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Les représentations qui montent ensemble caractérisent l'activité spontanée, et ce genre d'activité apparaît jusque dans les têtes où les représentations opposées donnent lieu non à un calme équilibre, mais à une oscillation. Avec de pareilles têtes, un certain travail est encore possible; mais lequel? à quel moment, en quel degré est-il limité par l'influence de l'obstacle? Pour résoudre la question, le premier point est de reconnaitre exactement le mal, et de le distinguer des défauts en apparence semblables.

Nous avions parlé ci-dessus de ces soi-disant bonnes têtes, qui, avec une apparence d'agilité, ont une certaine roideur: la voûte chez elles n'a pas d'étendue; la représentation évoquée par la perception actuelle n'a pas le cortège qu'elle devrait avoir; elle est sèche. Dans les moments favorables, l'esprit saisit bien nombre de choses, mais son énergie est intermittente; ie fil de ses idées casse. Finalement, et après de longues études, l'écolier qui avait semblé alerte laisse paraitre sa pauvreté d'esprit. Quelle différence y a-t-il entre les têtes de cette espèce et celles que nous voulons maintenant définir?

D'abord, dans le cas précédent, les perceptions qui s'élevaient étaient d'anciennes perceptions évoquées par une perception actuelle. Ici les perceptions montent d'elles-mêmes, comme celles, avons-nous dit, qui, au matin, s'éveillent en nous, sans que les objets extérieurs les excitent. Là, le difficile était pour le maître d'évoquer les anciennes représentations de manière à y rattacher les nouvelles ici, nous sommes en présence d'une activité spontanée qui se manifeste sous forme soit de pensée intérieure, soit de rêverie, soit même d'action, et la difficulté consiste en ce que nous trouvons chez l'élève un va-et-vient d'idées soudaines et capricieuses, ou, quand ces idées se traduisent par des actes, une activité qui tâtonne, sans suivre aucun plan. Puis, l'obstacle, dans le cas précédent, agissait d'une façon intermittente; ici, son influence est continue. Enfin là, c'était la voûte qui se formait mal; les représentations voisines ne se devaient pas en même temps que la représentation principale. Ici, il s'agit de représentations opposées, aussi opposées même qu'on voudra, qui peuvent monter ensemble jusqu'à un certain point, mais dont la montée est soumise à un mouvement de fluctuation.

Il est d'ailleurs possible que les deux défauts se rencontrent dans le même esprit. Tout homme, à moins d'être littéralement un idiot, a un cercle, si petit soit-il, de représentations où se manifeste son activité spontanée. Mais se trouve-t-il en son système nerveux un obstacle qui, quand ses représentations se reproduisent, gâte la formation de la voûte? Le même empêchement, å plus forte raison, le rendra incapable d'embrasser d'un calme regard, dans les pensées ou les actions qui sortent de son propre fond, les termes opposés, qu'il lui faudrait saisir ensemble. Lorsque l'obstacle agit constamment, la roideur de tête qui s'ensuit possède une sorte d'avantage sur cette agilité superficielle et trompeuse à laquelle donne lieu un cbstacle intermittent : « Quand l'influence limitative qui s'exerce sur un homme est constante, il parvient peu à peu, dans son cercle étroit de pensées, à prendre une ferme assiette; ce qui dépasse ses forces, il ne le cherche guère plus; il renonce à comprendre ce qui est pour lui incompréhensible. Mais n'a-t-on affaire qu'à un obstacle qui souvent se relâche, ou souvent même cesse tout à fait? Volontiers se croit-on alors semblable aux têtes vraiment bonnes; on entreprend résolument ce qu'on n'est pas en état d'exécuter, et l'on s'empêtre de la pire façon. »

Nous voilà conduits, par ce qui précède, à examiner un défaut qui mérite particulièrement l'attention; car c'est celui qu'on reproche le plus souvent au jeune âge : la légèreté d'esprit. Seulement, les éducateurs, d'ordinaire, ne pénètrent pas jusqu'au mécanisme psychologique, jusqu'au jeu des représentations. mêmes. Des paroles ou des actions de l'enfant ils concluent, sans plus, à sa légèreté. Nous, au rebours, la considération des représentations qui oscillent nous a menés aux manifestations extérieures, aux actions corporelles. Et une fois ici, notre point de vue s'étend beaucoup. La jeunesse en effet ne sait guère se retenir; l'enfant dit tout ce qui lui passe par la tête, cherche à attraper tout ce qu'il peut. Mais que l'occasion lui soit fournie de donner un corps, par ses actions extérieures, à l'oscillation intérieure de ses représentations: le procès mental qui a lieu chez lui va traîner en longueur, et, ainsi allongé, on pourra le voir comme au microscope. Car alors les choses extérieures barrant plus ou moins le passage à l'activité de l'enfant, ces obstacles

attirent et fixent son regard. La suite du procès se fait donc attendre; l'action ralentit le développement que le mécanisme psychique tendait à produire, et l'enfant est même exposé à dévier de son idée primitive.

C'est pour cette raison que, pendant les jeunes années, on se laisse, dans l'action, emporter à gauche et à droite. La calme réflexion étant absente, l'activité manque de constance à proportion; et le mal ne fait que s'aggraver, lorsqu'on a pour compagnons un grand nombre d'enfants dont chacun communique aux autres son agitation.

