Imagens das páginas
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purum immissus habenis... Nondum acie falcis tentanda... Dura exerce imperia... ramos compesce fluentes... >>

Enfin, la répétition de ces trois tum, qui donne au vers tant de mouvement et de vivacité.

Je demande encore pardon au lecteur de citer mes vers après ceux de Virgile; mais si j'ai réussi à conserver la plupart de ses images, que n'aurait pas fait un poëte qui aurait eu plus de talent que moi pour manier sa langue?

Quand les premiers bourgeons s'empresseront d'éclore,
Que l'acier rigoureux n'y touche point encore :
Même lorsque dans l'air, qu'il commence à braver,
Le rejeton moins frêle ose enfin s'élever,
Pardonne à son audace, en faveur de son âge;
Seulement de ta main éclaircis son feuillage.
Mais enfin, quand tu vois ses robustes rameaux
Par des nœuds redoublés embrasser les ormeaux,
Alors saisis le fer, alors sans indulgence

De la séve égarée arrête la licence;

Borne des jets errants l'essor présomptueux,
Et des pampres touffus le luxe infructueux.

Qu'on n'imagine pas que j'ai choisi ces deux morceaux : toute la traduction de l'abbé Desfontaines est dans ce genre. Il y a sans doute de la faute du traducteur; mais on sent, en le lisant, que presque partout la hardiesse du poëte a effarouché la timidité du prosateur. On peut être plus fidèle que lui, même en prose; mais cette fidélité sera toujours très-imparfaite; et pour une image heureusement rendue, mille autres avorteront infailliblement, par l'effet de la circonspection timide nécessairement attachée à ce genre d'écrire.

A l'égard de ceux qui prétendent que la meilleure traduction en vers défigure les originaux et affaiblit leurs beautés, il me suffit de leur opposer celle d'Homère par le célèbre Pope. J'ai vu des personnes très-instruites de la langue grecque convenir de bonne foi que la traduction leur avait fait infiniment plus de plaisir que l'original. Celle de Virgile par Dryden m'a paru moins nerveuse, moins brillante, plus négligée; mais encore est-il vrai qu'il nous fait mieux connaître Virgile que les meilleures versions en prose: c'est du moins un poëte qui traduit un poëte.

Il me reste à parler du système de traduction que j'ai suivi, et des Jibertés que je me suis permises. J'ai toujours remarqué qu'une extrême fidélité en fait de traduction était une extrême infidélité. Un

mot est noble en latin; le mot français qui y répond est bas: si vous vous piquez d'une extrême exactitude, la noblesse du style est donc remplacée par de la bassesse.

Une expression latine est forte et précise; il faut en français plusieurs mots pour la rendre : si vous êtes exact, vous êtes long.

Une expression est hardie dans le latin; elle est tranchante en fran çais vous remplacez donc la hardiesse par la dureté.

Une suite de mots est harmonieuse dans l'original; ceux qui y répondent immédiatement peuvent n'être pas aussi mélodieux : l'âpreté de sons va donc prendre la place de l'harmonie.

Une image était neuve dans l'auteur latin; elle est usée en français : vous rendez donc une image neuve pour une image triviale.

Un détail géographique, une allusion aux mœurs, pouvait être agréable dans votre auteur au peuple pour lequel il écrivait, et ne l'être pas pour vos lecteurs vous n'êtes donc qu'étrange, lorsque votre auteur est intéressant.

Que fait donc le traducteur habile? il étudie le caractère des deux langues. Quand leurs génies se rapprochent, il est fidèle ; quand ils s'éloignent, il remplit l'intervalle par un équivalent, qui, en conservant à sa langue tous ses droits, s'écarte le moins qu'il est possible du génie de l'auteur. Chaque écrivain a, pour ainsi dire, sa démarche et sa physionomie; il est plus ou moins chaud, plus ou moins rapide, plus ou moins ingénieux : on ne prendra donc pas, pour rendre le style toujours vrai, toujours précis, toujours simple, de Virgile, le style brillant, fécond et diffus d'Ovide.

