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déjà en lui se trahissait. Ce fut en effet alors que Virgile publia le Moucheron, allégorie touchante, qui était, dit-on, un hommage à la mémoire de Cicéron, et un conseil à Octave d'élever à ce grand orateur un monument expiatoire, Cette pièce, du reste, souvent et aujourd'hui encore contestée à Virgile, passa inaperçue ce n'était pas comme poète, mais comme devin que Virgile devait obtenir l'attention d'Octave. Nous avons dit à quelle occasion. De là l'origine de sa fortune, attribuée aussi à ce distique :

Nocte pluit tota, redeunt spectacula mane :
Divisum imperium cum Jove Cæsar habet;

distique dont la récompense, dérobée à Virgile par un certain Bathylle qui se l'attribua, tourna bientôt à la confusion de ce même Bathylle, qui ne put soutenir le défi que lui porta Virgile, d'achever ces mots quatre fois répétés Sic vos non vobis.

Comblé de marques d'estime par Auguste, qui le recommanda particulièrement à Pollion; honoré de l'amitié de Mécène, de Varus, de Gallus; sans inquiétude du côté de la fortune, Virgile se livra entièrement au commerce des Muses. Ici seulement, Virgile va se révéler à nous ; mais avant de le chercher, de le suivre dans les progrès de son génie, rassemblons et fixons les impressions de jeunesse, et les influences littéraires qui ont dû agir sur lui.

Trois influences nous paraissent s'être réunies pour

1. LANGEAC, Précis historique sur Virgile, 17-18.

préparer, nourrir, inspirer le génie du poète latin: son enfance élevée au milieu des travaux de la vie champêtre, et attristée du spectacle des guerres civiles; sa jeunesse fortifiée, sous l'influence grecque, par l'étude des sciences et de la philosophie; enfin, la protection d'Auguste, qui est venue, en l'encourageant, affaiblir le génie du poète. Trois caractères donc dans Virgile : le caractère latin ou champêtre, le caractère savant ou grec, et l'élégance monarchique à côté de la physionomie romaine.

Virgile, après avoir long-temps essayé son génie, s'arrêta enfin à la composition des Bucoliques, non sans doute d'après le conseil de Pollion2, et dans le dessein de faire entrer dans ses églogues les louanges d'Asinius Pollion, d'Alphenus Varus et de Cornelius. Gallus, mais appelé qu'il était par les spectacles de son enfance, et aussi par les malheurs de sa famille.

Chaque peuple, chaque époque de l'humanité, a, pour ainsi dire, une poésie qui lui est particulière; qui naît et meurt avec elle : telle a été pour les anciens la poésie pastorale. Pour nous, cette poésie n'existe plus. Un instant ressuscitée dans les rêveries langoureuses de l'Astrée, et sur les bords du Lignon, ingénieuse et délicate dans le Tasse et Guarini, naturelle dans Racan, mélodieuse dans Segrais, tourmentée par l'esprit subtil et la galanterie maniérée de Fontenelle, affaiblie par les grâces fades de madame Deshoulières, savante et

1. Bucolica triennio, Asinii Pollionis suasu, perfecit.

2. Ad Bucolica transiit, maximè ut Asinium Pollionem, Alphenum Varum, et Cornelium Gallum celebraret.

riche dans Pope, dans Gessner naïve et douce, elle est venue s'éteindre dans les fictions sentimentales de Florian. Pour les Romains mêmes, ce genre n'était plus guère de saison. Dans Théocrite, la poésie pastorale est une vérité, une imitation exacte de la nature; dans Virgile, elle est déjà de l'idéal, elle est artificielle.

La poésie pastorale, tradition d'un âge d'or imaginaire, eut son berceau dans l'Arcadie ou dans la Sicile 1. Long-temps grossière et incertaine, consacrée dans les fêtes d'Apollon, de Diane, de Cérès, de Pan, elle acquit dans les cérémonies, et dans la rivalité des bergers, quelque régularité et quelque harmonie. Un certain Diomus, suivant quelques-uns; suivant d'autres, Daphnis, Stésichore, en furent les inventeurs : enfin parut Théocrite.

Théocrite touchait donc, pour ainsi dire, au berceau de la poésie pastorale ; s'il ne la créa pas, il la perfectionna, il la fixa. Voisin encore de cette vie simple et champêtre, il put, bien qu'en l'embellissant, la saisir sur le fait, et la peindre avec grâce, sans altérer la ressemblance. Il n'en était point ainsi de Virgile.

