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Souviens-toi de ton nom: Alexandre autrefois
Fit monter un vieillard sur le trône des rois.

Sur le front de Louis tu mettras la couronne :

Le sceptre le plus beau, c'est celui que l'on donne.

PAR M. L. AIMÉ MARTIN.

CHANT I.

Nous pleurons quand Danloux dans la fosse fatale

Plonge vivante encor sa charmante vestale.

Ce tableau, composé en Angleterre et chanté par Delille, représente le supplice d'une vestale; il fut exposé au salon de 1802, avec quelques autres compositions du même auteur. Mais il ne faut pas le dissimuler, c'est aux vers et à l'amitié de l'abbé Delille que Danloux, peintre médiomais homme doux et modeste, doit sa véritable illustration. Nos grands peintres ont trop souvent négligé ces associations honorables, qui, mieux qu'une grande page, leur assureraient la reconnaissance de la postérité.

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2 L'autel de la Pitié fut sacré dans Athènes.

L'auteur désigne sous ce titre le temple de la Miséricorde, élevé par Hyllus, fils d'Hercule, et où les Athéniens ouvrirent un asile aux malheureux et aux coupables. Il y avait en Grèce un assez grand nombre de ces temples-asiles, et c'était une opinion commune que leur profanation entraînait les plus grands malheurs. La fin tragique du censeur Fulvius Flaccus et la maladie effroyable qui termina la vie de l'heureux Sylla furent attribuées à de semblables sacriléges. Voyez, sur ces temples. Pausanias, in Attic.; Diod. Sic., lib. 41; - Thucyd., lib. 1; et spécialement sur le temple d'Athènes, Statius, lib. 2.

3 Dans les riches monceaux qu'entassa l'opulence
La pitié préleva la part de l'indigent.

L'auteur peint ici des plus vives couleurs la Pitié descendant du cœur du riche vers l'indigent; nous l'avons vue, nous, plus sainte et plus sublime, remonter du peuple vers les rois. C'était le 31 juillet 1830. Au moment où une multitude en délire se précipitait sur la route de Rambouillet, je traversais le pont des Arts; un homme sans bas, portant un bâton d'épine, des souliers ferrés, une blouse de toile usée, s'arrêta près de moi; tous deux nous contemplions tristement et en silence la foule, qui s'écoulait devant nous comme un torrent furieux; tout à coup, les yeux humides, les mains jointes et tendues vers ce fleuve de colère, l'homme à la blouse s'écria avec un accent profond de pitié : « Nous ne voulons ni 512

le sang du vieillard ni celui de l'enfant ! Qu'on les laisse aller, et que l'État leur fasse une pension. » Puis, me regardant avec une noble fierté : « Il faut, dit-il, que l'histoire l'inscrive dans ses pages: le populaire en fureur n'aime la liberté que parce qu'il est généreux! » L'éloquence brute de cet homine arrêtait les passants, et tous les siens, en guenilles, l'écoutaient et l'approuvaient. J'ai rapporté fidèlement ses paroles, où la pitié pour le vieillard et l'enfant fut exprimée d'une manière sublime. Cette sainte pitié, en remontant ainsi du peuple jusqu'au roi, avait ennobli la révolte et la victoire.

4 Je n'irai point, rival du vieillard de Samos.

Delille désigne ainsi Pythagore. On sait que les disciples de ce philosophe, dans leur régime diététique, n'admettaient rien de ce qui avait eu vie. Au reste, Pythagore n'a jamais rien écrit, et nous ne connaissons ses doctrines que par divers traités pseudonymes, et par quelques passages de Plutarque.

5 Cruels! que vous ont fait l'innocente brebis, ete.?

Ces vers sont imités du passage suivant des Métamorphoses :
Quid meruistis, oves, placidum pecus, inque tuendos

Natum homines, pleno quæ fertis ubere nectar,

Mollia quæ nobis vestras velamina lanas
Præbetis, etc.?

On rapprochera avec plaisir ce fragment d'Ovide du petit traité de Plutarque intitulé: S'il est loisible de manger de la chair. Nous devons à Rousseau ( Émile, livre 2) une traduction libre d'un passage de ce traité, et sa prose, fortement colorée quoiqu'un peu déclamatoire, l'emporte infiniment sur les vers d'Ovide, et peut soutenir la comparaison de ceux de Delille.

6 Le coursier est sensible à ses soins généreux.

Jamais les Arabes ne frappent leurs chevaux ; ils les dressent à force de caresses, et ils les rendent si dociles qu'il n'y en a point dans le monde qui leur soient comparables. Ces animaux viennent la nuit se coucher dans la tente commune, au milieu des enfants, sans jamais les blesser! et lorsqu'nn cavalier tombe dans une course, son cheval s'arrête, et attend qu'il se relève. On ne peut lire sans attendrissement ce que raconte à ce sujet le consul Darrieux, dans son Voyage au Liban : « Un pauvre Arabe du désert avait pour tout bien une magnifique jument. Le consul de France à Seyde << lui proposa de la lui vendre, dans l'intention de l'envoyer à Louis XIV. L'Arabe, pressé par le besoin, balança longtemps; enfin il y consentit, «et en demanda un prix considérable. Le consul n'osant, de son chef, donner une si grosse somme, écrivit à la cour, et Louis XIV donna ordre que la somme fût comptée. Sur-le-champ le consul mande l'Arabe, qui arrive monté sur sa belle coursière, et il lui compte l'or qu'il avait

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a demandé. L'Arabe, couvert d'une pauvre natte, met pied à terre, regarde l'or, jette ensuite les yeux sur sa jument, soupire, et dit: A qui vais-je te livrer? à des Européens, qui t'attacheront, qui te battront, qui ⚫te rendront malheureuse. Reviens avec moi, ma belle, ma mignonne, ma gazelle; sois la joie de mes enfants et le bonheur de ton maître! En disant ces mots il s'élance sur son cheval, et regagne le désert. »

Tu n'as donc jamais vu les peintures d'Hogarth?

