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BALLADE

DES

PAUVRES RIMEURS

Par M. Achille TAPHANEL

Membre titulaire

Ah! comme avant ces temps calamiteux
On rimait bien dans notre bonne France!
Sous des pourpoints délabrés et piteux
Qu'un vent cruel fouette jusqu'à l'outrance,
Ivres d'amour et narguant la souffrance,
Tous ces beaux fils, gais comme des pinsons,
Etourdissaient l'écho de leurs chansons!
Nul ne songeait à leur en faire un crime,
Et maint seigneur prenait d'eux des leçons
En ces beaux jours où florissait la Rime!

Insouciants, ils allaient devant eux

Le front levé, le cœur plein d'espérance;
Las de chercher un toit rare et douteux,
La Belle Étoile avait leur préférence.
Paris, alors, était une Florence!

On écoutait la lyre aux divins sons;

La Muse avait de charmantes façons

Pour ces Héros qu'un sort contraire opprime; Et les Rimeurs étaient ses nourrissons

En ces beaux jours où florissait la Rime!

Toujours errants, toujours nécessiteux,
Nous traversons un siècle d'ignorance;
Mais que nous fait, peuple vil et honteux,
Ta haine aveugle ou ton indifférence ?
Vois, nous rimons avec persévérance!

Les grands chemins où, joyeux, nous passons,
Pour y dormir ont encor des buissons :
Nous nous croirons, jusqu'à ce qu'on supprime
Le doux soleil, l'air libre et les moissons,
En ces beaux jours où florissait la Rime!

ENVOI

Pauvres Rimeurs, la fièvre aux longs frissons,
Le froid, la faim vous navrent, chers garçons,
Malgré vos vers qu'aucun Dentu n'imprime :
Vous auriez eu des rois pour échansons
En ces beaux jours où florissait la Rime!

SÉANCE EXTRAORDINAIRE

DU 9 JUIN 1876

SOUS LA PRÉSIDENCE DE M. DE CRISENOY,

Préfet de Seine-et-Oise, Président d'honneur.

ALLOCUTION DE M. ANICET DIGARD

Président titulaire.

De l'influence réciproque des Lettres et des Sciences morales.

MONSIEUR LE PRÉFET, MESDAMES ET MESSIEURS,

Pour définir le sujet que je voudrais esquisser, pour caractériser les réunions littéraires, ces fêtes de l'esprit. et du cœur, et pour faire comprendre l'influence qu'elles peuvent exercer de notre temps parmi nous, il est une vive image qui vaut mieux que mes paroles, je n'ai qu'à regarder autour de moi et à montrer cette assemblée. Qui sommes-nous pour mériter tant de bienveillance et d'honneur et pour obtenir un si gracieux concours?

La Société des Sciences morales de Versailles se recrute elle-même, et ses membres appelés par l'estime

sont retenus par l'affection. Ils pratiquent le culte désintéressé des lettres et étudient les sciences morales dans la région sereine de la théorie. Voilà ce que nous sommes; oserais-je, dans cette occasion solennelle, parlant au nom de mes collègues, vous dire ce que nous rêvons? Aujourd'hui, quel bon citoyen pourrait se résigner au rôle passif de spectateur et s'oublier dans de poétiques loisirs ? Il faut s'unir et faire la chaîne, les uns pour éclairer, les autres pour résoudre des questions redoutables, tenir la truelle et l'épée.

Nous voudrions dans cette chère cité, où plus qu'ailleurs le siècle de Louis XIV a laissé son empreinte, entretenir la lumière et la flamme d'un foyer illustre qui, pour nous comme pour vous, est en quelque sorte un foyer domestique, et, continuant la tradition littéraire, cette gloire impérissable, incontestée de notre France, rapprocher les travaux, les inspirations du passé, des nécessités, des ardeurs du présent pour en démontrer la succession naturelle, la conciliation possible, l'enseignement nécessaire : voilà notre lot dans la tâche commune.

La moisson est abondante et les ouvriers rares. Cette année, notre Société a décidé qu'elle aurait deux séances publiques par an au lieu d'une. Nous sentions le besoin de retremper notre courage dans le précieux encouragement que nous apporte, Mesdames, le témoignage de votre fidèle sympathie, et de vous provoquer, Messieurs, vous déjà nos associés par le cœur, à un concours plus direct. Puissions-nous recruter parmi vous un nombre croissant de collègues !

Aujourd'hui je choisis mon sujet comme on lève un drapeau. L'influence salutaire et réciproque des études littéraires et des études sociales est évidente, mais pour tirer de cette vérité toutes les conséquences, pour préci

ser les conseils qu'elle doit suggérer, il faudrait une voix plus autorisée que la mienne. Heureusement on peut toujours, à l'appui d'une thèse opportune, citer quelques exemples éclatants. Feuilletons ensemble, s'il vous plaît, Mesdames et Messieurs, le livre de l'histoire qui sincèrement interrogé, quelle que soit la main qui le tienne ouvert, peut et doit être pour des yeux clairvoyants le miroir de la vérité.

ORIGINE DES ACADÉMIES.

Il est un mot, désignation générique, que les fondateurs n'ont point appliqué à notre Société, que nous ne revendiquons point et que cependant il faut placer ici, parce qu'il rappelle l'origine antique et glorieuse des sociétés littéraires et savantes, le mot Académie.

Platon, quittant le promontoire de Sunium où son génie s'inspirait et prenait son essor, mais où le spectacle de la mer et les feux du soleil pouvaient distraire et fatiguer son auditoire, vint méditer et répandre ses enseignements sur la route d'Athènes à Eleusis, dans le jardin d'Académus, mythique compagnon de Castor et Pollux. Là, sur les bords du Céphise, semés de lauriersroses, à l'ombre d'arbres toujours verts, parmi les myrtes en fleurs, il appliquait la méthode de son maître, Socrate, l'art d'accoucher les esprits, en improvisant avec ses disciples ces dialogues qui, fixés ensuite par sa plume, sont peut-être de tous les monuments de l'antiquité celui où la pensée humaine s'est élevée le plus haut en-deçà de la sphère lumineuse que lui ouvrit le christianisme.

Mais il n'échappa point au péril de l'illusion et du vertige; on peut dire qu'il s'est rendu à lui-même

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