Mais tous les enfants sont-ils irréfléchis? Non. L'on en voit au contraire qui, dans le cercle étroit de leur savoir et de leur pouvoir, règlent ponctuellement ce qu'ils font sur les plans par eux formés à l'avance. Ceux-là donc sont capables de saisir ensemble le divers, et des représentations opposées peuvent se rencontrer dans leur conscience, sans que leur pensée devienne mobile et inquiète.

C'est la preuve que la légèreté d'esprit n'a pas son fondement dans le pur mécanisme psychique. Sinon, les représentations qui répondent à une même sphère d'action devant jouer évidemment le même jeu chez les différentes têtes enfantines, on se demanderait pourquoi certaines d'entre elles savent agir suivant un plan.

Il ne faut d'ailleurs pas s'exagérer en ce point la capacité que comporte cet âge. Il ne faut pas non plus confondre la liberté qui est en question, et dont la plénitude est aussi rare chez les hommes que le don naturel de la beauté ou de la santé parfaite, il ne faut pas confondre cette liberté du mécanisme psychique à l'égard de l'obstacle posé par la nature, avec la liberté acquise du vouloir moral. Peut-être trouvera-t-on que l'erreur n'a pas d'importance. Peut-être dira-t-on : « Il faudra bien finir par faire appel à la liberté de la résolution morale pour combattre la façon d'agir d'un esprit léger. Quel mal y a-t-il donc à ce que l'éducateur taxe d'immorale la légèreté d'esprit? L'essentiel est de fortifier l'attention aux actes et l'empire sur soi. » Il y a du vrai dans ces observations. Mais cependant elles ne sont pas décisives : l'éducateur qui blâmera, au nom de la morale, une conduite dont la légèreté d'esprit est la source, exercera-t-il ainsi une action

pénétrante, et n'est-il pas à craindre qu'un tel remède, vainement employé, n'aggrave encore le mal? Puis, est-on bien sûr que toute contrainte exercée sur soi-même, et par conséquent celle qu'on espérerait produire en blåmant sans cesse la légèreté, soit essentiellement morale? La chose est plus que douteuse.

Ce qui paraît acquis, c'est que la légèreté d'esprit est une déviation du procès régulier que nos formules mathématiques ont précédemment défini. On y peut joindre sans doute d'autres. traits, que l'expression « légèreté d'esprit » évoque volontiers; mais cette déviation est ce que le défaut a de fondamental. Comme antithèse, on pourrait penser à l'esprit qui sait embrasser esthétiquement une œuvre d'art d'une certaine étendue. La plupart, au contraire, n'en saisissent que des morceaux et des miettes. Pas n'est besoin qu'un démon s'en mêle et vous tiraille pour vous taquiner. Non; seulement il y a dans l'oeuvre d'art des parties opposées qui demandent à être perçues ensemble, d'une même vue calme et ferme. Aussi n'attendrons-nous pas de l'enfant avec qui nous lisons l'Odyssée qu'il domine le détail et l'individuel; nous lui demanderons même de s'intéresser aux individus et aux événements particuliers. Tout pareillement, lorsqu'il voyage, fût-ce à travers le plus beau pays du monde, nous ne sommes pas surpris s'il ne voit rien de plus dans ce qui l'environne que quantité de tours, de collines, d'arbres, de cours d'eau. Cependant, s'il n'y voit rien d'autre, nous sommes fondés à croire que cet enfant-là ne sera pas un artiste; et comme pédagogue, nous ne pourrions ni ne voudrions rien faire pour le pousser dans la direction à laquelle il répugne. D'un obstacle organique notre pédagogie ne peut triompher.

(A suivre.)

H. DEREUX.

L'ENQUETE NÉCESSAIRE

Sous ce titre, le Bulletin de l'Association philotechnique (numéro d'avril 1890) revient sur une question fort intéressante qu'il avait déjà soulevée et dont la Revue pédagogique s'est ellemême occupée, il y a quelques années 2.

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Rappelant ce que nos voisins les Belges et les Suisses ont jugé utile de faire pour s'assurer sérieusement du degré d'instruction de tous les jeunes gens arrivés à l'âge du service militaire, l'auteur de l'article s'attache à démontrer les avantages qu'il y aurait à procéder, en France, à une enquête semblable, afin d'être à même de se rendre un compte exact des résultats obtenus par l'enseignement donné à l'école et d'aviser aux mesures qu'il pourrait y avoir lieu de prendre pour empêcher la déperdition des connaissances acquises par l'enfant.

Ces avantages ne sauraient être mis en doute par aucun esprit sérieux. Il serait du plus haut intérêt pour notre pays de savoir périodiquement, et avec une entière certitude, si les généreux sacrifices qu'il s'impose pour le développement de l'enseignement primaire portent tous les fruits qu'il a le droit d'en attendre. Et, dans le cas où il serait démontré qu'entre leur sortie de l'école et leur entrée au régiment un trop grand nombre de jeunes Français ont oublié les notions qu'on leur avait enseignées, il resterait à rechercher les causes du mal et à y apporter un vigoureux remède.

Actuellement la vérification du degré d'instruction des jeunes conscrits au moment de leur incorporation est des plus sommaires.

1. Numéros de février et mars 1885.

2. Voir l'article de M. Jacoulet, 15 novembre 1884, pages 404 et suiv.

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