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cette manière d'interpréter les hommes et d'expliquer l'histoire on peut lui reprocher de démontrer plutôt le caractère des temps, l'influence des époques, de l'éducation, de l'exemple de la famille, que l'action de l'hérédité. Il est vrai qu'il est peut-être difficile de faire, d'une époque quelconque, lorsqu'il s'agit de temps très-éloignés de nous, la part des circonstances, nécessairement complexes, qui ont pu concourir à la formation de caractères devenus historiques par la mort et la célébrité; il est aussi vrai que l'exemple, l'imitation, l'éducation, les temps, ne peuvent être éliminés, d'une manière absolue, des circonstances actives sur ces caractères. Indubitablement, ce serait une erreur et une faute énormes de prétendre les réduire toutes, et dans tous les cas, à l'hérédité; mais il faut éviter de tomber dans l'autre écueil, et de prétendre absorber, dans ces influences, l'action du naturel sur le caractère, l'action de l'hérédité sur le naturel.

Le naturel revendique dans l'histoire, comme partout, la principale part, et reste la première source des actions humaines.

Deux considérations achèvent, à notre avis, de résoudre affirmativement la question, même dans ce qu'elle a de plus grave, dans l'hérédité des propensions au crime.

Aux époques les plus corrompues de l'histoire d'un peuple ou d'un pays, jamais la contagion n'atteint toutes les familles; il y en a toujours, et à l'honneur de l'homme, il faut le reconnaître, c'est souvent le grand nombre, dont la moralité résiste et reste intacte, au milieu de l'impure atmosphère qu'elles respirent; on ne peut donc arguer,aussi indistinctement, ni aussi exclusivement qu'on le fait d’habitude, pour expliquer les hommes et les actes du passé, de la corruption profonde et générale des temps; c'est tou

jours la nature humaine qui s'agite, nature libre et morale; le seul fait de succomber, passionnément, sans retour, d'une manière absolue, et comme élective, à ces épidémies de la santé morale, révèle dans ces familles que le mal a choisies, qu'il aime, en quelque sorte, et dont il est aimé, ce que révèlent souvent les épidémies de la santé physique dans celles qu'elles dévorent, une prédisposition latente et virtuelle, une nature harmonique à la nature du mal.

Dans les familles mêmes où les vices du temps ont élu domicile, ou qu'on suppose soumises à l'empire exclusif de l'éducation ou de l'exemple des parents, on voit se représenter le même phénomène : tous les membres n'en sont pas, le plus souvent, atteints; une partie échappent. Est-ce à dire, uniquement, que la nature morale résiste et qu'elle l'emporte? Non, c'est à dire aussi que là, comme ailleurs, la génération obéit à ses lois; que l'innéité se produit, et que, par la même raison, l'hérédité opère. Une preuve décisive, c'est que cette soustraction d'une partie des membres aux vices, aux défauts, ou aux qualités historiques des familles, n'est nullement arbitraire, qu'elle suit très-souvent la marche de croisement, par opposition de sexe, marche si ordinaire de l'hérédité.

et

« Il suffit de consulter l'histoire, dit à ce sujet Girou de Buzareingues, pour reconnaître Scipion, dans Cornélie; Cornélie, dans les Gracques ; Caton, dans Porcie; Cicéron, dans Tullie; Livie, dans Tibère; Caligula, dans Julie Drusille; Agrippine, dans Néron; Somie, dans Héliogabale; Faustine, dans Commode; Alphonse IX, dans ses trois filles Bérangère, Blanche et Urraque; Bérangère, dans saint Ferdinand; Blanche, dans saint Louis; Louis XII, dans la reine Claude; Catherine de Médicis, dans Charles IX et dans Henri III; Henri II, dans Marguerite de Valois; Ca

therine de Navarre, dans Henri II de Navarre; Henri II, dans Jeanne d'Albret; Jeanne d'Albret, dans Henri IV; Henri IV, dans Henriette d'Angleterre; Marie de Médicis, dans Louis XIII, ou dans Gaston; Anne d'Autriche, dans Louis XIV; Marie-Charlotte Leckzinska, dans la Dauphine; Henri VIII, dans Marie ou dans Élisabeth (1). »

Le présent et le passé, l'expérience et l'histoire, l'animalité et l'humanité, tout nous autorise donc à répéter des modes de l'activité pathétique de l'être, et de ses modes d'impression, d'impulsion, et d'état, sentiments, goûts, penchants, passions, caractères, ce que nous avons dit, dans un autre chapitre, de nos sensations :

Dans toute notre manière intérieure de sentir, l'espèce premièrement, puis la race, ont leur part, et, en troisième lieu, la famille a la sienne; et cette triple nature de la force sentimentale, qui nous caractérise, et dont les expressions se propagent toujours, plus ou moins, à nos actes, s'inspire, en quelque sorte, dans l'extase de l'amour, de la contagion de la vie, et se transmet avec elle à notre postérité.

