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qui-peut général, et toutes les maisons se trouvèrent en un clin d'œil envahies par les naufragés de la grande place que de véritables torrents balayaient au passage.

Les plus favorisés sont ceux qui ont pu gagner le vieux château Pour la circonstance, il avait été orné de festons et de drapeaux; un buste de Pestalozzi figurait à une des fenêtres. Une salle avait été transformée provisoirement en un musée Pestalozzi. Là se trouvaient réunis des portraits, des gravures, des livres, des manuscrits; l'édition Seyffarth des œuvres de Pestalozzi, les éditions primitives des rapports sur l'oeuvre d'Yverdon, l'original du traité signé entre Pestalozzi et Niederer, de vieux cahiers de l'école, des dessins et des broderies, des souvenirs divers du séjour de la famille Pestalozzi dans le château. Ce n'est pas sans un serrement de cœur qu'on parcourt ces salles, ces corridors, où le pauvre vieillard s'est usé dans une tâche pour laquelle il n'était pas fait. Mieux on le connaît, plus on s'étonne qu'il ait tenu si longtemps dans ce milieu si étranger à sa nature et à ses goûts. Lui maitre de pension, lui professeur d'enseignement secondaire, lui chargé d'élever les fils de la bourgeoisie et de les préparer aux carrières libérales ou savantes! C'était un absolu contre-sens. Il manquait d'ordre et ne pouvait diriger une maison; il ne fréquentait pas les livres et ne pouvait réellement enseigner; il n'avait aucune idée des exigences de perspicacité et de discipline qu'exige un internat de jeunes gens; il n'était pas capable de discerner et de diriger leurs vocations. Il n'avait pas su discerner la sienne.

Sa vocation, c'était de rester avec les petits, avec les pauvres, avec les abandonnés. C'était un philanthrope, un démocrate, un ami du peuple. C'est à Stanz qu'il s'est épanoui, c'est à Neuhof qu'il avait trouvé d'instinct sa méthode, qui consiste à aimer, à se dévouer, à s'ingénier pour soulager les misères de l'enfance et ouvrir les intelligences les plus humbles, c'est à Burgdorf qu'il avait jeté les fondements de l'oeuvre nécessaire, celle de la formation des maîtres appelés à enseigner le peuple.

Ce château d'Yverdon, cette institution de jeunes gens, ces classes graduées, ce pensionnat bourgeois, ce n'était pas son affaire, et il l'a compris - trop tard, quand il a une fois été dégagé de ceux qui l'y avaient retenu et peu à peu détourné de sa véritable voie. Et pourtant, c'est là qu'il a surtout acquis sa

notoriété, c'est de là que son nom et sa méthode se sont répandus sur l'Europe, et il était bien naturel qu'il y trouvât le monument destiné à perpétuer son souvenir et son image.

Sa vraie fête, ç'a été, me semble-t-il, le lendemain de l'inauguration. C'était un dimanche, le ciel était redevenu bleu, le soleil brillait, les drapeaux séchés flottaient joyeusement dans les airs, la population se répandait dans les rues pleines d'enfants. C'était une fête scolaire.

Quel charmant spectacle que celui de ces écoles primaires de garçons et de filles, tour à tour amenant dans le cortège les vestes sombres et les robes claires! Quelles fraîches physionomies, quelle satisfaction universelle, chez les enfants, chez les parents, chez les maîtres et les maîtresses! La musique joue les mélodies les plus entraînantes; on se dirige par le plus long détour vers la grande place inondée la veille, rayonnante aujourd'hui. Où sc tenait hier la foule, les enfants s'asseoient en bon ordre; les familles se groupent à l'entour. Au pied de la statue, un pasteur adresse au jeune auditoire une courte et vibrante allocution, qu'on entend sur la place entière. Puis l'auteur de la cantate, M. Giroud, poète et musicien, monte au pupitre, et l'exécution commence. Le style est large et populaire; l'hymne national est très habilement introduit dans la composition : le chef d'orchestre se tourne vers la place, et tous aussitôt, debout, hommes, femmes, enfants, marient leurs voix à celles des choeurs. L'effet est saisissant.

Les écoliers se rendent ensuite à la cantine où la commune leur offre à dîner; l'après-midi ils se dispersent sur le pré, où ils se livrent à des exercices gymnastiques, à des jeux, à des danses; chevaux de bois, bateaux tournants, cirques sont mis libéralement à leur disposition. La ville n'est plus qu'une famille; les grands sont encore plus heureux que les petits de la joie qui éclate partout bruyamment. Ces cris, ces rires, ces jeux des enfants sous les regards paternels de leurs instituteurs, c'était là ta fête, ô Pestalozzi, car c'est une partie de ton œuvre. Ces écoliers libres, joyeux, arrachés à la misère, à l'ignorance, à la barbarie des méthodes surannées, et qui entrent dans la vie sous de si rayonnants auspices, voilà le monument que la postérité t'élève, plus précieux et plus durable que l'airain de ta statue. Jules STEEG.

FRAGMENTS PÉDAGOGIQUES

[Nous publions ci-dessous quelques fragments d'une Introduction que M. Paul Rousselot vient d'écrire pour la placer en tête d'une nouvelle édition de sa Pédagogie entièrement refondue. Ces fragments, encore inédits, traitent, le premier, de la science de l'éducation et des définitions de l'éducation; le second, de l'instruction et de la valeur éducative et morale qui doit lui être attribuée; le troisième, des résultats d'une éducation libérale au point de vue de la patrie et de l'humanité. LA RÉDACTION.]

