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poésies religieuses et chRÉTIENNES ; par Ph. Corbière.- Paris, chez Ab. Cherbuliez et Cie, 1839. In-8, 3 fr. 50 c.

Depuis quelques années on a dit que la poésie s'était faite religieuse, et l'élan mystique donné à cette branche de la littérature a été signalé souvent comme un des symptômes les plus frappans du mouvement des esprits vers une réaction contre l'incrédulité du dernier siècle. MM. de Châteaubriant et de Lamartine ont été les premiers instig teurs de cette impulsion, à laquelle nous devons tant de fatras poétiques empreints d'une religiosité plus ou moins factice. Mais la véritable religion a eu bien peu de part dans l'inspiration de tous ces poètes, depuis M. de Lamartine lui-même, jusqu'aux derniers de ses nombreux imitateurs. On ne retrouve en eux que l'expression d'un sentiment vague, qui n'est fondé ni sur une foi réelle, ni sur des principes solides et bien déterminés. On voit que la plupart ont chanté le Catholicisme sans être vraiment catholiques, ont vu dans ses mystères un moyen de produire de l'effet, et n'ont considéré la religion que sous le rapport artistiqne.

M. Corbière n'a point suivi la même marche, il part d'une croyance arrêtée, bien définie et ne se tient pas dans le vague nuageux du mysticisme. Ses poésies sont réellement chrétiennes, et la plupart d'entre elles sont même destinées au chant de l'église. Comprenant la nécessité de modifier à cet égard le culte protestant, et de remplacer les psaumes par des hymnes mieux adaptés aux mœurs et aux idées du temps présent, il a dirigé de ce côté-là son talent poétique, remarquable par une grande pureté et une harmonie sévère. La simplicité et la clarté de son style le distinguent des poètes de l'école moderne dont il n'imite ni la phraséologie tourmentée, ni la vague et stérile profondeur. Sa croyance est celle du protestantisme qui place la Bible entre la foi et la raison, et s'attache plus à l'esprit qu'à la lettre, cherche la vérité dans le sens moral des mystères, et ne s'arrête pas seulement à la superficie des formules et des pratiques. On trouve dans ses poésies une onction pieuse, une religion éclairée et tolérante, un parfum de charité et de vertu qui en rendent la lecture pleine d'attrait. Il n'y a nulle prétention ambitieuse, nulle trace d'affectation, rien qui ressemble à tous ces essais de petits rimeurs qui se croient des génies méconnus. On y reconnait l'expression vraie de sentimens réels, c'est l'abondance du cœur qui dirige la plume de l'écrivain, et les vers coulent faciles et gracieux sans efforts, ni peine. En général le talent de M. Corbière se maintient dans une ligne moyenne. Il a de

la noblesse, de la gravité, mais peu d'énergie; il est agréable, il plaît, mais n'entraîne pas et n'impressionne que faiblement. Quelquefois, cependant, il peut s'élever à une certaine hauteur, et ne reste jamais au-dessous de la majesté de son sujet. La pièce suivante nous a paru digne d'être citée pour faire apprécier les qualités du poète :

LA CHARITÉ.

Charité! don du ciel, vertu compatissante,
Espoir du malheureux, flamme pure d'amour;
Toi qu'appelait en vain l'humanité souffrante,
Pour adoucir nos maux tu parus en ce jour,
Où Dieu, se déclarant le père
Du malheureux, de l'indigent,
Envoya son Fils sur la terre,
Nous apprendre à chérir un frère
Sous les haillons du mendiant.

Tu n'es point un argent qu'on rougisse de prendre,
Un secours dans la main sans un soupir au cœur,
Un don suivi d'un mot que l'on craigne d'entendre,
Ne sachant soulager sans blesser le malheur;
Ta parole embellit, enchante,

Les dons que ta main fait pleuvoir;
On entend de ta bouche aimante
Cette parole consolante :

Mieux vaut donner que recevoir.

