Imagens das páginas
PDF
ePub

genre de talent, celui de saisir et de peindre les travers de la société avec la justesse et la finesse caustique de la Bruyère, est le dernier ouvrage qu'il ait publié, mais non le dernier auquel il travailla: il s'occupait d'un poëme sur la vieillesse, disant quelquefois à ses amis qu'il n'était que trop plein de son sujet, lorsqu'il fut enlevé aux lettres et à l'amitié, le 1er mai 1813, à l'âge de soixante-quinze ans.

Les plus grands honneurs furent prodigués à ses restes. Son corps, embaumé, resta durant plusieurs jours exposé sur un lit de parade, dans une des salles du Collège de France. L'Institut en corps, l'Université, et tout ce que la capitale avait de savants, d'hommes de lettres et d'artistes distingués, assistèrent à ses funérailles. Ses élèves, parmi lesquels se trouvaient des maitres, portèrent son cercueil et payèrent à sa mémoire, dans plusieurs discours éloquents, le tribut de leur douleur et de leur admiration.

Delille avait donné, dans l'épître dédicatoire de son poëme de l'Imagination, l'idée du modeste monument où il désirait que reposât un jour sa dépouille mortelle :

Ma plus chère espérance et ma plus douce envie,
C'est de dormir au bord d'un clair ruisseau,

A l'ombre d'un vieux chêne ou d'un jeune arbrisseau :

Que ce lieu ne soit pas une profane enceinte :

Que la religion y répande l'eau sainte;

Et que de notre foi le signe glorieux,

Où s'immola pour nous le Rédempteur du monde,
M'assure, en sommeillant dans cette nuit profonde,

De mon réveil victorieux.

La veuve du poëte chrétien a rempli ces pieuses intentions aussi fidèlement que les circonstances locales le permettaient, en lui faisant élever, au cimetière du P. La Chaise, un mausolée où se trouve pour toute inscription: JACQUES DELILLE. Ces mots sont à eux seuls un grand éloge, car, en même temps qu'ils nous rappellent le souvenir d'une perte immense pour les lettres, ils retracent à notre pensée cette longue suite de travaux qui n'a fatigué que l'envie, et qui portera le nom de Jacques Delille à la postérité.

Aucun poëte, en effet, ni dans l'antiquité, ni parmi les modernes, n'a laissé un plus grand nombre de vers et de beaux vers. S'il a souvent négligé l'invention et la régularité dans la conception et l'ensemble de ses poëmes, aucun écrivain n'a montré plus d'esprit et de goût; un sentiment plus exquis des mystères de notre versification, une connaissance plus approfondie des ressources de notre style poétique : personne n'a possédé à un plus haut degré l'art d'ennoblir les mots par leur emploi, de donner à ses idées un coloris plus brillant, à la langue une harmonie plus soutenue, et personne enfin n'a su répandre plus d'intérêt, de grâce et de richesses. dans les détails.

Sous le rapport des qualités sociales, ce poëte n'a pas moins de droits a notre estime et à nos éloges : l'urbanité, la douceur de son caractère, la bonté de son cœur, la gaieté, le charme inimitable de sa conversation, lui attirèrent autant d'amis qu'il y eut de gens distingués à portée de le connaître.« Il racontait avec grâce, dit M. Duviquet, s'exprimait avec feu, ne parlait de lui qu'en reculant devant les provocations les plus pressantes, comme Horace ne récitait ses vers que lorsqu'il s'y voyait obligé par la reconnaissance ou par l'amitié. Frondait-il un ridicule, ce qui lui arrivait assez souvent, il regardait autour de lui, et si le trait prêt à partir pouvait atteindre, même indirectement, une personne de l'assemblée, il le retenait dans sa main, ou le laissait tomber à terre. Un caractère aussi liant et aussi aimable le faisait rechercher dans les premières sociétés de la capitale; il y portait l'enjouement et la naïveté d'un enfant ; galant et respectueux auprès des dames; libre, mais sans morgue et avec décence auprès des grands; applaudissant au succès, je ne dirai pas de ses rivaux (depuis la mort de Voltaire il n'en avait plus ), mais de ses confrères; sûr de sa supériorité, parce qu'il avait trop d'esprit pour la méconnaître, et trop aussi pour ne pas affecter de l'ignorer; comme il savait se taire, et que sa présence ne génait point les parleurs, il observait en souriant, prenait ses notes, de mémoire, et le soir, rentré chez lui, les confiait à ses tablettes. >>