Cette loi est-elle commune à notre intelligence?

ARTICLE III.

DE L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES PROPRES AUX MODES D'ACTIVITÉ INTELLECTUELLE DE L'ÊTRE.

§ Ier. Aperçu de l'opinion générale des auteurs sur l'hérédité de ces caractères.

De l'intervention de l'hérédité dans les sensations, de son intervention dans les sentiments, ou dans les sources

(1) Girou de Buzareingues, Philosophie psychologique, p. 311. · aussi de la Génération, p. 285 et suiv.

Voyez

externes et internes des idées, découle rationnellement l'action de l'hérédité sur l'intelligence.

Cette conclusion logique ne pouvait ni ne devait cependant être acceptée par toutes les époques, ni par toutes les doctrines: un rapport trop direct l'unissait au problème de la nature et de l'origine de l'âme.

On sait que c'est surtout à l'admirable don que l'homme a de comprendre, que la plupart des systèmes de théologie, de philosophie, et de physiologie, ont longtemps rattaché le principe immortel de notre existence : ils ont identifié l'intelligence à l'âme. Mais leur accord, assez général sur ce point, ne s'est pas étendu jusqu'à la question d'origine et de nature de ce dernier principe. L'hérédité mentale devait donc se trouver plus intimement mêlée, qu'aucune autre des formes de l'hérédité, aux débats qu'ont, de tout temps, soulevés ces deux problèmes.

Sur la question de nature, deux théories contraires divisaient et divisent encore les esprits la doctrine de la spiritualité, et la doctrine de la matérialité de l'âme.

Trois systèmes les ont également partagés, de toute antiquité, sur son origine: le premier est celui de la préexistence, le deuxième celui de la création, et le troisième celui de la génération ou de la transmission de l'âme.

Dans l'hypothèse de la préexistence des âmes, le corps n'est qu'une prison où les âmes, éternelles, incréées, ou créées, à l'origine des temps, viennent subir l'épreuve ou l'exil de la vie.

Dans la seconde hypothèse, Dieu, source immédiate et unique des âmes, crée, à chaque conception, une âme personnelle au corps qui se produit.

Enfin, dans la dernière des trois hypothèses, toutes les àmes humaines sortent de celle d'Adam, origine com

mune de laquelle elles émanent, en se propageant, à la manière des corps, par génération.

On ne peut se faire une idée, que par la lecture des Pères, de l'ardeur avec laquelle ces trois opinions ont été autrefois débattues dans l'Église, et de l'anxiété profonde où elles avaient fini par jeter les esprits. Chacune d'elles y comptait des représentants. Origène, Pierius, Philastre (1), Synésius, et la majeure partie des Pères orientaux, profondément imbus des idées platoniques, comme parmi les Juifs, les Kabbalistes l'étaient des idées du parsisme (2), se ralliaient au dogme de la préexistence : une autre partie des Pères, et tous les Pélasgiens, comme plus tard les Thomistes, adoptaient celui de la création : Tertullien (3), Arnobe (4), Tatien, Apollinaire, et, de l'aveu de saint Jérôme (5), la plus grande partie des Pères occidentaux, professaient la doctrine de la transmission des âmes. D'accord, en général, pour rejeter l'opinion de la spiritualité et de l'immortalité de nature, de l'àme, ils pensaient que les parents engendraient l'âme et le corps. Tertullien ajoute même très-explicitement que cette génération comprend le sentiment et l'intelligence, et qu'elle s'accomplit, non-seulement dans le même acte, mais dans le même instant, que celle du corps lui-même (6).

Plus tard, sans adopter les idées de Tertullien sur la nature de l'âme, Luther, Hasenreffer, Sigwardus, Thummius, Christophe Wolfflin, l'Église luthérienne tout

(1) Philastrius, de Hæresibus, hæres. 51.

(2) Ad. Franck, la Kabbale, p. 241, 375, 389. (3) Tertullianus, de Anima, cap. XIX et XXVII.

(4) Arnobi Opera, Lugduni-Batavorum, 1651. – lib. II, p. 68 et seq.

:

(5) Sancti Hieronymi Opera.

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Adversus gentes,

Epist. ad Marcellinum, t. IV, p. 642.

(6) « Pupullabit tam intellectu quam et sensu. » Op. cit., cap. xix.

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