 1820, sous le titre d'Histoire de la révolution qui renversa la république romaine, et qui amena l'établissement de l'empire, « la plus importante de ses attributions fut « la puissance tribunitienne, qui plaisait également à << Auguste par les idées de popularité qu'elle réveillait, << par sa nature indéfinie, et par le caractère d'invio<< labilité qu'elle attachait à sa personne. Le plus sou«< vent, il l'énonçait seule après son nom dans les actes << de son autorité. Auguste, dit Tacite, désignait ainsi << sa puissance souveraine, pour éviter les expressions

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« de royauté et de dictature, et marquer néanmoins la prééminence de son autorité sur toutes les autres. Lorsqu'il voulut annoncer son successeur, il se l'as<< socia pour la puissance tribunitienne; et ce fut par <<< cette voie qu'il manifesta son choix. » Je crois, Messieurs, que c'était un titre plutôt qu'une véritable attribution. Ce qu'ont voulu Jules César, Auguste, leurs successeurs, et tous les usurpateurs, c'était le pouvoir souverain, auparavant distribué entre le peuple et différents ordres d'assemblées ou de magistrats. Cette puissance absolue, ils ont craint de l'exposer d'abord dans sa nudité révoltante; ils l'ont déguisée sous les titres des anciennes magistratures républicaines, dont l'abolition subite et universelle leur semblait périlleuse. Il leur a convenu de se revêtir des noms établis et révérés de consuls et de tribuns, même en les partageant avec quelques-unes de leurs créatures; ils savaient bien que des sujets, et surtout des favoris, ne sont jamais des collègues, et peuvent seulement être au besoin des complices. Mais c'en est assez sur le tribunat impérial; écartons les empereurs, omittamus imperatores, comme nous a dit le savant Paul Manuce, et ne cherchons plus qu'à nous former, s'il se peut, des idées justes du tribunat républicain.

J'ai recueilli tous les faits importants dont son histoire se compose; mais il m'a fallu supprimer les détails qui nous auraient beaucoup trop longtemps occupés, et qui d'ailleurs se sont déjà présentés à nous dans les annales romaines que nous avons étudiées jusqu'à l'an 290 avant J. C.; ils continueront de s'offrir à mesure que nous étudierons les trois siècles suivants. Extraire de ces annales tout ce qui concerne le tribunat, ras

sembler tous les faits de ce genre avec leurs circonstances, y joindre des discussions critiques sur la vérité des récits, et des observations sur leurs conséquences politiques, ce serait la matière d'un ouvrage d'une assez grande étendue, et qui pourrait être aussi plein d'instruction que de mouvement et d'intérêt. Seran de la Tour n'en a réellement publié que le titre, et n'en a pas même esquissé le plan. Il n'a d'ailleurs abordé aucune des questions relatives à l'organisation, aux formes et aux attributions de cette magistrature. A la vérité, ces questions sont presque toutes résolues par les faits mêmes dont je vous ai offert un exposé sommaire; mais elles ont pourtant besoin d'être énoncées et classées avec méthode, afin qu'il résulte des réponses dont elles sont susceptibles une suite de notions précises. C'est le soin qui va nous occuper.

Si d'abord on demande quel était le nombre des tribuns, il est assez difficile de déterminer quel il a été au moment même de leur création, en 493; car Cicéron, Denys d'Halicarnasse et Tite-Live diffèrent sur ce point, et nous laissent en doute entre les nombres deux, trois et cinq. Mais il est sûr que ce dernier nombre n'a point tardé à s'établir, et qu'il s'est maintenu jusqu'en 456. Il s'est alors doublé; et les dix tribuns, souvent divisés par les intrigues du sénat, se sont trouvés, en plusieurs circonstances, moins puissants que cinq ne l'auraient été. Il suffisait de tourner l'opposition d'un seul contre le collége même, pour diminuer la force de ses entreprises et de ses résistances : vous en avez remarqué, dans le cours de l'histoire, beaucoup d'exemples que j'ai rappelés dans notre dernière séance et dans celle-ci.

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