Si nous joignons à ce portrait celui que l'on attribue à sa veuve ellemême, nous aurois une idée plus complète encore du caractère de l'homme célèbre qui a laissé dans la mémoire de ses amis de si doux souvenirs. «Delille faisait remarquer, dit-elle, une grande conformité entre le caractère de ses écrits et sa physionomie : ils avaient de la noblesse, de la simplicité, de l'élévation, de l'esprit, de la franchise, de la gaieté et de la mélancolie. Mais c'était dans ses regards qu'il fallait chercher sa physionomie tout entière. Ils étaient si expressifs, qu'on ne voulait plus croire à leur extrême faiblesse, lorsque la conversation animait ses yeux, et qu'ils animaient la conversation. « Laissez-moi le voir, disait une fenime « à quelqu'un qui s'était placé devant elle dans une société nombreuse a où il lisait un poëme : quand je ne le vois pas, je ne l'entends plus. » «Sa sensibilité le rendait fidèle, non-sculement à ses amis, mais aux personnes qui l'intéressaient, aux lieux mêmes qu'il avait habités. Ses ou. vrages sont pleins de ses premiers souvenirs. Le commentaire de ses vers était toujours dans son cœur... Il semblait n'avoir aucune mémoire pour les choses de vanité; et quand il parlait de lui, il oubliait toujours les moments les plus brillants de sa gloire... Ses ouvrages l'occupaient beaucoup; il aimait le travail; il détestait la publicité: s'il fût né avec un peu de fortune, il n'eût rien fait imprimer de son vivant. Il donnait des preuves de faiblesse dans les petites occasions; il était sublime dans les grands événements. Son âme semblait appartenir tour à tour à la gaieté, à la mélancolie; l'une se répandait dans sa conversation, l'autre

dans ses ouvrages. Ses entretiens avaient de la grâce, parce que, toujours naturel et simple, il ignorait l'affectation, qui la détruit. En général, il régnait un grand accord entre son esprit et son cœur; il n'aurait pu se peindre, il ne se connaissait pas. Il n'exprimait jamais que ce qu'il avait éprouvé ou senti. Quoi qu'en aient dit des détracteurs injustes, j'ai vu souvent ses larmes suivre ou précéder les vers qu'il me dictait. L'envie de plaire chez lui ressemblait à la vertu; inspiré par sa bienveillance naturelle, il faisait pour sa société ordinaire les mêmes frais que pour les cercles les plus nombreux. De toutes les vertus qui composaient son caractère, la reconnaissance était celle qu'il cultivait le plus soigneusement. L'ingratitude lui semblait le plus hideux des vices. Il aimait beaucoup il aimait d'être aimé. Il ne regrettait point la perte de sa fortune; mais il pleurait amèrement celle de ses amis. >>>

MM. Regnaud de Saint-Jean d'Angély, Arnault et Delambre, ont prononcé l'éloge funèbre de Delille sur sa tombe. M. Campenon, son successeur à l'Institut, lui a payé un juste tribut d'éloges, ainsi que M. Tissot, qui l'a remplacé dans la chaire de poésie latine, au Collége de France.

WOILLEZ.

LES GÉORGIQUES

DE VIRGILE.

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

On ne peut publier dans un moment plus favorable la traduction d'un ouvrage sur l'agriculture. Cette matière est devenue l'objet d'une foule de livres, de recherches et d'expériences. Dans toutes les parties du royaume je vois s'élever des sociétés d'agriculture. On a imaginé de nouvelles façons de labourer et de semer. Plusieurs citoyens ont eu la générosité de sacrifier des arpents de terre et des années de récolte à des essais sur l'économie rurale. L'agriculture, comme les autres arts, a ses amateurs. La mode a disputé à la philosophie l'honneur d'ennoblir ce que le luxe et l'orgueil avaient longtemps avili; et la théorie de cet art occupe presque autant de têtes dans les villes que la pratique exerce de bras dans les campagnes. Il est vrai que lorsque j'ai interrogé les cultivateurs de profession, que nos cultivateurs de ville sont tentés de regarder comme des espèces de machines un peu moins ingénieuses que celles qu'ils ont ima. ginées, je leur ai entendu dire que toutes ces découvertes, faites dans le cabinet, souffraient de grandes difficultés sur les lieux. Cependant, malgré ces observations, malgré le ridicule de l'agromanie, il faut convenir que l'agriculture ne peut que gagner aux travaux des savants: par leur secours elle sortira insensiblement des sentiers étroits que lui a tracés la routine, et des ténèbres où la retient un instinct aveugle.

On ne s'est pas contenté de chercher des méthodes nouvelles, on a voulu connaître celles des anciens. On sait combien l'agriculture était florissante et honorée parmi eux. Pour ne parler que des Romains, avec quel plaisir lisons-nous dans leur histoire les noms des

« AnteriorContinuar »