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supprimant d'enlever une vertu aux heureux de ce monde. Elle n'a pas d'orgueil, volontiers elle se dissimule derrière la justice. Elle sait que tous les hommes sont solidaires, que personne n'est tout à fait innocent, que bien des injustices parfois se fondent dans le crime d'un seul. Sa grande vertu est la prévoyance: elle ne s'inquiète pas seulement de soulager le mal présent, elle se préoccupe de ses cause-, elle voudrait, en les supprimant, prévenir les déchéances de l'avenir. Aussi, son grand amour, c'est l'enfant : elle l'instruit, elle le protège, et s'il est abandonné, elle l'adopte.

On reproche à la Révolution d'avoir procédé philosophiquement où il fallait procéder historiquement. Mais c'est pour cela, Messieurs, qu'elle nous a laissé un idéal nouveau. Elle n'est pas un fait; elle ouvre une ère nouvelle; elle est le premier pas sur une route où l'humanité peut aller toujours devant elle, sans s'arrêter jamais. Nos pères se sont trompés, il ne suffit pas de décréter la société parfaite pour qu'elle existe; il ne suffit pas de supprimer ce qu'il y a d'humain, l'historique dans la réalité, pour que la nature manifeste sa perfection. Le bien n'est pas fait, il est à faire: c'est de ce qui est, qu'il faut faire sortir ce qui doit être. En tout homme, faire épanouir l'humanité, créer l'être libre, égal et fraternel, élément nécessaire de toute société véritable, voilà l'oeuvre que nous impose la Révolution. Homme abstrait, nous objecte-t-on, animal raisonnable qui n'existe pas, qu'on ne rencontre que dans les manuels civiques et dans les traités de politique spéculative. Dites plutôt: homme idéal, homme. vrai, qui doit devenir l'homme réel. Vous nous reprochez d'en avoir supposé l'existence, par là, d'avoir livré la société à des êtres violents, passionnés, irritables, qui n'ont rien de commun avec notre idée générale du citoyen, chiffre abstrait qui se prête à tous les calculs et à toutes les combinaisons. Il n'y a plus de place pour le sauvage dans notre société française, je l'avoue; elle est faite pour des hommes. En supposant que l'homme existe, nous nous sommes engagés à le créer, sous peine de mort. Ce n'est pas impunément qu'on se donne pour tâche de hâter l'avènement de la justice.

Accorder à l'esprit dans l'homme une valeur absolue, opposer le droit au fait, la raison à la nature, et proclamer la suprématie du droit sur le fait, de la raison sur la nature, c'est plus qu'une foi politique. Il y a de l'absurde dans le monde. La raison ne s'y résigne pas. Elle se révolte et s'indigne contre le désordre, contre l'injustice, contre le mal sous toutes ses formes. L'harmonie est sa loi, elle ne comprend que le bien, elle n'a de repos que dans la beauté. L'univers en elle se redresse, se corrige et se rectitie. Elle nie l'absurdité radicale, l'injustice définitive, elle oppose à l'ordre physique l'ordre moral, à tous les démentis des faits la réalité imprescriptible de l'idéal. N'est-ce point une foi véritable, Messieurs, que ce rationalisme hardi qui n'accepte que l'intelligible et le bien? Foi nouvelle qui n'est que la raison se posant dans tous ses droits; foi active qui ne se distingue

pas des œuvres qu'elle suscite et qui la confirment. Ce n'est pas en dehors de soi qu'on trouve la preuve de l'idéal, c'est dans la confiance que donne à l'esprit le sentiment de sa force souveraine. S'il recule en nous, comment croirions-nous à son triomphe? Il n'y a que l'action qui supprime le doute. On ne nie point ce dont on éprouve la réalité par la conscience qu'on prend de soi-même. Le devoir accompli rassure l'esprit sur l'avenir du monde, et la pire douleur qui sorte du mal, c'est peut-être que faisant douter la raison d'elle-même, elle chasse l'esprit des grands rêves et des grandes espérances.