A soulager les maux, habile, ingénieuse,
Tu vas dans les réduits où se cache la faim
Porter au malheureux ton offrande joyeuse;
Ta main soigne la veuve et nourrit l'orphelin.
Aucun éclat dans ton aumône,

Ta droite fuit la vanité,

Cache à sa sœur ce qu'elle donne,

Et sans bruit tresse la couronne

Qui luira dans l'éternité.

Quand le pauvre à ton seuil, la main tremblante et vide,
Frappe timidement, ta main lui vient ouvrir;

L'amène à ton foyer, calme sa faim avide,
Ton cœur aimant souffrait en le voyant souffrir.
Ton humeur est la patience,

Ton caractère la bonté,
Tes effets sont la bienfaisance,
Le monde t'appelle obligeance,
Jésus te nomma charité.

Dans le calme et la paix où s'écoule ta vie,
Sans soupçonner le mal tu recherches le bien,
Tou coeur ne connaît pas l'aiguillon de l'envie,
Le bonheur de chacun vient accroître le tien.
Humble, modeste, confiante,
Des cœurs lien mystérieux,
O charité compatissante!
Tu portes dans une âme aimante
La paix et le calme des cieux.

Quand l'injure à tes pas s'attache et te menace;
Lorsque de ses clameurs le méchant te poursuit,
Compagne du Sauveur, tu marches sur sa trace,
Et ta prière au ciel monte pour qui te nuit.
Comme Jésus sur le Calvaire,

Tu ne sais que plaindre et bénir;
Tu veux, aimante et débonnaire,
De tous ceux qui te font la guerre
Gagner le cœur, non les punir.

Aussi quand l'univers sous les flots de l'abîme
S'engloutira noyé dans une mer de feu;

Quand la flamine des monts couronnera la cime
Et les fera tomber dans le creuset de Dieu;
Alors sur cette mer bouillante,

A côté de la charité,

L'espérance et la foi vivante

Vogueront, pendant la tourmente,

Jusqu'au port de l'éternité.

1er NUMÉRO DU LIVRE SANS TITRE, de J. B., maître de langue grecque à Florence. - Paris, chez Ab. Cherbuliez et Cie. 1839. In-8 grandraisin.

par

Cette première livraison n'a en effet pour titre qu'une page blanche avec un encadrement, dans lequel chaque lecteur sera libre d'inscrire le nom qui lui semblera le mieux mérité les spirituelles boutades du Maître de langue grecque. C'est une suite de réflexions et d'observations piquantes sur les questions de politique, de religion, d'art, de littérature, qui préoccupent le plus vivement les esprits de notre temps. Ce digne Maître de langue grecque s'était cru appelé à provoquer une seconde renaissance des lettres, et en se fixant à Florence, il se flattait d'y faire renaître une nouvelle Académie de Platon. Quelque ambitieux que fût ce projet, il n'était certes pas au-dessus de ses moyens, mais la direction de notre épo

que n'est malheureusement pas de ce côté-là, et les Florentins ont montré fort peu de zèle à envoyer leurs enfants décliner Masz et conjuger TOTO à son école. Le professeur a donc été obligé de garder son grec pour lui, et s'est trouvé fort heureux de rencontrer un amateur qui voulût bien le prendre en amitié et en faire son compagnon de voyage. Un séjour à Paris lui fournit ample matière à déblatérer contre notre époque misérable, qui ne montre ni goût, ni probité, ni vertu, et qui ne veut pas apprendre le grec. Il en tire habilement parti pour tracer quelques pages satiriques pleines d'esprit, dans lesquelles sont passés en revue les principanx traits de la physionomie actuelle de la grande capitale. Le portrait n'est pas flatté, mais il est vrai, et la crise politique si longue et si ridicule qui tient en suspens toutes les affaires depuis cinq ou six semaines, offre une preuve assez frappante de la vérité de plusieurs de ses observations. Notre Grec paraît avoir une grande confiance dans le pouvoir royal, et il se prononce fortement pour la nécessité de sa prépondérance dans le gouvernement constitutionnel. Mais ce n'est point chez lui un penchant absolutiste, car il sent bien que les vieilles monarchies ne satisfont nullement les besoins de l'époque présente, encore moins les espérances de l'avenir. Mais il est effrayé des conséquences probables de bouleversemens nouveaux qui jetteraient dans les voies de la démocratie des nations encore peu préparées à cette émancipation complète, et ne possédant aucune des qualités qui peuvent seules présenter une base solide et une garantie de durée à la république.

