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son discours se recommande par un accent romain, par les mouvements de cet orgueil national qui ressemble quelquefois au patriotisme. Cependant, à considérer sans prévention la question qui s'agitait dans l'assemblée des sénateurs, peut-être ne trouverait-on pas si dépourvue de sagesse l'opinion qui tendait à ne pas repousser, après une défaite, les conditions honorables que proposait un roi vainqueur, devenu le chef de la confédération des peuples de l'Italie méridionale. Elles eussent été sans doute acceptées par un peuple libre et paisible, qui, jaloux seulement de son indépendance, n'eût aspiré qu'à perfectionner ses propres institutions, à développer son industrie, à étendre sa prospérité intérieure sans dommage pour ses voisins. Mais il faut se transporter dans le système des destinées politiques de la nation romaine, qui, dès lors, commençait à se croire appelée à conquérir, soumettre et régir impérieusement l'univers: Tu regere. Pour s'élever à un si haut degré de puissance, il lui importait de ne jamais traiter avec des ennemis victorieux, de se montrer indomptable dans l'adversité, fière et superbe après les revers; c'est là, selon Rollin, un grand principe de politique. Je crois qu'en effet de telles maximes conviennent fort aux peuples ambitieux. Il n'en est pas moins évident que, si elles pouvaient être d'un usage universel, leur effet serait d'éterniser toutes les guerres jusqu'à l'entière extermination de l'une des nations belligérantes; et il me semble, Messieurs, que ce n'est point là le plus prospère ni le plus sublime état des sociétés humaines.

Quoi qu'il en soit, on assure que le discours d'Appius, l'attitude et la déclaration des Romains, excitèrent l'ad

miration de leurs ennemis. Pyrrhus, au retour de ses envoyés, leur demanda quel aspect Rome et le sénat leur avaient offert. « Rome nous a paru un temple, ré«pliqua Cinéas, et le sénat une assemblée de rois. » Dans quelques récits, le philosophe Cinéas dit que s'attaquer à la république, c'est combattre l'hydre de Lerne, dont les têtes repoussent à mesure qu'on les coupe; mais ce propos est ailleurs attribué à Pyrrhus lui-même, qui l'aurait tenu en une autre occasion. Vous remarquerez, Messieurs, que ce sont des auteurs latins, Florus, Justin, et avant eux Trogue Pompée, qui les premiers ont rapporté toutes ces paroles si flatteuses pour le nom romain. Je ne prétends pourtant pas qu'elles soient controuvées, ni même invraisemblables; il suffit d'observer que ces particularités ne nous sont connues que par tradition. Il y a lieu de croire que Cinéas, pendant son séjour à Rome, y avait vu célébrer le trentedeuxième lustre, où l'on compta deux cent soixante-dixhuit mille deux cent vingt-deux citoyens capables de service militaire. Ce lustre est mémorable, comme le premier qu'ait célébré un plébéien. Quoiqu'on eût déjà choisi des censeurs dans cette classe, l'honneur de présider à la cérémonie lustrale avait toujours été réservé aux nobles : cette fois il fut déféré au roturier Domitius.

Nous placerons sous cette même année 279 une am: bassade carthaginoise à Rome, dont Polybe, Justin et l'épitome du treizième livre de Tite-Live font mention. Carthage offrait des secours contre Pyrrhus, et avait déjà envoyé sur les côtes d'Italie une flotte de cent vingt voiles, commandée par Magon. Ce général descend à terre, se rend à Rome, et se présente au sénat. It se

et

déclare chargé de mettre sa flotte à la disposition des Romains contre Pyrrhus, qui attaque en eux les anciens alliés de Carthage. Ces offres pouvaient paraître d'autant plus sincères qu'elles n'étaient pas désintéressées. Les Carthaginois avaient soumis les îles voisines de l'Afrique, et presque toutes celles de la mer Tyrrhénienne; et leurs progrès dans l'art de la navigation, qu'ils tenaient des Phéniciens, les avaient rendus formidables sur les mers. Ils venaient d'entrer en Sicile, de s'y établir en plusieurs cités. Ils appréhendaient que le roi d'Épire, après avoir traité avec Rome, ne se rabattît sur cette île, où il pourrait affaiblir ou ruiner leur domination. Le sénat répondit à Magou que Rome n'entreprenait aucune guerre qu'elle ne pût soutenir par ses propres forces; que Pyrrhus n'était pas un ennemi assez redoutable pour la forcer d'implorer ou d'accepter des secours étrangers; qu'elle était reconnaissante de ceux que lui offraient les Carthaginois; et qu'elle serait heureuse de profiter de leur bienveillance si jamais elle se voyait réellement exposée à quelque péril. On consentit néanmoins à renouveler les anciens traités, et à y ajouter de nouvelles clauses: d'une part, que si Rome faisait la paix avec les Épirotes, elle déclarerait, par l'un des articles de la convention, qu'elle était alliée de Carthage, et disposée à s'armer pour elle aussitôt qu'elle la verrait attaquée par Pyrrhus; de l'autre part, que Carthage porterait aux Romains les secours qu'ils viendraient à réclamer; que, dans le cas du concours des deux républiques à une même guerre, les troupes de l'une et de l'autre seraient défrayées par celle qui les emploierait; que, néanmoins, les Carthaginois ne mettraient que