On consultera ensuite le genre d'ouvrage. On ne traduira pas un poëme didactique comme un poëme épique; les Géorgiques, par exemple, comme l'Énéide.

Chaque morceau de l'ouvrage a aussi son caractère dépendant du fond des idées et du mouvement du style. Les idées sont simples ou brillantes, gaies ou sombres, riantes ou majestueuses : le traducteur non-seulement ne confondra pas ces différents tons, ces différentes couleurs, mais en saisira, autant qu'il lui sera possible, les nuances principales.

Le mouvement du style dépend surtout de la longueur ou de la brièveté des phrases. Le traducteur ne noiera pas dans de longues périodes des traits détachés qui doivent s'élancer avec vivacité; il ne hachera pas non plus des périodes nombreuses, qui doivent rouler avec majesté.

Il sera surtout fidèle à l'harmonie dans une traduction en vers,

surtout dans une traduction de Virgile, il vaudrait mieux sacrifier quelquefois l'énergie et la justesse que l'harmonie. Il en est de la poésie comme d'un instrument musical; il ne suffit pas que les tons soient justes, il faut qu'ils soient mélodieux. Lorsque Virgile a dit, Atque metus omnes et inexorabile fatum Subjecit pedibus;

en vain vous rendrez la force de cette pensée si vous ne réprésentez pas la majesté de l'harmonie.

Mais c'est surtout l'harmonie imitative qu'il faut s'attacher à rendre. J'avoue que c'est ce qui m'a le plus coûté dans cette traduction : notre langue à cet égard a si peu de ressources! Aussi ai-je passé quelquefois sur les règles ordinaires qui ordonnent la suspension de l'hémistiche et qui proscrivent l'enjambement. J'en citerai quelques exemples; c'est aux connaisseurs à me juger. Lorsque Virgile a dit, Et mortalia corda

Per gentes humilis stravit pavor; ille flagranti, etc.; pour rendre cette suspension sublime, j'ai osé dire

L'univers ébranlé s'épouvante... le dieu, etc.

Lorsque Virgile, peignant un flot qui tombe, a fait ces vers admirables,

Ad terras immane sonat per saxa, nec ipso

Monte minor procumbit ; at ima exæstuat unda, etc.;

pour rendre la pesanteur de cette chute j'ai cru pouvoir hasarder une coupe de vers nouvelle :

Soudain le mont liquide élevé dans les airs

Retombe; un noir limon bouillonne au fond des mers.

Il n'y a pas dans Virgile un seul endroit imitatif pour lequel je n'aie fait les mêmes efforts: mais comme il n'est pas possible que j'aie toujours réussi, je m'en suis dédommagé, autant que je l'ai pu, en mettant de l'harmonie imitative dans plusieurs vers où Virgile n'en a point mis; car il faut être quelquefois supérieur à son original, précisément parce qu'on lui est très-inférieur.

Enfin le traducteur portera le scrupule jusqu'à conserver à chaque membre de phrase la place qu'il occupe, toutes les fois que la gradation naturelle des idées l'exigera. Il s'attachera surtout à rendre chaque trait avec précision. Il ne mettra que rarement en deux vers ce que son auteur exprime en un. Plus un trait gagne en éten

due, plus il perd en force: c'est une liqueur spiritueuse, qui lorsqu'on y verse de l'eau diminue de qualité en augmentant de quantité.

C'est surtout dans un ouvrage didactique, comme les Géorgiques de Virgile, que la précision est essentielle: un précepte exprimé brièvement se grave bien mieux dans la mémoire, que lorsqu'il est noyé dans une foule de mots qui la surchargent. C'est sans doute dans cette vue que Boileau a rempli son Art poétique de vers pleins de précision, et par cette raison faciles à retenir.

J'ai fait tous mes efforts pour être aussi précis que mon original : sur deux mille vers et plus, ma traduction n'excède guère que de deux cent vingt; et j'ai cherché en cela, non la gloire puérile de faire à peu près le même nombre de vers que Virgile, mais l'avantage d'égaler, autant qu'il m'a été possible, la rapidité de l'original, qui doit à cette qualité un de ses principaux charmes.

