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des ordres divers, l'art de la guerre, l'administration des finances, toutes les parties enfin de la science sociale s'élaboroient lentement. Pendant les deux derniers siècles, au contraire, ces diverses branches de la grande science s'étoient complétement développées; chacune avoit dès lors son histoire, chacune sa bibliothèque, chacune ses adeptes, qui ne supporteroient pas patiemment, l'un une exposition des campagnes de Condé, l'autre des plans de finance de Colbert, et l'autre des réformes judiciaires de d'Aguesseau. Ce qui seroit superficiel pour eux seroit trop long pour le commun des lecteurs. Ces derniers euxmêmes ne reviendroient point avec plaisir sur l'histoire de la cour et de ses intrigues, sur celle de la littérature ou du progrès des opinions; toutes choses qu'ils croient savoir, et sur lesquelles ils ont déjà arrêté leur jugement. Les écrivains originaux de cette époque présentent trop d'attrait pour qu'aucun lecteur demande à l'historien des Français de lui en donner ou l'extrait ou la copie. Qui pourroit vouloir reproduire ainsi les Mémoires de madame de Motteville ou de mademoiselle de Montpensier, ceux du cardinal de Retz et de Saint-Simon, ou la correspondance de Voltaire? Dans cette partie encore vivante de l'histoire, le champ est trop vaste pour ne pas devoir être partagé.

M. de Sismondi s'est donc déterminé à ne pré

senter sur ces deux derniers siècles qu'un résumé philosophique, un tableau où les événemens sont indiqués à leur place, et où leurs conséquences sont déduites de manière à ce que l'esprit en puisse bien saisir l'ensemble; mais quant à tous les détails, à toutes les recherches scientifiques auxquelles il s'attachoit dans les précédens volumes de son ouvrage, il renvoie à ces écrivains originaux qui appartiennent à la plus belle époque de la littérature française, et qu'aussi bien personne ne voudra se dispenser de lire.

Pour se préparer à ce travail, pour s'accoutumer en quelque sorte à voir les événemens d'en haut, et à les grouper, au lieu de les détailler, M. de Sismondi a écrit un Précis de l'Histoire des Français, qui contient en deux volumes un tableau des mêmes douze siècles dont il a fait l'histoire dans son grand ouvrage; ces deux volumes paroîtront dans le courant de la présente année 1838, et nous croyons ne pouvoir mieux faire pressentir leur contenu, qu'en insérant ici textuellement l'Introduction qui se trouvera en tête du premier volume.

Paris, 1er mai 1838.

TREUTTEL ET WÜRTZ.

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LORSQU'ON s'attache à savoir l'histoire, et à connoître avec son aide les hommes et les institutions humaines, on éprouve à la fois deux sentimens contradictoires : on voudroit s'arrêter, pour bien comprendre, dans tous leurs détails, les événemens et les personnages; on voudroit avancer rapidement, pour saisir leur ensemble. On ne peut rendre aux temps passés la vie et la vérité que par une étude approfondie; il faut s'associer intimement avec les hommes d'un autre âge, il faut se pénétrer de leur esprit, pour comprendre leurs motifs, pour saisir en eux l'image, non de quelques actions isolées, mais de la société tout entière dont ils sont l'expression, pour que leur conduite nous donne une autre instruction que celle d'un enchaînement inexplicable d'événe

mens et de dates. Plus on s'enfonce dans les détails, et plus on est attiré vers des détails nouveaux ; plus on a résolu de problèmes historiques, et plus on en voit surgir d'inconnus, dont on désire aussi la solution car il n'y a pas une des actions humaines qui ne ramène à l'étude de cet infini qui est dans le coeur de l'homme; il n'y a pas une des déterminations de personnages influens dans l'histoire, qui ne pût comporter, qui ne méritât peut-être une analyse philosophique, pour démêler les intérêts ou élevés ou grossiers, les inspirations ou nobles ou vulgaires, qui ont amené des événemens auxquels a tenu souvent le sort des peuples.

Mais quelque attrait que puisse inspirer cette analyse des actions humaines, qui, plus elle est exacte, plus aussi elle devient philosophique, on ne la poursuit pas long-temps sans s'apercevoir qu'elle fait perdre de vue l'ensemble et la marche, ou du genre humain, ou de la nation qu'on étudie. Plus on s'est fait homme du vie ou du XIIe siècle, pour comprendre les hommes et les choses de ce temps-là, et plus on s'est rendu incapable, du moins pour un temps, de comprendre la marche qui devait conduire du vie au XIIe siècle, ou du xir jusqu'à nos jours. Il faut repousser tous ces détails; il faut fondre de nouveau les individus dans les masses; il faut s'élever, en quelque sorte, au-dessus de la terre, pour voir se dessiner

cette procession majestueuse du genre humain, qui s'avance lentement vers le but à lui assigné par la Providence.

Le besoin de saisir ces deux points de vue, si différens du progrès de notre race, ne sauroit être satisfait que par des ouvrages de nature aussi très différente. Au désir ardent de connoître la vérité entière, dût-on, pour cela, pénétrer par l'analyse jusqu'au plus profond asyle du coeur, correspondent les grands corps d'histoire, que nous nous sentons entraînés, par une curiosité toujours plus active, à creuser, à approfondir toujours plus, à enrichir, par la découverte de manuscrits ignorés jusqu'à ce jour, de révélations long-temps tenues secrètes. Au désir non moins ardent de généraliser nos idées, et de juger la croissance et les développemens de chaque peuple, ou ceux du genre humain tout entier, comme s'il s'agissoit d'un seul individu, correspondent les précis, les résumés, les essais sur la grandeur et la décadence des peuples, qui réunissent dans un seul foyer les rayons dispersés des lumières historiques, qui lient les grandes causes aux grands effets, et qui rétablissent dans l'enchaînement des événemens cette unité, qualité première des travaux de l'esprit, sans laquelle aucune impression n'est produite sur l'intelligence ou l'imagination, aucun résultat ne sauroit s'obtenir.

Cependant il nous semble toujours désirable que

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