Ces idées n'ont rien qui nous surprenne, elles sont notre esprit même, c'est à peine si nous les remarquons tant elles nous sont familières. Il faut que de plus en plus, par l'enseignement national, elles deviennent l'instinct qui nous guide; il faut que dans toutes nos écoles, de la plus élevée à la plus humble, on apprenne l'amour de la France en même temps que son histoire; il faut que nous imitions l'art germanique de fondre dans le patriotisme tous les grands instincts de l'humanité; il faut que le dernier des paysans français sache avant tout ce qu'est la patrie, ce qu'elle représente d'excellent dans le monde, ce qu'il lui doit, ce que ses aïeux ont souffert, et qu'il est un homme, le citoyen d'un pays libre, un fragment de souverain d'un grand peuple. La Liberté est un devoir qu'on s'impose : le devoir ne nous manque pas, ne manquons pas au devoir. Que chacun de nous, Messieurs, soit convaincu qu'il n'a pas assez fait pour la Patrie, tant qu'il n'a pas fait de lui-même un être raisonnable et libre. La France, c'est les Français; c'est chacun de nous, et c'est nous tous; la somme vaudra ce que vaudront les unités. Que le sentiment de notre tâche nous soutienne. Une grande expérience se fait par nous. Il s'agit de savoir si le droit n'est pas une chimère, si la liberté est possible on attend que nous fassions la preuve. Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de sain et de vivifiant pour un peuple comme pour un homme dans la conscience d'un grand devoir à remplir? Songez qu'il dépend de vous que la France fasse mieux qu'Athènes. Vous ne voudrez pas que le long effort des penseurs persécutés, que les longues souffrances obscures et sans gloire de tous, que le sang versé sur les échafauds et dans mille batailles, que les douleurs, les vœux impuissants, les colères et les larmes, que tout ce qui a préparé l'avènement du droit s'achève en un avortement qui serait la fin de la France.

G. SÉAILLES.

LES FÊTES DE L'ÉDUCATION PHYSIQUE

Lecteurs, rassurez-vous, je ne vous apporte pas une réédition des articles que la presse parisienne a consacrés au Lendit. Vous savez déjà que les deux Comités qui se disputent l'honneur d'encourager l'éducation physique avaient rivalisé dans l'organisation de ces fêtes athlétiques course à l'aviron, rallie-papier, concours de gymnastique, assauts de boxe et d'escrime, natation et vélocipède, rien n'y manquait, et tous les genres de sports étaient honorablement représentés. Pendant un mois, les journaux ont retenti du récit des prouesses accomplies par nos jeunes héros; le nom des lauréats, que dis-je, le nom! leur portrait même, s'étalait en vedette à la première page d'un supplément rédigé spécialement à leur intention. Un peu plus, et les lycées qui avaient l'honneur de posséder un champion couronné auraient abattu un pan de leurs vénérables murailles pour le faire rentrer triomphalement par la brèche, ainsi qu'on faisait jadis dans les villes grecques pour les glorieux vainqueurs des jeux olympiques. On a même fait tant de bruit que quelques personnes de sens rassis et d'humeur chagrine s'en sont scandalisées. Un de nos honorables Pères-Conscrits a pris la mouche, et, en plein Palais du Luxembourg, il a fulminé une excommunication majeure contre le Lendit. « L'Université, a-t-il dit, n'a pas mission de préparer des écuyers du cirque ou des hercules de la foire. » Pauvre Lendit,

Tu n'avais mérité

Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité.

Soit dit en passant, et sans vouloir faire aucune personnalité, ces épithètes d'écuyers, d'acrobates, de clown et d'hercule, que les contempteurs des exercices physiques jettent à la tête de ceux qui les pratiquent, sont un cliché passablement démodé, et il serait temps d'en inventer un neuf. Aussi bien, toutes les fois que j'entends prononcer des phrases de ce genre, il me semble y percevoir l'écho d'un secret dépit que d'aucuns éprouvent de n'être ni adroits ni forts; ils se vengent par en médire. N'est pas écuyer ni hercule qui veut, et quand on cultive un art, j'estime qu'il vaut mieux y exceller que d'y rester médiocre.

Mais je n'ai pas l'intention d'entamer une discussion avec ceux que les nouveautés de ces derniers temps ont effarouchés, qui croient que renaissance physique est synonyme de dégénérescence intellectuelle, et que jadis tout était pour le mieux dans la meilleure des éducations possibles. Au contraire, je m'adresse à ces esprits libéraux, heureusement les plus nombreux, qui ne voient aucun inconvénient à ce qu'on rende le régime scolaire plus aimable pour l'enfance et

qu'on y joigne un peu l'agréable à l'utile. Pourvu qu'on ne néglige pas d'assurer à nos écoliers une forte et solide instruction, de leur inspirer de bonne heure le respect de la discipline et le sentiment de leur devoir, serait-ce un si grand mal de les amuser un peu, et de développer en eux le goût des exercices du corps?

Eh quoi! dira-t-on, vous n'êtes pas encore content de tout ce qu'on a fait! Que réclamez-vous de plus? Eh bien, malgré l'enthousiasme exagéré des uns, et les protestations prématurées des autres, j'affirme que la question de l'éducation physique est à peine posée, loin d'être définitivement résolue. C'est en quoi je trouve imprudente la réclame excessive qui s'est faite autour du Lendit; car outre qu'elle donne une importance exagérée aux résultats obtenus, et ferme les yeux sur les immenses progrès qui restent à réaliser, elle a de plus l'inconvénient de fournir des arguments à nos adversaires qui traitent ces fêtes scolaires d'exhibitions foraines ». Nous devons encourager la jeunesse en stimulant son amour-propre, mais prenons garde de le faire au détriment de notre cause.

