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blement distingué par l'Académie des sciences morales et politiques, qui lui a décerné un prix. Cependant elle n'a pas approuvé toutes les vues de l'auteur, et en effet elle ne le pouvait pas; car, ne se bornant pas à l'état actuel des choses, il porte ses regards dans l'avenir et se livre à des hypothèses qui ne peuvent avoir aucun degré de certitude.

L'application de la vapeur à l'industrie et l'établissement des chemins de fer sont deux faits de notre époque qui semblent destinés à changer la face du monde. Non-seulement leur influence promet un large développement à la civilisation, mais elle amènera sans doute des résultats qu'on ne peut encore prévoir, et accomplira dans toutes les relations politiques et sociales une révolution plus pacifique mais bien plus complète qu'aucune de celles que mentionne l'histoire du passé. L'effet le plus immédiat de l'emploi des machines à vapeur dans l'industrie a été, tout en augmentant la production, de rendre d'abord plus précaire et plus malheureux le sort des ouvriers. Une pareille transition ne pouvait s'effectuer sans compromettre un grand nombre d'existences, et le malaise social qui en est résulté a donné de fortes armes aux adversaires de tout progrès; il a même grossi leurs rangs de certains esprits impressionables qui sentent plus qu'ils ne raisonnent, et qui, émus des misères présentes, ont reculé effrayés sans vouloir suivre l'expérience jusqu'au bout. Cependant tous les obstacles et toutes les volontés du monde ne peuvent anéantir une découverte nouvelle, et il faut bien accepter les machines à vapeur comme on a accepté l'imprimerie qui venait aussi jeter la perturbation dans le monde industriel du xve siècle. Le mieux est, ainsi que le fait M. Pecqueur, de chercher par quels moyens on peut faciliter la transition, hâter le développement de l'industrie nouvelle et amener le plus tôt possible les résultats heureux qui doivent compenser largement un malaise momentané. Les chemins de fer lui paraissent la première conséquence nécessaire des applications de la vapeur; multiplier les voies de communication et leur donner la plus grande rapidité possible, c'est favoriser la distribution des produits et ôter à la centralisation de l'industrie ce qu'elle peut avoir de fâcheux. Ensuite la liberté complète du commerce est une condition non moins favorable dont les effets ne se feront peut-être pas sentir immédiatement, mais agiront puissamment sur l'avenir. Enfin il faut que les classes ouvrières si utiles à l'état par leur activité laborieuse deviennent l'objet de la sollicitude du gouvernement qui leur doit d'assurer au moins leur subsistance dans les momens de crise. Cette action du gouvernement doit être plutôt morale que matérielle, ce ne sont pas des secours qu'on lui demande, c'est une protection éclairée qui sache inspirer l'esprit d'ordre et de

prévoyance en lui offrant des primes d'encouragement et des garanties de sécurité. Le tableau suivant de l'état actuel des classes ouvrières en France, tracé par M. Pecqueur, est triste, mais frappant de vérité; il nous les montre en butte à deux influences contraires également mauvaises :

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« Une fausse et dangereuse démocratie fourvoie les peuples » dans un radicalisme superficiel qui n'a devant soi que des >> impossibilités, qu'un désert, le néant après la destruction, » et dont les classes pauvres, au nom desquelles on s'émeut, » seraient les premières victimes; car on leur apprend à se préoccuper de leurs droits et nullement de leurs devoirs; on les gonfle de fiel et de récriminations; on leur inculque le venin de la haine et de la jalousie basse au nom de la > doctrine la plus patiente, la plus miséricordieuse, la plus pleine de mansuétude; au nom de la fraternité, de la cha» rité et de l'amour chrétiens! On les habitue à contempler » exclusivement ce qu'ils n'ont pas, et à dédaigner le peu qu'ils >> ont; à envier la position d'autrui et à la déclarer illégitime uniquement par cela qu'elle n'est pas la leur, et par conséquent à se décourager au labeur quotidien, au travail dans » l'œuvre toujours lente et pénible de leur propre avenir; à » contracter des habitudes d'oisiveté expectante, de vie aven>tureuse, d'espérance folle; à escompter une émeute, à dé» clarer la société en état de siége ou en révolution perma» nente. Le besoin légitime d'indépendance est travesti en » attitude anarchique, en hostilité réfléchie contre la société » et contre ses exigences fondamentales. Toute autorité exté» rieure pèse, chacun la prend en haine, et cependant bien » peu savent s'en donner une intérieure qui permette à l'au⚫ torité coercitive de ne pas se faire sentir. Cette portion de la » démocratie, partout où elle s'élève à une certaine puissance » de fait, dans les deux Amérique, en Angleterre, en France, » en Espagne, en Portugal, en Italie, etc., a la voix brusque, a le geste brutal, l'attitude anguleuse du guerrier de l'âge païen elle voudrait ramener la douceur et l'allure peu bruyante des classes cultivées à cette fausse simplicité; elle ne paraît pas comprendre la nécessité des conditions de ⚫ temps, d'étude, de loisir et d'éducation pour le progrès des » sciences, des arts libéraux et des institutions; ni la légitimité » de la politesse, du bon ton, des bienséances et d'une pudique retenue, et comme si elle assimilait indissolublement » le raffinement délicat des relations humaines à l'afféterie et » à la corruption, elle rendrait volontiers impossibles l'avan→ cement des beaux-arts et leur éclatant cortége de monumens, de pompes et de dorures.

