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JOCELYN.

ÉPISODE.

Sixième Epoque.

26 mars 1795, dans une maison de retraite ecclésiastique, à Grenoble, pendant le délire d'une fièvre.

J'ai quitté pour jamais cet Éden de ma vie
Où cette Ève à mon cœur fut montrée et ravie,
Comme le premier homme, hélas! quitta le sien.
Mais combien son exil ferait envie au mien !

Des pas suivaient ses pas

loin des portes fermées;
Ses sanglots s'étouffaient sur des lèvres aimées,
Et de deux cœurs brisés l'âpre conformité
Faisait de deux malheurs une félicité;

Moi, seul toute la vie, et seul au jour suprême,
Abhorré du seul cœur que je tue et que j'aime,

Obligé d'étouffer mes plaintes sans échos,

Et de noyer mon cœur dans ses propres sanglots;
Obligé d'arracher à l'ame sa pensée

Comme on arrache une arme aux mains d'une insensée;
Ayant tout mon bonheur à mes pieds répandu
Sans pouvoir y jeter un regard défendu,

Le cœur vide et saignant jusqu'à ce qu'il en meure,
Et n'osant même à Dieu nommer ce que je pleure,
Il faut vivre et marcher sans ombre, toujours seul,
Mort parmi les vivans, cet habit pour linceul!
Mort! ah! plutôt jeté tout bouillonnant de vie
Parmi ces morts dont l'ame est déjà refroidie!
Étouffant sans pouvoir mourir, et nourrissant
Le ver de mon tombeau du plus chaud de mon sang!...

Oh! que t'avais-je fait, éternelle justice,
Pour mériter si jeune un si rare supplice?
Cet amour comme un piége à mon cœur préparé,
Sans toi, sans tes desseins, l'aurais-je rencontré ?
N'en avais-je pas fui, tout brûlant et tout jeune ;
Le péril inconnu dans la veille et le jeûne;
Pour sauver mon cœur chaste et garder mon œil pur
Entre le monde et moi mis l'épaisseur d'un mur?
Est-ce moi qui l'ai fait s'écrouler sur ma tête?

Et quand pour m'abriter au nid de la tempête

J'allais m'ensevelir dans le creux du rocher,
Seigneur, est-ce elle ou vous que j'y venais chercher ?
Est-ce moi qui, prenant cette enfant inconnue,
La portais, l'enfermais avec moi dans la nue,
Et par mon ignorance et son déguisement,
Me créais le péril d'un double sentiment?

Est-ce moi qui, couvant de nos deux cœurs la flamme,
Nous fis pendant deux ans vivre d'une seule ame,
Pour qu'en nous séparant tout à coup sans pitié,
Chacun des deux, de l'autre emportât la moitié?

Si c'est Dieu qui l'a fait, pourquoi moi qui l'expie?
L'innocent à ses yeux paye-t-il pour l'impie?

Ou plutôt est-il donc dans ses sacrés desseins
Que ceux qu'il a choisis ici-bas pour ses saints,
Avant de brûler l'homme à ses bûchers sublimes,
Les premiers sur l'autel lui servent de victimes?

Ah! je me soumettrais sans murmure à ta loi,
Dieu jaloux ! si du fer tu n'égorgeais que moi !
J'ai voulu, j'ai tenté ton cruel ministère,
Je saurai jusqu'au sang le subir et me taire!
Mais elle !... mais cet ange à peine descendu,
Pauvre ange, prise au piége à l'homme seul tendu,
Tendre enfant, par toi-même à mon sein confiée,
Que par mon amour même, ô Dieu, sacrifiée,

Proscrite de ces bras ouverts pour la porter,

Elle aille en retombant à mes pieds se heurter,
Traîner dans les langueurs d'un éternel veuvage
Du front qu'elle adora l'ineffaçable image!

Ou porter, jeune et morte, aux bras d'un autre époux,
D'un cœur tout calciné les précoces dégoûts !...
M'accuser à jamais du froid qui la dévore

Et blasphémer son Dieu par le nom qu'elle adore!
Ah! c'est plus qu'un mortel ne pouvait accepter,
Ce qu'au prix du ciel même il fallait racheter,
Ce que j'achèterais de ma vie éternelle,
De l'immortalité que je maudis sans elle !

O Laurence! pitié, reviens, pardonne-moi!
Je t'immolais à Dieu, mon seul Dieu c'était toi!
Je ne puisais qu'en toi cette force suprême
Qui m'élevait de terre au-dessus de toi-même,
Qui me faisait trouver, pour mieux te protéger,
Tout sacrifice faible et tout fardeau léger.

Je me croyais un Dieu!... non je n'étais qu'un homme.
Je maudis mon triomphe avant qu'il se consomme!
Je me repens cent fois de ma fausse vertu!
Ah! s'il est temps encor, Laurence, m'entends-tu ?
Je me jette à tes pieds, je t'ouvre pour la vie
Ces bras où sur mon sein tu retombes ravie,

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