Examinons de sang-froid et sans parti pris la valeur des résultats acquis. Si vous additionnez le nombre des jeunes gens qui ont effectivement pris part aux diverses épreuves terrestres ou nautiques proposées tant par le Comité de Propagation des exercices du corps, que par la Ligue nationale de l'éducation physique, vous arrivez avec beaucoup de bonne volonté à un total de 400, mettons 500 concurrents. Or, la population scolaire de Paris, rien que dans l'enseignement secondaire, atteint le chiffre de 15,000 écoliers au moins. Il y a donc un trentième à peine de la jeunesse lettrée qui a participé effectivement aux divertissements athlétiques du Lendit. Voilà le bilan pour Paris. Mais Paris n'est pas toute la France, bien que suivant une expression banale il en soit le cerveau ou le cœur ; et de ce que ce cœur ou ce cerveau fonctionne à peu près régulièrement, il ne s'ensuit pas que le corps tout entier soit en bon état. Voyons donc ce qui a été fait en province. Bordeaux a eu son Lendit, et ce Lendit a été fort réussi. Le département du Nord a organisé un tournoi interscolaire de gymnastique, de boxe et d'escrime entre les divers lycées et collèges de la région. Cà et là il y a bien encore eu quelques louables tentatives pour secouer l'inertie physique de nos établissements d'instruction publique je citerai notamment la fête de gymnastique organisée le 29 juin par la ville de Dreux (1). Mais combien de villes, combien de départements entiers sont restés absolument en dehors du mouvement! Et ce que je remarque de l'enseignement secondaire est à plus forte raison vrai de l'enseignement primaire. Là, tout ou presque tout reste à faire, et c'est précisément sur quoi je voulais appeler l'attention deslecteurs de cette Revue. Le problème de l'éducation physique ne sera

(1) Ont pris part à cette fète le lycée et l'école normale de Chartres, les collèges de Dreux, Chateaudun et Nogent.

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complètement résolu que du jour où les bienfaits de celle-ci se seront fait sentir à l'école primaire, qui représente la grande masse de la jeune France. Dans une société démocratique, tout progrès moral ou matériel ne mérite ce nom qu'à condition de ne pas être le privilège d'une petite élite autrement la surface seule est entamée, le fond de la nation reste intact. La question qui se pose et qui s'impose est donc la suivante, et pour y donner une réponse satisfaisante nous faisons appel au concours de toutes les lumières et de toutes les bonnes volontés : « Quel est le moyen de populariser parmi les enfants qui fréquentent l'école primaire le goût de ces distractions saines et viriles qui font les peuples vertueux, libres et forts? » Si toute cette campagne qu'on mène en ce moment-ci en faveur des exercices du corps n'aboutissait qu'à créer quelques athlètes d'élite, produits d'une habile sélection, qui serviraient de spectacle et d'amusement à leurs camarades moins favorisés de la nature, je ne dis pas que ce résultat serait nul, mais je dis qu'il serait médiocre et ne répondrait guère à la grandeur des efforts. Le but que l'on se propose ne serait pas atteint, car ce n'est pas sur les sujets d'élite, qui n'ont d'ailleurs aucun besoin d'encouragement pour développer leurs heureuses dispositions naturelles, que nous devons porter, nous éducateurs de la jeunesse, notre attention: c'est sur les sujets moyens, sur les sujets faibles, qu'il faut amener à prendre dans la mesure de leurs forces une part active aux exercices athlétiques.

Qu'on ne s'y trompe pas ce n'est pas du jour au lendemain qu'un pareil résultat peut être obtenu. Il sera le fruit d'une lente élaboration, et c'est une autre génération que la nôtre qui verra germer et se féconder la bonne semence que nous aurons répandue. Il faut d'abord que tous nos instituteurs soient bien persuadés de la nécessité de l'éducation physique. Assez et trop longtemps on a cru qu'on pouvait impunément mépriser la matière, et que l'esprit seul avait droit à nos soins. Si vous voulez avoir des caractères fortement trempés, donnez au corps une éducation virile. L'âme se roidit en même temps que les muscles se durcissent. Le même effort qui nous rend maîtres d'une difficulté matérielle nous fait triompher d'un obstacle moral. En général, le courage marche de pair avec la santé et la vigueur. Ce valeureux comte de Fontaines qu'on voyait, suivant une phrase célèbre, « porté dans sa chaise, et montrant malgré ses infirmités qu'une âme guerrière est maîtresse du corps qu'elle anime »>, n'est qu'une admirable exception. Celui qui se sent chétif et incapable de résister à la violence, est nécessairement plus timide que celui qui a confiance dans sa force. Du moins, pour vaincre sa timidité, il faut au premier une excitation exceptionnelle, un effort de volonté qui ne peut pas toujours se soutenir. Rappelez-vous la fable de La Fontaine sur l'éducation des deux chiens: suivant que vous habituerez vos enfants de bonne heure à la fatigue et aux exercices violents ou que ou: les laiss rez croupir dans l'inertie, vous en ferez

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