Au siècle de Virgile, et bien long-temps auparavant,

1. Sunt qui* ejus initia in ætate aurea, sunt qui in Arcadia aut in Sicilia quærant. (HEYNE, de Carmine bucolico, 54.)

2. Alii auctorem Diomum aliquem, alii Daphnidem, alii Stesichorum, alii Theocritum faciunt **.

* Vid. SERVIUS, pr. Comment. auctor vitæ Virgilii Donatianæ, c. 21; Drolib. 1, p. 483; PUTSCH, grammaticus græc. pr. Theocriti.

MEDES,

** ATHENÆUS, XIV, p. 619; DIODOR., 4, 84; ÆLIANUS, V. H. X, 18, vid. not.

ubi

cette divine simplicité du monde naissant s'était effacée. La vie pastorale avait bien perdu de ses charmes, et l'on ne rencontrait plus guère de bergers, chantant les beautés de la campagne; il pouvait encore y avoir de l'amour, mais plus de chants. Ces riantes, ces paisibles, ces fraîches images de la campagne, tout cet idéal de bonheur et de poésie s'était singulièrement flétri dans les esprits, au milieu des horreurs des proscriptions, et du tableau sanglant des guerres civiles. Ajoutez qu'en devenant plus polies, les mœurs étaient devenues moins poétiques, le goût plus délicat, les sentimens plus compliqués 1. Sur ce fond primitif, sur cette nature simple et belle qui avait suffi à Théocrite, il fallait mettre une teinte savante, une couleur adoucie. Virgile devait fondre, en quelque sorte, les tableaux du poète de Sicile, mêler les nuances qu'il a distinguées, faire une nature composée, être naïf avec art. Encore, malgré toute cette habileté, le texte accoutumé de la poésie pastorale ne lui peut suffire; de ses églogues, la cinquième, la septième, la huitième, et peut-être la troisième, se peuvent rapporter au genre bucolique; les autres n'y rentrent pas. Elles appartiennent à un autre ordre d'idées, et nous en marquerons bientôt le sens, le caractère et le but; nous dirons seulement ici qu'elles étaient pour

1. Et Virgilius sermonis et dialecti suavitate destitutus, qui politiore ævo, inter homines urbanos et elegantiam cum fastu sectantes, viveret, multa ex vitæ pastoritiæ veritate aut seponere aut verbis honestare necesse habuit, quæ nude et ad rei veritatem proposita et expressa superbas Romanorum aures offendissent. (HEYNE, de Carm. bucol., p. 64.

Virgile une préparation et non une fin, un exercice de style et non son dernier mot.

Si l'on eût tenu compte de ces différences de temps et de civilisation qui séparent Théocrite de Virgile, on se fût épargné bien des parallèles et des discussions sur la supériorité de l'un des deux poètes, ou sur l'égalité de leur génie. Théocrite a le mérite d'une nature vraie et primitive; ainsi le voulait son siècle : Virgile a peint, de seconde main, une nature déjà dégradée et complexe : il a été savant et naïf; ainsi devait-il être.

Les Bucoliques annonçaient les Géorgiques; les Géorgiques sont en effet le développement naturel des études premières de Virgile, et de ces images champêtres qui, dans la composition des Bucoliques, avaient rempli et fécondé son imagination. On a cependant voulu trouver aux Géorgiques une autre cause ; on en a fait honneur à la protection de Mécène, et à une haute prévoyance politique de sa part, qui aurait cherché à effacer du cœur des Romains le souvenir avec la fureur des guerres civiles, en leur présentant le tableau du bonheur des champs. Heureux privilège de la puissance, qui ferait naître à son gré, et dirigerait les inspirations du génie! Mais il n'en va point ainsi. Aux deux siècles où la littérature a paru recevoir d'un maître son mouvement et sa vie, elle n'a cependant relevé que d'elle-même : Mécène n'a point fait Virgile; Louis xiv

1. Georgica Mæcenatis suasu ac consilio scribere suscepisse, ut hominum animi ad agri colendi studia revocarentur, Britannorum nonnullorum, Wartoni, Crusii, Martini, elegantium virorum, est opinio. (HEYNE, Prooemium in Georgica, 238.)

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