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» Mais si la conduite politique de ces tribuns modernes et

» de leurs courageuses cohortes ne peut être approuvée, celle » de leurs contradicteurs peut l'être moins encore. Les actes » des premiers, toute condamnation qu'on en puisse porter, s'ex»pliquent par des motifs, par des impulsions nobles et désin» téressés en général; une trempe ardente, quelques idées » fausses, mais généreuses et avouables, entées sur le principe » démocratique, les ont égarés. Les droits de la liberté mé» connus en eux, et dans les peuples leurs frères, ou de con» solantes et sincères illusions déçues contre toute attente, ont leur inspirer un ressentiment indomptable, et les pousser >> à des violences coupables; nous l'avouons, mais ce sont là » des raisons atténuantes, et l'on peut y trouver leur excuse, » sinon leur justification. Les intérêts satisfaits et vainqueurs, » n'ont au contraire à opposer, pour s'absoudré devant l'his»toire, que leur ignominie et leur aveuglement. Oui! une » forte portion des aristocraties des classes marchandes et >> manufacturières, est impie et coupable au dernier chef » devant la haute justice de la loi morale qui régit le monde » chrétien.

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Fanatiques de leur chose, et accoudés sur leurs droits acquis, ils sont partout dans les deux mondes durs et in» traitables, comme l'avare auprès de son trésor menacé.

» Assis par hasard au banquet de la vie, ils s'irritent qu'on » les y trouble, et sont implacables contre qui veut y prendre place en nouveau convive.

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» Ils se croient des saints lorsqu'ils se contentent de leur » part, et qu'ils n'ont ni dettes, ni procès; que la police et les gendarmes les laissent libres, et que nul ne peut dire avec » la loi : Fripon!

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Pour eux, pauvreté c'est vice, vertu, niaiserie ou hypocrisie; enthousiasme, dévouement et sacrifices, folie.

» La patrie, c'est leur famille, leur champ ou leur boutique; l'humanité, c'est leurs enfans et leur famille; leurs enfans, ils les aiment à la manière des loups : tout pour soi » et ses petits.

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Ils ont perdu le sens des choses sociales, et n'ont retenu >> des prescriptions morales que celles qui s'adaptent à l'égoïsme. Ils ont des droits, et plus de devoirs. Sans la me» nace du porteur de contrainte et de la force armée, ils ne paieraient point leurs impôts. Sans la peur des émeutes ou » des assassinats, ils ne voudraient ni gouvernement, ni police, »> ni hospices, ni aumônes, ni bureau de bienfaisance, parce » que tout cela coûte cher.

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» En résumé, d'une part on sature les masses de radica>> lisme et d'épicurisme; on les pousse à faire table rase sous >> le prétexte de mieux édifier; de l'autre, on n'a d'entrailles

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» que pour soi et ses enfans, et l'on fait de l'insensibilité par système; partout il y a curée de la chair sociale, chacun » propose ce but à toute sa vie faire fortune à tout prix, » sauf les châtimens du code pénal terrestre. »>

