Imagens das páginas
PDF
ePub

après le long repos forcé de l'hiver. Voulant pousser l'expérience jusqu'au bout, j'attendis patiemment, sur place, la suite probable de cet événement. Au bout de peu de temps, j'eus la satisfaction de voir un groupe de vingt à trente abeilles, se dirigeant vers le domicile primitivement exploré, entrer résolûment dans la ruche, guidées probablement par le Christophe-Colomb de la troupe; puis, après en avoir parcouru l'intérieur dans tous les sens, reprendre son vol vers le point où s'était dirigée la première abeille,

Et jam Argiva phalanx instructis navibus ibat
Littora nota petens...

Piqué au vif par ce manége, je m'établis en observation, m'attendant d'un instant à l'autre à voir l'essaim venir prendre possession de la demeure explorée; mais, soit qu'il eût trouvé une demeure plus à sa convenance, soit, ce qui est plus probable, qu'il eût été arrêté dans son essor et logé par force dans une ruche dans laquelle on l'avait installé avec accompagnement du charivari obligé, je fus trompé dans mon attente.

M. de Frarière, lui, a été plus heureux en pareille circonstance et l'on peut voir dans son intéressant ouvrage un fait semblable raconté en grand détail et dans lequel la reconnaissance préalable de la ruche par les abeilles fourrières fut suivie d'une véritable prise de possession.

l'art avec lequel elles savent au besoin se procurer des reines avec du couvain d'ouvrières, lorsque par suite d'accident ou de maladie elles ont perdu leur mère et souveraine, est encore une de ces preuves étonnantes de la spontanéité de leurs déterminations dans certains cas qui se rapprochent tellement du raisonnement qu'avec la meilleure volonté du monde il est impossible de le renfermer dans les bornes d'un aveugle instinct.

Dès que ce malheur public est constaté, on voit une grande agitation se communiquer de proche en proche et s'étendre bientôt à la ruche entière. Les travaux restent quelque temps abandonnés; puis, après un assez long silence, indice de la tenue d'une sorte de conseil, on les voit tout à coup prendre une grande détermination.... Une fois fixées sur ce qu'il leur reste à faire, la masse reprend ses occupations comme si rien ne s'était passé, tandis qu'un groupe d'entre elles se précipite sur un point déterminé des cellules remplies de larves nouvellement écloses, les arrachent sans pitié de leur berceau et les emportent au loin, où elles ne tardent pas à périr de froid et de faim. Elles n'exceptent de cette exécution sommaire qu'un petit nombre de larves dont elles agrandissent la demeure aux dépens des cellules dont elles ont arraché les habitants. Ces nouvelles cellules prennent bientôt, sous leurs mains, la dimension et l'apparence des cellules royales (sorte de cellules particulières aux reines dont nous donnerons la

description dans le chapitre II); puis les abeilles nourricières s'ingénient à tenir constamment à la disposition de ces larves privilégiées une nourriture abondante et d'une nature particulière, c'est la gelée royale, sorte d'ambroisie, douée de la vertu singulière de transformer ces larves plébéiennes en larves royales.

Au temps voulu, ces cellules sont fermées avec soin et la larve file sa coque de soie dans laquelle elle doit passer son temps d'épreuve. Heureuse entre toutes ces larves, si elle peut l'accomplir sans accident et si elle n'est pas mise à mort dans sa prison temporaire par quelqu'une de ses pareilles, enflammée de jalousie et dont la naissance aura quelque peu précédé la sienne! Bonne chance, donc !

Si qua fata aspera rumpas

Tu Marcellus eris!....

(V., En., vi).

Mais descendons les marches de ce trône éphémère et laissons là, pour le moment, ce triste privilége des grandeurs où la roche tarpéienne est si près du Capitole: paulo majora canamus. On sait avec quel soin les abeilles tiennent leur ruche propre et avec quelle activité elles s'emploient à la débarrasser de ce qui serait de nature à l'encombrer ou à en corrompre l'intérieur. Elles emportent au loin les petits cadavres de celles d'entr'elles qui périssent de mort naturelle ou d'accident, ainsi que ceux des ennemis, qui, introduits dans la

place, ont fini par succomber sous leurs coups; mais il arrive parfois que la masse de ceux-ci résiste à toutes leurs forces réunies; ne pouvant, malgré leurs efforts, tirer leur cadavre au dehors, elles vont prendre une autre détermination: à l'aide d'un mélange de cire et de propolis habilement combiné, on les voit recouvrir exactement, embaumer comme une précieuse momie le corps de cet ennemi et prévenir, à l'aide de cet acte emprunté à l'hygiène si vantée des Egyptiens, la putréfaction qui ne tarderait pas à se manifester, et qui, activée par la chaleur d'un lieu aussi peuplé, répandrait bientôt dans l'étroite cité l'infection et la mort.

Comment concevoir une entente aussi parfaite de toute une population dans des actes aussi divers, sans admettre un moyen quelconque de se communiquer mutuellement ses idées ? Nous voilà donc obligé d'accorder aux abeilles cette faculté, bien singulière chez d'aussi petits êtres, de partager pour ainsi dire seules avec l'homme le rare privilége de s'entendre aussi bien en produisant des sons variés avec intention qu'en se servant du toucher.

Quant à ce dernier sens il s'exerce, on le sait, au moyen des antennes, sortes de petits corpuscules dont leur tête est armée, et qui, formés d'un grand nombre d'articulations, sont doués d'une telle flexibilité qu'ils peuvent se mouler et s'appliquer sur les plus petits objets ; leur sensibilité est

des plus exquises; c'est au moyen de ces véritables doigts que les abeilles parviennent à se reconnaître et à se diriger dans l'obscurité et dans les recoins les plus reculés de leur demeure. Organes parfaits du toucher, ils leur suffisent dans le plus grand nombre des cas pour accomplir, sans le secours de la vue, les merveilleux travaux qui confondent nos idées.

Mais, outre les ressources que l'abeille tire de ce sens exquis du toucher, on ne saurait lui refuser l'art de communiquer ses impressions à l'aide des sons qu'elle sait moduler et proportionner à l'importance de l'effet qu'elle veut produire. Autres sont, par exemple, les petits sons que donnent les gardiennes chaque fois qu'elles rencontrent une abeille errant dans les lieux confiés à leur vigilance, et celui que l'abeille sait faire entendre quand c'est un ennemi qu'elle veut signaler à ses compagnes (1). Ce son est alors répété, à l'unisson, par toutes les surveillantes répandues jusque dans les profondeurs de la ruche; toutes aussitôt se précipitent pour prêter main forte à la garde, et, si ce renfort n'est pas jugé suffisant, elles répètent avec animation le cri d'alarme

[blocks in formation]

Martius ille æris rauci clamor increpat, et vox

Auditur fractos sonitus imitata tubarum.

GEORG., IV.

« AnteriorContinuar »