Mais le devoir le plus essentiel du traducteur, celui qui les renferme tous, c'est de chercher à produire dans chaque morceau le même effet que son auteur. Il faut qu'il représente, autant qu'il est possible, sinon les mêmes beautés, au moins le même nombre de beautés. Quiconque se charge de traduire contracte une dette; il faut pour l'acquitter qu'il paye, non avec la même monnaie, mais la même somme quand il ne peut rendre une image, qu'il y supplée par une pensée; s'il ne peut peindre à l'oreille, qu'il peigne à l'esprit ; s'il est moins énergique, qu'il soit plus harmonieux; s'il est moins précis, qu'il soit plus riche. Prévoit-il qu'il doive affaiblir son auteur dans un endroit, qu'il le fortifie dans un autre; qu'il lui restitue plus bas ce qu'il lui a dérobé plus haut; en sorte qu'il établisse partout une juste compensation, mais toujours en s'éloignant le moins qu'il sera possible du caractère de l'ouvrage et de chaque morceau. C'est pour cela qu'il est injuste de comparer chaque vers du traducteur au vers du texte qui y répond: c'est sur l'ensemble et l'effet total de chaque morceau qu'il faut juger de son mérite.

Mais pour traduire ainsi il faut non-seulement se remplir, comme on l'a dit si souvent, de l'esprit de son poëte, oublier ses propres mœurs pour prendre les siennes, quitter son pays pour habiter le sien, mais aller chercher ses beautés dans leur source, je veux dire dans la nature : pour mieux imiter la manière dont il a peint les objets il faut voir les objets eux-mêmes; et à cet égard c'est composer jusqu'à un certain point, que de traduire.

C'est en voyant la campagne, les moissons, les vergers, les troupeaux, les abeilles, tous ces tableaux délicieux qui ont inspiré l'au

DELILLE.

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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

teur des Géorgiques, que j'ai cru sentir quelque étincelle du feu nécessaire pour le bien rendre. Jamais je n'ai trouvé la nature plus belle qu'en lisant Virgile; jamais je n'ai trouvé Virgile plus admirable qu'en observant la nature : la nature, en un mot, a été pour moi le seul commentaire de celui de tous les poëtes qui l'a le mieux imitée.

Voilà les idées que je me suis faites de la traduction; je sens combien je suis loin de les avoir remplies; mais j'ose dire que cet ouvrage serait parfait s'il n'avait fallu, pour le rendre tel, qu'un goût vif pour la poésie, la plus grande admiration pour Virgile, et le plus grand respect pour le public.

Il y a plusieurs traductions des Géorgiques en vers français. On ne connaît guère celle de l'abbé de Marolles, qui traduisait encore plus mal en vers qu'en prose. Il en existe une de Segrais, qui n'a été imprimée qu'après sa mort: on ne la lit pas plus que son Énéide. Quelque temps après celle-ci il en parut une de Martin, qu'on a faussement prétendu être le même que Pinchêne, neveu de Voiture, l'un de ces malheureux dont Boileau enchaînait les noms dans ses vers satiriques. Sa traduction, dont on ne peut soutenir la lecture, est cependant supérieure à celle de Segrais, dont Despréaux a vanté les églogues.

Dans les notes qui accompagnent cet ouvrage je ne me suis pas borné à rapporter quelques traits de la mythologie, qu'on peut trouver partout; je me suis attaché surtout à éclaircir les endroits obscurs, qui, malgré la foule des traducteurs et des commentateurs, sont encore en grand nombre. Tantôt j'explique Virgile par Virgile lui-même, en rapprochant les passages qui peuvent s'expliquer mutuellement ; tantôt je compare ses préceptes avec ceux des écrivains du même genre, qui l'ont précédé ou suivi. J'ai emprunté de nos auteurs tout ce qui pouvait offrir des objets de comparaison. La partie des plantes offre, je crois, des observations neuves. Enfin, je n'ai rien négligé pour rendre utile cette partie de mon ouvrage ; j'ai tâché de faire en sorte qu'elle obtînt grâce pour l'autre, et de réparer, en interprétant bien les vers de Virgile, le tort que je puis leur avoir fait en les traduisant mal.

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