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SCIENCE DE L'ÉDUCATION.

DÉFINITIONS DE L'ÉDUCATION.

Y a-t-il une science de l'éducation?

S'il y en a une, quels en sont les principes, les lois, les méthodes?

C'est demander s'il y a une science de l'homme. Comme on comprend la vie on comprend l'éducation, et comme on comprend l'homme on comprend la vie. Le sens commun et la philosophie sont ici d'accord. « Apprenez aux enfants ce qu'ils auront à faire étant hommes, » disait Agésilas, roi de Sparte.

Que disent les philosophes et les pédagogues attitrés?
Interrogeons l'antiquité:

<< La bonne éducation est celle qui donne au corps et à l'âme toute la perfection dont ils sont capables. » (Platon.)

<< L'art par lequel l'enfant est élevé à la condition d'homme. »> (Cicéron.)

Arrivant aux temps modernes, interrogeons les philosophes et les pédagogues allemands:

« La perfection de la nature humaine dépend de l'éducation... L'éducation doit développer proportionnellement et régulièrement toutes les dispositions de la nature humaine et conduire tout le genre humain à sa destinée. » (Kant.)

« L'éducation doit pouvoir former des élèves pour la vie réelle. » (Fichte.)

« L'éducation doit mettre au jour l'idéal de l'individu. » (J.-P. Richter.)

« L'éducation est l'évolution harmonieuse et égale des facultés humaines. C'est une méthode fondée sur la nature de l'esprit, pour développer toutes les facultés de l'âme, réveiller et nourrir tous les principes de la vie, en évitant toute culture partielle et en tenant compte des sentiments qui font la force et la valeur des hommes.» (Stein.)

Les philosophes anglais :

« La méthode qui, dans les différentes conditions des hommes, serait la plus facile, la plus courte, et la plus propre à en faire des gens vertueux, utiles à la société et habiles chacun dans leur profession.» (Locke 1.)

« Elle a pour but de faire, autant que possible, de l'individu un instrument de bonheur, d'abord pour lui-même, ensuite pour ses semblables. » (James Mill.)

« L'éducation comprend tout ce que nous faisons pour nousmêmes et tout ce que les autres font pour nous dans le but de nous rapprocher de la perfection de notre nature. L'éducation est la culture que chaque génération donne à celle qui doit lui succéder, pour la rendre capable de conserver les résultats des progrès qui ont été faits, et, s'il se peut, de les porter plus loin. » (Stuart Mill.)

« Le but de l'éducation est de nous préparer à vivre de la vie complète.» (Herbert Spencer.)

Les philosophes du XVIIe siècle et de la Révolution française :

a

« L'éducation est l'art de former les hommes. Son but est le plus grand avantage public, c'est-à-dire le plus grand plaisir et le plus grand bonheur pour le plus grand nombre de citoyens. » (Helvétius.)

1. Locke n'a pas donné de définition proprement dite dans son traité Quelques pensées sur l'éducation; celle que nous citons ici est tirée de l'Epitre dédicatoire à Edouard Clarke.

<< Elle est l'art plus ou moins perfectionné de mettre les hommes en toute valeur, tant pour eux que pour leurs semblables... En un mot, vivre heureux et vivre utile. » (Talleyrand.)

« Cultiver dans chaque génération les facultés physiques, intellectuelles et morales, et par là contribuer à ce perfectionnement général et graduel de l'espèce humaine, dernier but vers lequel toute institution sociale doit être dirigée. » (Condorcet.)

Les philosophes français de la première moitié du XIXe siècle, trop dociles à l'exemple de ceux du xvi, ont négligé la théorie de l'éducation, excepté Maine de Biran. Sans définir l'éducation, celui-ci la considère comme l'art d'apprendre à « faire son métier d'homme ». La plupart de nos pédagogues se sont inspirés de Kant:

« Le véritable but de l'éducation est de faire de l'homme tout ce qu'il peut devenir. » (Mme Guizot.)

« Élever un enfant, c'est le mettre à même de remplir un jour le mieux possible la destination de sa vie. » (Mme Necker de Saussure.)

« Le véritable but de l'éducation est de tendre à la perfection, sans avoir toutefois la prétention de jamais y atteindre. » (Fritz.) La plus récente et la plus simple est celle du Dictionnaire de Pédagogie:

« L'art de former l'homme. »>

Enfin citons-en encore une, qui a le mérite d'indiquer un point de vue complémentaire et de haute portée :

« Le grand but de l'éducation est d'apprendre à l'homme à s'élever lui-même lorsque d'autres ont cessé de l'élever. » (Guizot.)

Malgré leur diversité apparente, ces formules accumulées à dessein n'ont vraiment qu'une diversité réelle, celle de leur provenance. Bien qu'émanant d'esprits souvent fort opposés, elles se réduisent à deux idées, celle du but, celle du moyen. Sur le moyen, tout le monde est d'accord: le développement des facultés et des principes d'action de la nature humaine. Mais pour les développer, il faut les cultiver, et pour les cultiver il faut les connaître :

« Jamais on ne parviendra à diriger systématiquement l'éduca

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