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Trop heureux les marchands! dit le vieux militaire,
Qui traîne à peine un corps épuisé de travaux.

A son tour le marchand, triste jouet des flots,
Voudrait être soldat : « On se bat, mais sur l'heure

Tout se décide; il faut qu'on triomphe ou qu'on meure. »
L'avocat porte envie au sort du laboureur,

Quand, dès l'aube, chez lui vient heurter le plaideur;

Mais qu'un procès l'arrache à son champêtre asile,

Le colon ne verra de bonheur qu'à la ville;
Et d'exemples pareils on en peut tant citer,

Que Fabius lui-même ait peine à les conter.

Mais, sans t'arrêter plus, poursuivons notre affaire.
Qu'un Dieu dise à ces gens: je suis prêt à tout faire;
Que voulez-vous? parlez. Toi, marchand, sois soldat;
Toi, qui fus laboureur, je te fais avocat :

Changez de rôle, allons. Eh quoi! point de réponse:
Nul ne bouge; au bonheur est-ce ainsi qu'on renonce?
Oh! vraiment qu'à bon droit Jupiter, entre nous,
Pourrait donner carrière à son juste courroux,
Et jurer, désormais pour nous moins débonnaire,
De ne plus écouter d'indiscrète prière.

Qu'il y a loin de cette manière gaie, amusante, presque bienveillante, à celle de nos poètes modernes! qu'il y a loin d'Horace à MM. Barthélemy et A. Barbier!

LITTÉRATURE MODERNE.

Lehrbuch einer Literargeschichte... Introduction à l'histoire littéraire des peuples les plus célèbres du moyen åge, par le docteur J. C. T. Graesse.-Dresde et Leipzig, Arnoldische Buchhandlung, 1842. In-8° de xvII-491 p.

Ce travail important fait suite à deux gros volumes du même auteur, déjà mis au jour en 1837-1841, et relatifs à l'histoire littéraire de l'antiquité et de cette époque funeste où le flambeau de l'instruction parut devoir s'éteindre à jamais. L'érudition bibliographique du savant saxon est des plus étendues; ses recherches témoignent d'un zèle infatigable, d'un

courage que rien ne rebute; il n'est point entré dans son plan de faire de la critique, il s'est interdit toute excursion sur le domaine de l'esthétique; il s'est borné à réunir, à classer tous les renseignemens que des lectures poussées fort loin lui ont fournis au sujet de l'histoire littéraire et bibliographique des auteurs et des écrits dont il voulait parler.

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Le volume commence par une introduction sur l'origine de la poésie romanesque au moyen âge; l'auteur en analyse la nature; il reprend à leur naissance les lais et chansons de gestes, et entre aussitôt en matière. Indiquons rapidement le contenu des cinq chapitres qui composent cette partie : — Légendes héroïques de l'Allemagne et du nord de l'Europe; les Nibelungen, Attila, le roi Horn, Guillaume Tell, Hamlet, légendes islandaises; le tout occupe 63 pages. Cycle du Saint-Graal et de la Table-Ronde; romans du Rou et du Brut; Merlin, Lancelot, Tristan, Meliadus, Perceval, Perceforest, Ysaïe le Triste, Gyron le Courtois, le Chevalier au Cygne, etc.; 159 pages. - Cycle de Charlemagne; Turpin, Berte au grand pié, Garin le Loherain, Girard de Roussillon, Beuves d'Hanthone, Ogier le Danois, Galien Rhétoré, Richard sans paour, Partenopex de Blois, etc., 133 pages.- Cycle des légendes espagnoles; Amadis et sa famille, Palmerin d'Olive et ses descendans, etc., 34 pages. - Légendes empruntées à l'antiquité classique; guerre de Troye, OEdipe, Thésée, Alexandre le Grand, etc., 68 pages. Ensuite vient un appendice consacré au roi Apollonius, à Barlaam et Josaphat, au roman du Renard, et à quelques autres écrits.

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On rencontre en divers endroits quelques excursus, quelques notices, où sont traités avec des détails tout spéciaux divers points intéressans pour l'histoire des idées au moyen âge; nous signalerons entre autres les dissertations sur Fortunatus et sur son chapeau merveilleux, p. 190; celle de Salomon et Marcolf, p. 466, sur l'élément historique et le développement des légendes du Saint-Graal et de la Table-Ronde, p. 132; ce que dit le savant allemand de ces questions compliquées, et sur lesquelles ont médité les Paris, les Fauriel, les Ampère,

et tant d'autres, mérite une attention toute particulière. Il serait à désirer que l'ouvrage de M. Graesse fût traduit en français; ce serait un bien grand service à rendre aux amis d'une littérature en possession de fixer depuis une quinzaine d'années les regards d'un public plus choisi que nombreux; malheureusement le peu d'accueil que trouvent auprès de notre époque frivole des travaux consciencieux et graves ne nous permet guère de nous flatter de la réalisation de ce vou. Les personnes auxquelles la langue allemande est familière, et qui auront pu prendre connaissance du volume dont nous venons d'indiquer le contenu, lui rendront pleine justice; elles en attendront la suite avec impatience.

Essais sur les Cours d'Amour, par F. Dietz, trad. de l'allemand et annoté par le baron Fd de Roisin. Paris et Lille, 1842. 129 p. in-8°.

