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lytisme, il s'obstine dans sa religion. Je ne devais, je ne voulais détrôner personne, et je conservais d'ailleurs pour Virgile une admiration qui ne pouvait manquer d'occasions pour éclater; mais il me fallait remplir enfin des obligations sacrées pour moi. Quand Delille, ou Sélis' expliquaient, il y a cinquante ans, l'Énéide au collège de France, les leçons de ces deux habiles interprètes de Virgile, auraient pu n'offrir que des hymnes en l'honneur du rival d'Homère. Les progrès que la critique a faits, même depuis la mort de l'auteur de la Henriade, la maturité du temps, l'étonnante révolution qui nous a ramenés de l'amour des beautés produites par un excès de civilisation, au goût de la nature imprimé dans les ouvrages faits pour ainsi dire sous ses yeux, me prescrivaient d'autres devoirs. Je le sentais chaque jour plus vivement; chaque jour m'avertissait, qu'après avoir imprimé dans les ames un respect légitime pour Virgile, après l'avoir fait adorer de la jeunesse comme l'ami du malheur, l'interprète des affections tendres, généreuses, le chantre de l'amour et de la pitié, enfin comme le poëte du cœur, il était temps de descendre dans les profondeurs de l'art, pour en retrouver les lois générales; de mettre Virgile en présence d'Homère, et de tous les poëtes épiques ou dramatiques,

'Professeur de rhétorique au collège de Louis-le-Grand, et suppléant de Delille au Collège de France. J'ai eu aussi de grandes obligations au zèle affectueux de cet homme de talent.

d'interroger devant eux la nature et le cœur de l'homme, ces deux types de toutes les créations de l'esprit. Dominé par cette idée, j'essayai dans quelques improvisations, préparées par les études nécessaires à un nouveau cours sur Virgile, de faire assister, en quelque sorte, mes auditeurs aux grandes délibérations du génie. Homère eut les prémices de cette espèce d'initiation; peut-on parler de poésie épique, sans remonter d'abord au père de l'épopée, et sans dire de lui, comme Virgile du Dieu suprême: « Muses, commençons par Homère, tout est plein d'Homère dans le monde. »

Homère débarque à Délos pour offrir au dieu, non pas un sacrifice, mais un hymne, seul présent qui soit en son pouvoir; errant dans les détours du bois sacré qui environne le temple d'Apollon, sa tête s'allume et fermente, son cœur bat avec violence dans sa poitrine; il ne marche pas, il se sent porté sur des ailes. Devant ses yeux passent des images sublimes et confuses, elles se succèdent comme des nuages d'argent, de pourpre et d'or, comme ces riches et mobiles décorations célestes qui varient l'aspect d'un horizon immense. Au milieu de cet océan où la pensée obéit tour à tour à des impulsions soudaines et différentes, la guerre de Troie dont son enfance fut bercée, les noms des héros de ce siége de dix ans qui frappèrent ses oreilles à Smyrne ou à Memphis, dans les murs d'Argos ou sur les bords du Xanthe, viennent saisir le prêtre des muses. Plus de repos : les lieux, les hommes, les événements, se sont emparés de lui; mais, accourus tous ensemble, leur foule

éblouit ses yeux, leur tumulte empêche sa raison de délibérer avec elle-même. Son imagination devient un chaos; des éléments opposés y combattent entre eux, en attendant la main souveraine qui doit les ordonner. Les richesses de la matière effrayent, accablent le poëte; elles suffiraient à remplir une longue histoire ; comment les réduire aux proportions d'un poëme? comment faire le choix du génie dans un si vaste sujet?

D'abord s'offrent aux regards le songe prophétique d'Hécube, la naissance de Pâris, les prédictions sur ce fatal enfant, sa beauté célèbre dans l'Asie, la querelle des trois déesses, leur présence devant le berger du mont Ida, la reconnaissance de Vénus pour le juge qui lui a été favorable, le ressentiment de Junon et de Minerve irritées de l'injure faite à leur beauté. Au second plan, paraissent le voyage du fils de Priam à Sparte, sa passion pour Hélène, sa fuite avec cette coupable épouse qui, laissant pour souvenirs d'elle, à son palais l'opprobre, à son époux le deuil, à ses concitoyens les fléaux de la guerre, porte en dot à sa nouvelle patrie la ruine et la destruction '.

Viennent ensuite l'indignation de la Grèce, le serment de ses princes contre le perfide violateur des droits de l'hospitalité. Une armée s'assemble en Aulide, Agamemnon est choisi pour la commander.

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Pressé d'obtenir la victoire, il ordonne à sa flotte de mettre à la voile; le silence des vents l'arrête dans le port. On consulte les dieux; Calchas explique leur volonté le sang d'Iphigénie doit couler sur l'autel de Diane. L'amour de la patrie, ou plutôt l'ambition du pouvoir, la superstition et la crainte, l'emportent sur la tendresse paternelle. Les Grecs partent sous les auspices de la mort d'une vierge immolée presque sous les yeux de sa mère, à laquelle on peut appliquer dès ce moment l'expression de Virgile : concepit furias!

Eh bien! tant de scènes admirables, tant de magnifiques richesses sont des ornements superflus: le génie sourit un moment aux beautés immortelles qu'il en ferait éclore; mais la raison qui tient la première place au conseil du poëte, les rejette comme des séductions dangereuses, comme des obstacles à l'observation de cette grande loi de l'unité que la nature garde dans ses créations, et que l'homme ne peut violer impunément dans les siennes.

Cependant l'imagination d'Homère vole à Troic avec l'armée, il en fait le dénombrement; les héros qui la conduisent, Idoménée, Nestor et son fils Antiloque, Eurypile, les deux Ajax, Diomède, Ménélas, marchent devant lui sous les regards du superbe Atride. La souveraine de l'Asie montre tour à tour au poëte inspiré le vénérable Priam, le voluptueux Pâris, Hélène, cause de la guerre, cette vertueuse Andromaque qui en sera la victime, Hécube réservée à devenir le modèle achevé des infortunes humaines, ses cin

quante fils, dont elle est si fière, rangés autour du magnanime Hector, les délices d'un peuple et le rempart de l'empire. Quelles différences de mœurs! Quelles oppositions de caractères ! Que de contrastes, de vœux, d'espérances et de craintes! Quel jeu et quel tumulte des passions entre tous ces rivaux de gloire! Le génie d'Homère entre en travail malgré lui; il combine des situations, il esquisse des scènes, il invente des épisodes; il met aux prises, dans des combats acharnés, les Troyens et les Grecs, les dieux et les mortels. La terreur, la pitié, l'amour de la victoire, font tressaillir ses entrailles; il est tour à tour Enée, Hector, Diomède, ou Achille. Sublime et vain enthousiasme! Inutiles enfantements! La pensée première, la pensée fondamentale de l'ouvrage reste encore à trouver. Le poëte continue de lutter avec son sujet ; mais, moins heureux que la sybille qui produisait des oracles, après s'être long-temps débattue contre la puissance d'Apollon, son génie se sent frappé d'une espèce d'impuissance; des ténèbres confuses succèdent aux vives clartés qui remplissaient son horizon; enfin, il tombe de fatigue et dépuisement au pied d'un arbre consacré au dieu.

Le sommeil, frère de la mort pour la plupart des hommes, est souvent une veille ardente et féconde pour ces favoris du ciel qui vivent de la pensée. Pendant les apparitions qu'Apollon lui envoie, Homère voit Achille arriver aux rivages de Troie avec Ulysse et Patrocle. Le fils de Pélée porte sur son front une marque immortelle et les présages de la victoire. Ajax,

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