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vigne; comme le taureau est l'orgueil du troupeau, les moissons l'ornement des grasses campagnes ; de même, ô Daphnis, tu l'étais de nos bergeries. Depuis que les destins t'ont enlevé, Palès ellemême, Apollon aussi a quitté nos champs. Souvent dans ces sillons à qui nous avions confié des grains superbes, il ne croit plus que la triste ivraie et toutes les herbes stériles; à la place de la douce violette, du narcisse pourpré, s'élèvent le chardon et la ronce aux épines aiguës. Jonchez la terre de feuillages, bergers; couvrez ces fontaines d'ombrages entrelacés: Daphnis veut qu'on lui rende ces honneurs. Elevez lui un tombeau, et gravez-y ces vers: Je suis ce Daphnis connu dans les forêts et jusqu'aux > astres, berger d'un beau troupeau moins beau que le berger.

MÉNALQUE.

› Tes chants, divin poète, sont pour nous ce que le sommeil sur le gazon est aux membres fatigués, ce qu'au milieu des ardeurs de l'été l'eau jaillissante d'un ruisseau est à celui qui y étanche sa soif. Ce n'est pas seulement sur les pipeaux, c'est encore par la voix, que tu égales ton maître; heureux enfant, tu seras le premier après lui! Cependant je veux à mon tour te chanter, comme je pourrai, quelques-uns de mes vers; à mon tour je veux élever ton cher Daphnis jusqu'aux astres, et moi aussi Daphnis m'aima.

MOPSUS.

>> Est-il un don plus grand pour moi? Le triste enfant est bien digne d'être chanté par toi ; il y a longtemps que Stimicon m'a vanté les vers que t'inspira Daphnis.

MÉNALQUE.

› Daphnis, dans les splendeurs de la céleste lumière, admire le seuil de l'Olympe, son nouveau séjour; il voit sous ses pieds les nuages et les astres. Aussi quels vifs transports en ressentent et les forêts, et les campagnes, et Pan, et les bergers, et les jeunes Dryades! Le loup ne songe plus à tendre des piéges aux troupeaux, le chasseur à surprendre les cerfs dans ses traitres lacs; le bon Daphnis aime la paix. Les monts incultes eux-mêmes en poussent jusqu'aux astres des cris de joie; les rochers mêmes et les buissons prennent une voix pour dire « C'est un dieu,

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» Ménalque, c'est un dieu! Sois nous propice et favorable, ô Daphnis voici quatre autels; deux fument pour toi, Daphnis, deux pour Apollon. Tous les ans je t'offrirai deux coupes où écumera un lait nouveau, deux cratères pleins du jus savoureux de l'olive Bacchus surtout égaiera nos rustiques festins; et, l'hiver, à la flamme du foyer, l'été, à l'ombre des bois, je verserai à flots dans nos coupes un vin de Chio, nouveau nectar pour moi. Damétas et Egon chanteront tour à tour, et Alphésibée imitera la danse légère des Satyres. Tels seront à jamais tes honneurs, ô Daphnis! et quand nous célébrerons la fête solennelle des nymphes, et quand nous promènerons les victimes autour de nos champs. Tant que le sanglier aimera le sommet des montagnes, les poissons l'eau des fleuves; tant que l'abeille se nourrira de thym, la cigale de rosée, ton nom, ta gloire et tes vertus vivront dans nos cœurs. Comme à Bacchus et à Cérès, les laboureurs t'adresseront leurs vœux tous les ans ; et toi aussi tu les lieras par leurs vœux.

MOPSUS.

Quels dons, Ménalque, quels dons puis-je t'offrir, en retour de pareils chants? Non, le souffle naissant de l'auster, le doux bruit des flots qui vont battre la rive ne me charment pas autant, ni les fleuves qui courent entre les rochers murmurants des vallées.

MÉNALQUE.

› Reçois de moi d'abord ce frêle chalumeau. Il m'apprit à chanter Corydon brûlait pour le bel Alexis. » Il m'apprit à chanter: ‹ A qui ce troupeau? Est-ce à Mélibée ? »

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MOPSUS.

› Et toi, Ménalque, prends cette houlette, précieuse par ses nœuds égaux, et où brille l'airain : Antigène, tout aimable qu'il était alors, me l'a souvent, mais en vain demandée. › (Traduction de M. A. Nisard.)

D

Cette pièce, dit l'abbé Batteux, est toute dramatique; elle commence par un dialogue de deux bergers, qui ensuite font chacun leur récit. Le style est partout vraiment pastoral. Cependant on peut y distinguer trois espèces de nuances ou de de

P. L. II.

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grés; le premier, dans le dialogue ou entretien familier de deux acteurs ne se montrant que comme bergers; c'est le ton de la comédie pastorale. Les deux autres degrés sont dans les récits, où les bergers se montrent non-seulement comme bergers, mais comme bergers poètes, et par conséquent inspirés : ils ont un ton plus élevé que dans ce qui précède le premier récit a le ton de l'élégie, le second tient du lyrique.

:

C'est Daphnis qui nous apprit, etc. C'est l'éloge du berger; il n'est point chargé de phrases; il est sans pompe, sans apprêt. Daphnis avait appris trois choses aux bergers; on nomme ces trois choses tout est dit. Le reste de l'élégie est consacré à la douleur et aux regrets. On parle à Daphnis comme s'il pouvait entendre on lui dit que tout est changé dans la nature depuis qu'il n'est plus. Ainsi sont faits les hommes; s'ils entendaient leur éloge funèbre, il n'y a rien dont leur amour-propre fût plus content que si on leur disait que tout s'est détruit avec eux, et que l'ordre du monde était attaché à leur existence. (Principes de Littérature).