Ses idées sont celles d'un homine religieux, qui trouve dans l'Evangile les véritables principes de la liberté et appelle de tous ses vœux l'établissement de la grande communauté chrétienne dans laquelle charité, dévouement, abnégation seront les mobiles de toutes les actions, l'esprit de toutes les institutions. Si c'est une illusion, elle est du moins noble, généreuse et fort séduisante; elle explique d'ailleurs parfaitement bien l'indignation éprouvée par l'auteur, en présence de la corruption parisienne. Il y a loin, en effet, de cet état de dégradation morale, au but de perfectionnement qu'il propose, et l'on peut bien avoir des élans de colère, des instans de découragement, quand on voit que rien n'est institué pour y conduire, que tout, au contraire, semble conspirer pour en détourner. Le digne professeur croyait fermement que la révolution de 1830 avait mis Paris sur la bonne route, et se réjouissait d'étudier la marche de ce progrès lent, mais sage et moral dont la France a si grand besoin; aussi fut-il cruellement désappointé. Mais laissons-le parler lui-même, et

peindre à sa manière le réveil religieux dont on a fait tant de bruit :

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J'arrivais avec l'espoir de trouver une réaction en faveur de la religion, espoir que m'avaient donné maintes personnes au-delà du Rhin, et que j'avais conçu moi même à la lecture de quelques bons ouvrages, publiés depuis les fameuses journées de Juillet. En effet, je l'ai trouvée, la réaction, non pas celle que j'attendais, de l'incrédulité à la fois, mais des farces de Montrouge à la plus froide indifférence; je dirai plus, à un profond mépris pour tout culte en général. On voit des processions autour de Notre-Dame, et le peuple y accourt des quartiers voisins. L'abbé Cœur prèche-t-il, la jeunesse de Paris vient en foule assister à ses sermons qui, commençant à deux heures, font que dès les sept heures du matin, on ne trouve plus de place dans l'église, où l'éloquent prédi cateur doit se faire entendre. En conclurait-on que le culte parle encore au cœur du peuple, que la religion reprend son empire sur la jeunesse? on se tromperait grossièrement. Le peuple accourt aux processions comme il irait voir les voltgeurs de Franconi; la jeunesse se presse autour de la chaire dans l'intérêt de l'art oratoire, comme elle va aux séances des Chambres : c'est-à-dire, à l'église, pour tirer des comparaisons entre l'éloquence de la chaire actuelle et celle des Bossuet, des Massillon; aux dernières, pour admirer ou critiquer les orateurs de la gauche ou de la droite. »

La situation politique est appréciée avec non moins de sagacité, et l'effet général produit par la capitale sur notre auteur lui fait retrouver avec le plus vif plaisir sa chère Florence, dont il donne une description des plus flatteuses, la représentant comme un séjour enchanteur, où sous le gouvernement le plus doux et le plus paternel on jouit avec délices de tous les biens de la civilisation la plus avancée. Cet opuscule est terminé par une rude critique contre le malencontreux voyage en Italie de M. J. J. qui a donné aux Florentins une idée fort peu favorable du célèbre feuilletoniste.

En résumé, ce premier numéro du Livre sans Titre fera désirer la suite, car on y trouve réuni bon goût, esprit et savoir.

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