La révolution opérée dans l'industrie par les applications de la vapeur exige impérieusement une réforme à cet égard. L'emploi toujours plus général de machines puissantes qui ôtent à l'ouvrier les fonctions purement mécaniques, et ne lui laissent que des travaux dignes de l'intelligence humaine, réclament de lui un développement plus vrai de ses facultés intellectuelles, et il est absolument nécessaire que la morale donne la main à l'intelligence si l'on ne veut pas que celle-ci entre dans une voie dangereuse. Il faut réveiller dans les masses l'esprit religieux et combattre la superstition qui en est la mort, il faut faire appel à tous les sentimens nobles et généreux. La charité véritable, cet amour fraternel qui se manifeste par le support, l'aide mutuelle et toutes les vertus de la famille transportées dans une sphère plus large et plus féconde, doit devenir le guide de tous les efforts, et c'est à la fois le plus beau côté du christianisme et celui qui peut le mieux captiver les sympathies de la classe ouvrière. La marche de l'industrie dans ses voies nouvelles tend elle-même déjà vers ce but, car elle développe de plus en plus l'esprit d'association, et finira par substituer l'intérêt commun à l'intérêt particulier ou plutôt par les confondre de telle sorte, que chacun comprendra qu'il est individuellement intéressé à se sacrifier pour le bien de tous. Mais si on la laisse agir seule, si, au lieu de la favoriser et de lui préparer les voies, on continue à l'entraver par maints obstacles, cette transformation inévitable ne se fera pas sans de longues perturbations et de violentes secousses.

M. Pecqueur la regarde comme si imminente, qu'il ne craint pas d'en déployer à nos regards les résultats probables. On trouvera peut-être quelque témérité dans ces vues d'avenir où il expose en détail des développemens qui ne reposent la plupart que sur des hypothèses très-hasardées. Mais l'ensemble de cet aperçu est certainement vrai, et l'on ne peut contester la justesse des déductions sur lesquelles il s'appuie. Si l'imprimerie a puissamment contribué aux progrès de la civilisation, en permettant aux hommes de se communiquer leurs pensées, leurs sentimens, leurs études et leurs découvertes d'un bout du monde à l'autre, que ne doit-on pas attendre des chemins de fer, qui, en rapprochant tous les foyers de lumière, leur donneront une force de rayonnement incalculable. Les voyages, les échanges multipliées, l'activité du commerce centuplée, rapprocheront et mêleront tous les peu

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LÉGISLATION, ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC.

ples, qui comprendront bientôt que leur intérêt général est le même; ils feront arriver non-seulement dans les villes, mais jusque dans les plus misérables hameaux, jusque dans la cabane isolée du pâtre des montagnes, une instruction qui n'exigera pas, pour être comprise et exercer son influence, les conditions indispensables aujourd'hui à celle de nos livres et de nos journaux. L'élan est déjà donné et nul pouvoir au monde ne saurait arrêter le mouvement. Aussi, l'on ne peut trop le répéter, le meilleur parti à prendre, le seul qui puisse empêcher de funestes désastres, c'est de se mettre à sa tête, de favoriser sa marche pacifique en modifiant à propos les institutions politiques et civiles. M. Pecqueur signale avec joie, l'esprit de prévoyance et de mutualité qui commence à se glisser dans les classes ouvrières. Mais dans l'état actuel des choses il est nécessaire de ne pas abandonner à eux-mêmes ces premiers essais que l'ignorance ou la mauvaise foi rendraient trop facilement infructueux. Si les classes éclairées comprennent bien leurs intérêts, elles se dévoueront corps et âme à encourager, à aider, à soutenir ces associations dans lesquelles l'artisan trouve, au moyen d'une légère cotisation mensuelle, une assurance contre la maladie et la misère qui en est la suite. Aujourd'hui les ouvriers comprennent l'utilité des sociétés de prévoyance, mais ils ne sont en général ni assez éclairés, ni assez maîtres de leur temps pour leur donner une direction convenable, pour assurer leur existence et leur durée. C'est aux hommes qui ont le temps et les lumières nécessaires, à se charger de cette direction; c'est à eux qu'il appartient de lui imprimer l'impulsion morale, de donner l'exemple du dévouement généreux, d'apporter leur contingent de sacrifices et de zèle, en retour duquel ils obtiendront l'estime et l'affection. Alors l'association deviendra véritablement mutuelle entre toutes les classes de la société, et l'on verra petit à petit disparaître ces préjugés, ces jalousies, ces haines violentes qui divisent le monde en deux parties : ceux qui possèdent et ceux qui n'ont rien. Autrement, si la première de ces deux classes continue à se renfermer dans son égoïsme anti-social, à n'employer ses lumières et ses richesses que pour s'emparer du mouvement industriel et l'exploiter à son profit particulier, sans souci de la morale, ni de la justice, une guerre à mort est inévitable, et l'état social est menacé des plus terribles convulsions avant que la marche de la civilisation puisse reprendre une allure calme et régulière.

Ces grandes questions d'économie sociale ont une importance sur laquelle on ne saurait trop attirer l'attention publique. Le livre de M. Pecqueur, dont je ne puis donner ici qu'un aperçu bien incomplet, mérite d'être lu et étudié avec atten

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