C'est surtout dans la dixième et dernière églogue, intitulée Gallus, que Virgile réunit toutes les beautés champêtres aux plus tendres affections de l'amour; c'est un poème achevé. Il montre dans ses perspectives la fontaine d'Aréthuse, la mer de Sicile, les forêts avec leurs échos, les solitudes du mont Ménale, les rochers du froid Lycée, les plaines brûlantes de l'Ethiopie. Il y introduit des troupeaux, des bêtes féroces, des bergers, des naïades, Apollon, Sylvain, Pan, le dieu de l'Arcadie. Et il en fait le fond du tableau où il décrit l'amour malheureux de son ami Gallus. Cythéride, fameuse comédienne, l'avait abandonné pour suivre Antoine à la guerre de la Germanie: Gallus lui adresse les regrets les plus douloureux sous le nom de Lycoris. Il l'invite à revenir auprès de lui.

Ici sont de limpides fontaines; ici sont de molles prairies, ô ma chère Lycoris! ici, unc majestueuse forêt ; c'est ici qu'avec toi je voudrais ètre consumé par le temps. »

Il se la représente suivant son rival au milieu des armées et des hivers, et il oppose au doux site qu'il vient de lui tracer ceux de la Germanie:

Pour toi, loin de ta patrie, (que ne puis-je en douter encore!) seule, sans moi, cruelle, tu braves les neiges des Alpes et les frimas du Rhin. Puisses-tu ne pas ressentir la rigueur des frimas! Puissent leurs âpres glaçons ne pas blesser tes pieds délicats! >

Virgile, après avoir réuni dans son poème les plus touchantes images, les couvre du voile de la nuit :

* << Levons-nous; l'ombre et surtout l'ombre des genévriers a coutume d'être dangereuse à ceux qui chantent. Les ombres sont encore nuisibles aux fruits. Allez mes chèvres, allez vous en rassasiées à la maison: l'étoile du soir paraît. ›

Virgile pour ajouter à la mélancolie de son site, se suppose occupé à tisser une corbeille de branches de houx, assis au pied d'un genévrier, arbrisseau non moins hérissé que le houx. Il répète trois fois le mot d'ombre, comme pour rembrunir son paysage. Nous remarquerons qu'il répand toujours les derniers rayons ou plutôt les dernières ombres du soleil couchant sur ses paysages, lorsqu'il y introduit un sujet mêlé de tristesse.» (Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature.)

GÉORGIQUES.

L'Italie venait d'être ravagée par la guerre civile. Les féroces passions du champ de bataille avaient remplacé l'amour de la campagne et de l'agriculture. Mécène sentit qu'il fallait remettre en honneur les pacifiques travaux qui nourrissent les hommes, et c'est pour ce motif qu'il engagea Virgile à les célébrer. De là naquirent les Géorgiques, chef-d'œuvre admirable de goût, de bon sens et de style. C'est le monument le plus achevé de la littérature antique. Théocrite et Homère ont toujours disputé la palme à Virgile, l'un dans le poème pastoral et l'autre dans le poème épique; mais il a laissé Hésiode bien loin derrière lui dans le poème géorgique. Hésiode était plus agriculteur que poète; il songe toujours à instruire, rarement à plaire; jamais une digression agréable ne rompt chez lui la continuité et l'ennui des préceptes.

Cette manière de décrire chaque mois l'un après l'autre a quel

que chose de trop uniforme et de trop simple, et donne à son ouvrage l'air d'un almanach en vers. On retrouve, il est vrai, la nature dans sa poésie; mais ce n'est pas toujours la belle nature. Il n'est pas plus judicieux dans ses préceptes, qui souvent sont entassés sans choix, chargés de détails minutieux, et revêtus d'images puériles. Après tout, il faut regarder son ouvrage comme la première esquisse du poème géorgique : l'antiquité de ce monument nous offre quelque chose de vénérable. Mais si nous voulons voir cette exquisse s'agrandir, les figures devenir plus correctes, les couleurs plus brillantes et le tableau parfait, il faut l'attendre de la main d'un plus grand maître.

Tel est le poème de Virgile. Il a tout l'intérêt que peut offrir un sujet didactique. Deux choses, en effet, sont nécessaires pour rendre un ouvrage d'esprit intéressant, l'agrément et l'utilité. Les poètes doivent non-seulement peindre la nature, mais l'imiter dans ses procédés: partout elle réunit dans ses ouvrages l'agréable et l'utile; les Géorgiques présentent ce double intérêt. L'auteur a pris pour sujet le premier de tous les arts, celui qui nourrit l'homme, qui est né avec le genre humain, qui est de tous les lieux, de tous les temps; rien de plus utile. Pour l'agrément, on ne conçoit pas de sujet plus heureux. L'attrait naturel de la campagne, les travaux et les amusements champêtres, l'admirable variété des trésors qui couvrent la terre, l'abondance des moissons, la richesse des vendanges, les vergers, les troupeaux, les abeilles ; tous ces objets qui, malgré la dépravation de nos mœurs, les préjugés de l'orgueil, ont des droits si puissants sur notre âme, voilà ce que présente le poème de Virgile il est riche comme la nature, il est inépuisable comme elle. Joignez à cela les idées d'innocence, de félicité, de tranquillité attachées à la vie champêtre : ce plaisir délicieux avec lequel nos yeux fatigués de la pompe des villes et des merveilles des arts se rejettent vers les beautés simples de la campagne et les prodiges variés de la nature est-il rien de plus intéressant pour les âmes qui conservent encore quelque sensibilité!

Les anciens nous ont laissé des poèmes didactiques sur d'autres sujets. Celui des Géorgiques nous parait l'emporter de beau

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