leurs flottes à la disposition des Romains, et ne seraient, en aucune circonstance, forcés de combattre sur terre. C'est, Messieurs, le quatrième traité entre Rome et Carthage je vous ai exposé ce qu'on sait des trois premiers sous les années 509, 348 et 306. Magon, après avoir quitté Rome, conduisit sa flotte vers le golfe de Tarente, se ménagea un entretien avec le roi d'Épire, et tâcha de pénétrer les desseins de ce monarque. Il découvrit que Pyrrhus, las d'une entreprise dont les succès n'étaient point assez rapides, songeait à l'abandonner ou à l'interrompre; que, sollicité par les Siciliens de venir les délivrer de la tyrannie carthaginoise, il sentait déjà quelque tentation de courir cette nouvelle aventure, et que probablement il s'y résoudrait après une seconde campagne contre les Romains, si elle n'était pas plus décisive que la première. Pyrrhus recevait bien d'Épiré quelques renforts; mais ils n'étaient pas considérables, parce qu'une armée de Gaulois s'étant répandue sur la Macédoine, près de son royaume, il craignait de le dégarnir, et de le trop exposer, durant son absence, aux irruptions de ces barbares. Magon concluait de ces données que ce prince ne resterait pas longtemps dans l'Italie continentale, et qu'il tenterait bientôt une expédition en Sicile. Pour y mettre obstacle ou la retarder, le général carthaginois fit entrer ses cent vingt vaisseaux dans le détroit, en feignant de vouloir assiéger Rhégium, à quoi il ne se disposait nullement.

Vers ce temps, Pyrrhus, si nous en croyons Pline l'Ancien, conçut le projet d'établir une communication entre l'Italie et l'Épire, par un pont qu'il aurait jeté d'Apollonie à Hydronte. Pline attribue le même des

sein à Varron, lorsqu'il commandait la flotte de Pompée contre les pirates. Hydronte, aujourd'hui Otrante, avait si peu d'importance dans les anciens temps, que Strabon l'appelle оλívny, une bicoque : cependant on a d'elle une médaille, dont le revers présente un trident entre deux dauphins; d'où l'on conclut que c'était un lieu consacré à Neptune. D'Hydronte à Apollonie, l'intervalle était d'au moins quinze de nos lieues moyennes : il n'eût été que d'environ dix jusqu'à d'autres points des côtes de l'Épire. Quoiqu'il y ait dans ce détroit beaucoup de rochers et de bancs de sable propres à recevoir des pilotis, ce n'était sans doute qu'un pont de bateaux qu'on songeait à établir sur un si long espace. Encore la mer y est-elle si orageuse, qu'on a peine à concevoir combien il aurait fallu d'ancres et de câbles pour fixer dix mille grandes galères, et pour rendre ce passage praticable sans péril à des armées. Mais enfin Pline assure que tel fut le projet de Pyrrhus, et depuis de Varron: Hoc intervallum pedestri continuare transitu, pontibus jactis, primum Pyrrhus Epiri rex cogitavit;... post eum, Marcus Varro, cum classibus Pompeii piratico bello præesset.

La guerre allait recommencer. Le roi d'Épire était sorti de Tarente, et se portait sur l'Apulie, où se rendaient aussi les deux consuls romains, chacun à la tête d'une armée, avec Fabricius, qui commandait sous eux en qualité de lieutenant général. Les Épirotes et les Romains se rencontrèrent près d'Asculum (aujourd'hui Ascoli), ville de l'Apulie, qu'il ne faut pas confondre avec telle ville du Picénum qui avait le même nom, Asculum Picenum. Ni d'une part ni de l'autre on

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