Imagens das páginas
PDF
ePub

Ce n'est pas que des esprits hardis ne s'aventurent à mettre à tout moment l'une à la place de l'autre et, dans leur impatience de devancer le temps, ne courent tous les hasards de ces substitutions. De là, tant de systèmes, tant d'interprétations prématurées des faits, auxquels les faits résistent, et qui, dans l'impuissance de se les soumettre, les mutilent ou les nient.

Mais l'élasticité latente des questions triomphe de ces violences: elles ressortent vierges de ce lit de Procuste où on les a tordues, pour revenir au point où le système les a prises, plus insolubles encore et plus rebelles à toutes les explications, malgré les tentatives, aussi longtemps que l'heure de la seconde époque n'est pas encore venue.

L'heure de la seconde époque n'arrive que lorsque celle de la première passe: non pas qu'il faille attendre l'instant où la question des faits est épuisée; la question des faits ne s'épuise jamais; ils se continuent, ils se renouvellent sans cesse. Le moment d'élection de la théorie a d'autres signes certains.

Ce moment est celui où l'on voit que les faits qui se suivent et s'entassent s'obscurcissent eux-mêmes; où la diversité, la multiplicité de leur succession embarrassent l'esprit plutôt qu'elles ne l'éclairent; où l'observation et l'expérience à leur tour impuissantes ou contradictoires ne se suffisent plus; où de toutes parts, enfin, le premier besoin qu'on

éprouve à la vue de ces matériaux épars, et de ces fragments sans nombre et sans lien du problème, est celui de ce lien mystérieux qui échappe, est celui de cet ordre qui ne se montre pas, est celui du système universel de lois auquel ils se rapportent.

Une des plus importantes branches de la chimie, la chimie organique, en est là de nos jours, affaissée sous le poids de ses propres richesses, et perdue jusqu'ici, sans fil conducteur, dans le dédale infini de ses expériences et de ses découvertes.

C'est le point où, dans les sciences physiologiques, nous avons rencontré la question du rapport de la nature physique et morale de l'être à celle de ses auteurs l'obscur et grand problème de l'hérédité.

Nous renvoyons plus loin à traiter de l'importance de la question en elle-même, et de ses connexions avec l'ensemble des sciences physiques et morales (1); nous ne voulons ici qu'esquisser à grands traits cet état d'apparente insolubilité où nous l'avons trouvée.

I. Malgré le laps des siècles qui se la sont transmise, malgré les matériaux accumulés sur elle, le point de fait s'est plutôt obscurci qu'éclairci, depuis l'Antiquité.

Expérimentateurs moins exercés que nous, mais observateurs vrais, et au plus près des choses, quand ils se bornent à voir, les anciens ont connu tous les

(1) Voir les Prolégomènes, p. 1 à 20.

faits généraux de l'hérédité. Médecins, philosophes, ou législateurs, ils avaient simplement mais largement saisi son influence sur l'être; ils en avaient fait remonter le principe jusqu'aux sources premières de la nature physique et de la nature morale et de tous les états de santé et de maladie.

Il n'y a, pour ainsi dire, qu'une voix, à cet égard, dans l'Antiquité.

Il existe, au contraire, sur le même point de fait, c'est-à-dire sur le mode et l'étendue d'action de l'hérédité, de grandes oppositions de doctrine chez les modernes.

Ces doctrines peuvent toutes rentrer dans trois classes qui se distinguent entre elles par leur manière contraire d'envisager l'ESPÈCE, et par le plus ou moins de part qu'elles font à l'ESPÈCE ou à l'INDIVIDU dans l'hérédité.

La première école, dont de Maillet, Bauman, Robinet et Lamarck sont restés les organes, renversant comme fictive la borne qui sépare le type SPÉCIFIQUE du type INDIVIDUEL, ouvre à l'hérédité un horizon sans fin, sans lumière et sans base, où passent et disparaissent, en se transformant comme de simples êtres, les ESPÈCES elles-mêmes, devenues en quelque sorte des formes et des moments de la vie successive de l'INDIVIDU.

La seconde école, qui en philosophie est celle de Wollaston, d'Helvetius, de Weikard, en physiologie

celle de Charles Bonnet, en médecine celle de Louis, s'arrêtant, au contraire, devant la borne élevée entre les types SPÉCIFIQUE et INDIVIDUEL comme devant une limite immuable et sacrée, circonscrit l'action de l'hérédité dans la même limite: elle lui ouvre, en un mot, la sphère de l'ESPÈCE, mais elle lui ferme celle de l'INDIVIDU.

La troisième école, tout en reconnaissant avec la seconde la légitimité de la distinction des types qu'abolit la première, admet à la fois l'hérédité du type SPÉCIFIQUE des êtres, et l'hérédité du type INDIVIDUEL ; mais se sépare de fait en autant de fractions que de représentants sur les éléments, les systèmes, les formes, les états de la vie qu'elle est ou qu'elle n'est pas appelée à régir:

Sur la nature physique, les uns limitant l'action de l'hérédité à tel ou tel principe, à telle ou telle partie, tel ou tel élément, organe, ou caractère ; les autres l'étendant à tous les caractères, organes, éléments, parties, principes de l'être, solides ou liquides, mais rejetant bien loin d'eux l'idée de son influence sur les anomalies de l'organisation; ceuxci, au contraire, admettant l'influence de l'hérédité sur une certaine classe de ces anomalies, la niant sur les autres; ceux-là, disposés à l'accueillir sur toutes indistinctement.

Sur la nature morale, mêmes divisions. Il en est qui n'accordent à l'hérédité aucun pouvoir sur elle;

il en est qui lui en accordent un partiel. Selon certains auteurs, elle exerce un empire réel sur les sens, mais n'en exerce aucun ni sur les sentiments, penchants, ou passions, ni sur les qualités ou facultés mentales; selon plusieurs autres, l'intelligence seule se soustrait à sa loi. De plus hardis esprits refusent d'en excepter cette puissance elle-même; d'intimidés se dérobent aux conséquences qu'ils craignent d'une telle conclusion, par une distinction entre l'hérédité du dynamisme de l'homme, et l'hérédité du dyna misme des bêtes; de téméraires se refusent à toute distinction et enchaînent, en quelque sorte, à la fatalité d'un destin qui remonte aux sources de la vie, les déterminations de l'activité libre et responsable de l'âme.

Dans la pathologie, domaine des désordres et des altérations morbides des deux natures, partout mêmes divisions, mêmes fractionnements: là aussi l'on dispute, là aussi l'on diffère sur les moindres points de fait, sur l'empirisme pur de l'hérédité des maladies de l'homme, de l'hérédité de celles de l'animal. Il n'y a pas d'accord entre les vétérinaires; il n'y en a pas entre les médecins.

Des médecins ont nié d'une manière absolue l'action de l'hérédité sur les maladies; des médecins ont fait deux classes des maladies, rejeté l'hérédité des affections aiguës, admis l'hérédité des affections chroniques; c'est une très-difficile

« AnteriorContinuar »