Célèbre peintre et graveur anglais du dix-huitième siècle, et qui excellait dans les peintures du vice. Ses gravures étaient de véritables drames. Il se fit l'avocat des animaux dans une suite de planches intitulées : Scènes de cruauté. Cet ouvrage contribua beaucoup à adoucir les mœurs d'une classe du peuple. On en peut juger par le trait de ce passant qui, dans une rue de Londres, voyant un charretier frapper rudement un de ses chevaux, s'écria: Malheureux! tu n'as donc pas vu le tableau d'Hogarth?

7 O toi qui, consolant ta royale maîtresse,

Jusqu'au dernier soupir lui prouvas ta tendresse,
Qui charmais ses malheurs, égayais sa prison;
O des adieux d'un frère unique et triste don!

Il ne faut point croire les premiers détails de l'anecdote contée ici par le poëte ils feraient trop d'honneur à d'infâmes bourreaux. Aucune consolation ne fut laissée, dans la prison du Temple, à la fille infortunée de nos rois. Objet éternel d'amour et de douleur, Marie-Thérèse-Charlotte de France fut élevée au milieu des illusions de la grandeur jusqu'à l'époque où une populace furieuse apprit à son enfance que le sceptre, la couronne et la vie des rois ne sont que de vains jouets, et que, à quelque hauteur que le sort nous élève, la vertu est sur la terre la seule véritable supériorité. Cette supériorité n'a point manqué à la victime : c'est le seul trône qui lui reste aujourd'hui dans son exil; c'est la seule grandeur que l'on n'ait pu lui arracher.

Et moi, qui proscrivis leurs honneurs funéraires, etc.

Delille s'était élevé, dans son poëme des Jardins, contre les monuments élevés à des chiens :

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Dans tous ces monuments, point de recherches vaines.
Pouvez-vous allier, dans ces objets touchants,
L'art avec la douleur, le luxe avec les champs?

Surtout ne feignez rien loin ce cercueil factice,

Ces urnes sans douleur, que plaça le caprice;

Loin ces vains monuments d'un chien ou d'un oiseau !

C'est profaner le deuil, insulter au tombeau.

............ Et la fille des rois

Y reviendra pleurer, s'il lui reste des larmes.

Cette partie de l'anecdote est la seule véritable. Le prince Poniatowski

fit en effet élever dans ses jardins un monument au chien de la fille de Louis XVI; mais ce chien n'était point un don du frère de la princesse, et il ne l'avait pas consolé dans sa captivité.

10 O toi, l'inspiratrice et l'objet de mes chants

Pauvre, aveugle, infirme, exilé, le poëte qui chante ici la Pitié trouva dans mademoiselle de Vaudchamp une compagne dévouée et la plus tendre des amies. Admiratrice passionnée des beaux vers, elle écrivait sous la dictée de Delille, lisait pour lui, voyait pour lui, l'environnait d'amis attentifs, et charmait ses loisirs, et par les agréments de sa conversation, et par les sons harmonieux de la voix la plus touchante. Plus tard, dans son veuvage, nous l'avons vue toujours préoccupée d'un objet si cher, et ne vivant, pour ainsi dire, que de sa mémoire, parler de lui, le pleurer, publier ses ouvrages; lui élever un tombeau, visiter chaque jour ce monument, y porter des fleurs. Telles furent jusqu'à sa dernière heure les occupations de la veuve du poëte! L'hommage que lui rend ici Delille sera consacré par la postérité.

11 Des filles de Milton qui ne sait la tendresse ?

Malgré cette assertion du poëte, il faut l'avouer, Milton ne fut pas heureux avec ses filles. On sait que les deux aînées lui donnèrent quelques soucis, et qu'il fut obligé de les éloigner de sa maison. Toutefois, dans sa vieillesse, elles lui lisaient à haute voix des livres latins, grecs, hébreux, syriaques; tâche d'autant plus pénible qu'elles n'entendaient pas un seul mot de ces langues savantes. Ce trait de leur vie a sans doute effacé tous les autres, et les vers de Delille y font allusion.

12 Il outragea son maître, et j'ai chanté le mier.

Le crime de Milton est d'avoir cherché à justifier l'assassinat de Charles Ier. Dans le premier écrit qu'il publia sur ce malheureux sujet, en 1649, il soutient que les principes de l'Église protestante condamnent les tyrans et permettent de les traduire en jugement. Dans un autre ouvrage il trace l'apologie de Cromwell, et le compare à Atlas, capable de porter seul le poids du monde entier. Il ajoute que rien n'égale ses talents, si ce n'est ses vertus, et il termine en l'appelant le père de la patrie. Ce panégyrique lui valut mille livres sterling; mais cet argent fut le prix de son ouvrage, et non de sa conscience, car il écrivait de conviction. Il pouvait mal distribuer son encens, il était incapable de le vendre.

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Qui, les yeux égarés, comme au bord d'un abîme, etc.?

Ce trait, rapporté par M. de Salo, premier auteur du Journal des Savants, a été le sujet d'un drame joué sous le titre de la Famille indigente. Le peintre Danloux, entendant les vers de Delille, fut frappé du tableau qu'ils offraient à son imagination; et, s'étant aussitôt mis à y travailler, il l'exécuta avec le plus grand succès.

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