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En traduisant cette œuvre déjà assez ancienne du professeur Dietz, et en publiant à part cet extrait des Mémoires de la Société royale de Lille, qui ne sont peut-être pas universellement connus, M. de Roisin a doublement bien mérité des amateurs du véritable moyen âge. Pour faire comprendre l'importance de cet opuscule, qui, à part l'avant-propos du traducteur, la préface de l'auteur et l'appendice, ne contient pas quatre vingt-dix pages, il ne suffit pas de l'analyser.

Depuis une soixantaine d'années, tout le monde parle des Cours d'amour comme d'une institution sociale, produit de la chevalerie, juridiquement organisée, ayant une compétence déterminée, un code pénal et une jurisprudence faisant loi. M. Dietz a entrepris de détruire ce préjugé que Crescentini et Ferrario, d'Arétin et Raynouard ont plus ou moins partagé ou contribué à établir.

L'amour jouait en effet un grand rôle dans les mœurs officielles de nos aïeux. Ainsi non-seulement on vit des sociétés poétiques s'occuper exclusivement de poésie galante, mais d'autres, comme celle de la Cour amoureuse et des Rois de

l'Epinette, donner en outre des fêtes chevaleresques, espèces de tournois où la noblesse et la bourgeoisie des villes de Flandre, de Bourgogne, d'Artois et de Picardie, luttaient ensemble de valeur et de magnificence (voyez la dissertation de Moreau de Mautour et de Lancelot, Ac. Inscr. t. VII, et les publications de M. L. de Rosuy: Des nobles rois de l'Epinette, 1836 et 1858). Tout cela n'était point ce qu'on entend par Cours d'amour. Celles-ci, suivant l'opinion générale, étaient une réunion ayant pour but l'accommodement des difficultés entre amans, qu'il s'y joignît ou non des intérêts poétiques. L'exploration de M. Dietz porte principalement sur celles qui, consacrées aux affaires amoureuses, ont pu être regardées comme de véritables tribunaux d'amour.

Dès 1779, dans ses notes sur les fabliaux, tome premier, le Grand d'Aussy, dont l'autorité n'est certes pas à mépriser et dont M. Dietz ne parle pas, avait fait sur la triple version de Huéline et Eglantine, Florence et Blanchefleur, ou le Jugement d'amour, tous ses efforts pour accréditer l'idée de l'institution régulière des Cours d'amour (loc. cit. note k, p. 24446 de la première édition).

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C'est sur ce système que le président Roland appuya sa compilation intitulée Recherches sur les prérogatives des dames, chez les Gaulois, sur les Cours d'amour, 1787. Cet ouvrage était loin d'être encore un traité ex professo sur la matière, et n'aboutissait qu'à des résultats vagues et indéterminés, lorsqu'en 1803, parut le traité historique dont le baron d'Arétin accompagna son édition des Arrêts d'amour. Cependant l'opinion n'était pas éclairée : d'Arétin, qui voulait trouver dans Papon, Fauchet et Sainte-Palaye, des preuves à l'appui du système préconisé par le Grand d'Aussy, avait été en quelque sorte obligé d'y renoncer. Fauchet n'avait parlé en effet que des Gieux sous l'ormel, sociétés poétiques qu'il ne faut pas confondre avec les Cours d'amour. Sainte-Palaye n'en disait rien dans ses Mémoires sur la chevalerie, et Millot dans son Histoire des troubadours, ou plutôt Sainte-Palaye lui-même, qui lui avait fourni tous ses matériaux, n'attachait point à cette

prétendue institution une si haute importance; il n'avait presque rien rencontré qui la concernât dans de si nombreux manuscrits. Aussi d'Arétin chercha-t-il des renseignemens plus précis dans le Tractatus amoris de M° André, chapelain de la cour de France vers 1170, et c'est principalement sur le même ouvrage qu'est fondée la dissertation de M. Raynouard (Choix des poésies des troubadours, t. II, 1817), qui tend à prouver que les cours d'amour ont exercé une grande puissance d'opinion, au midi et au nord de la France, depuis le milieu du xıra siècle jusqu'après le xiv. Peu après ce traité parut à Leipsick la brochure anonyme (de Spangenberg) intitulée : Les Cours d'amour du moyen âge, leurs décisions et leurs arrêts, opuscule qui n'est qu'une répétition et un remaniement des travaux de d'Arétin et de Raynouard. Enfin au moyen de distinctions plus ou moins ingénieuses ou subtiles, Ebert, dans la Revue périodique l'Hermès, ébranla quelque peu la croyance des partisans des Cours d'amour. Il admettait celles-ci d'abord jusqu'à la fin du xır° siècle comme cours primitives ou féminines, comme simples tribunaux de mœurs, puis ensuite comme passe-temps de société. Quant à celles qui furent postérieurement composées d'hommes, Ebert les déclarait une simple parodie.

M. Dietz est allé plus loin. Son Essai, publié en 1825, et dont nous nous occupons, a pour objet contrairement à l'opinion vulgaire, de prouver qu'il n'a jamais existé de Cours d'amour formellement constituées et permanentes, où les amans seraient venus livrer à la publicité et leurs différends et le secrets de leurs relations. Mais souvent, dit-il, en cas de mésintelligence ou de querelle, le couple amoureux s'en rapportait à l'arbitrage de quelques personnes. Il n'a pas existé davantage de code d'amour dont les cours où les juges auraient pu faire l'application. Mais dans les réunions fortuites ou dans les cercles d'invités, on aimait à s'exercer aux subtilités d'esprit, sur des questions de doctrine érotique; ce n'était là qu'un simple passe-temps de société ; voilà tout. Martial d'Auvergne a donné à ces badinages une forme authentique et judiciaire.

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