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Aussitôt après le conseil, vers une heure de l'aprèsmidi, deux officiers de service apportaient dans la chambre du Roi une table toute dressée. Le Roi mangeait seul, et pendant le repas qui ne durait jamais plus de trois quarts d'heure, une personne désignée pour cela lui faisait une lecture. Racine, historiographe de France, eut souvent cet honneur. Après le dîner, le Roi se promenait dans ses jardins, se faisait conduire à Trianon ou à Marly, ou plus souvent encore allait à la chasse. Il ne se passe presque point de jours, c'est Dangeau qui l'atteste, sans que le Roi coure, tire ou vole. Le samedi, il n'y avait ni chasse ni promenade; c'était le jour réservé à l'examen des placets. Louis XIV s'imposait à lui seul cette ingrate besogne et y apportait un grand soin. Nous en avons la preuve dans une curieuse anecdote racontée par le baron de Beusval :

« Un jour, dit-il, qu'un officier présentait au Roi un placet pour avoir la croix de Saint-Louis, le roi lui répondit qu'il lui donnait une pension. L'officier répliqua qu'il aimait mieux la croix. « Vraiment, je le crois bien, » dit le Roi en passant son chemin. Le duc d'Orléans, depuis régent, entendant le mot du Roi, se mit à rire. Louis XIV, rentré dans son cabinet, l'appela et lui dit : « Mon neveu, quand je dis de ces choses-là, je vous prie de ne pas rire. » Un trait de ce genre perdrait à être commenté.

Chaque jour, vers trois heures, Louis XIV avait une nouvelle conférence, plus ou moins longue, avec ses ministres. Dès les premiers temps de son règne, il s'était imposé comme une règle invariable de travailler ainsi matin et soir à l'expédition des affaires. Il a écrit à ce propos, dans ses mémoires pour l'éducation du Dauphin, de belles paroles qu'on ne saurait trop citer:

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« C'est par le travail, dit-il, que l'on règne; c'est pour cela que l'on règne; et il y a de l'ingratitude à l'égard de Dieu, de l'injustice et de la tyrannie à l'égard des hommes, de vouloir l'un sans l'autre... Je ne puis vous dire quel fruit je recueillis du jour où je pris sérieusement la résolution de travailler par moi-même. — Je me sentis comme élever l'esprit et le courage, je me trouvai tout autre, je découvris en moi ce que je n'y connaissais pas, et je me reprochai avec joie de l'avoir si longtemps ignoré. Il me sembla alors que j'étais Roi et né pour l'être. »

Tout en se reconnaissant, avec cette naïve grandeur de langage, le mérite du devoir accompli, Louis XIV, d'autre part, ne se dissimulait pas ses faiblesses. « Je vous avouerai bien franchement, disait-il à Colbert, que j'ai un fort grand penchant pour les plaisirs; mais si vous vous apercevez qu'ils me fassent négliger mes affaires, je vous ordonne de m'en avertir. » On peut regretter que Colbert n'ait pas usé plus souvent de cette permission du Roi; mais c'est déjà beaucoup qu'elle ait été donnée, et il ne manque pas de souverains, moins fiers que Louis XIV, de qui on ne pourra jamais citer un aussi beau trait de modestie.

Lorsque la seconde séance du conseil était terminée, le roi changeait de toilette, avec un cérémonial moins. compliqué que celui du matin, et la réception du soir commençait. Dangeau mentionne les grandes réceptions par cette phrase qui revient souvent dans son journal: « Il y eut ce soir appartement chez le Roi, » Mme de Sévigné nous a laissé une piquante et vivante description de ces fêtes. « Le Roi, dit-elle, la Reine, Monsieur, Madame, Mademoiselle, tout ce qu'il y a de princes et de princesses, Mme de Montespan, toute sa suite, tous les cour

tisans, toutes les dames, enfin ce qui s'appelle la cour de France, se trouve dans ce bel appartement du Roi que Vous connaissez. Tout est meublé divinement, tout est magnifique. On ne sait ce que c'est que d'y avoir chaud; on passe d'un lieu à l'autre sans faire presse nulle part. Un jeu de reversi donne la forme et fixe tout... Je saluai le Roi ainsi que vous me l'avez appris; il me rendit mon salut, comme si j'avais été jeune et belle. La Reine me parla aussi longtemps de ma maladie que si c'eût été une couche... M. le duc me fit mille de ces caresses à quoi il ne pense pas; le maréchal de Lorges m'attaqua sous le nom du chevalier de Grignan, enfin tutti quanti, Vous savez ce que c'est que de recevoir un mot de tout ce que l'on trouve sur son chemin... >>

J'abrége, Messieurs, ce récit qui nous mènerait trop loin. Vers dix heures le Roi soupait, à son grand couvert les jours d'appartement, à son petit couvert les jours ordinaires; puis il parcourait de nouveau la galerie et les salons, jouait quelquefois au portique ou au reverși, et rentrait chez lui vers minuit pour se mettre au lit devant un public privilégié. On avait apporté dans sa chambre une collation qu'il appelait son en-cas de nuit; le barbier avait préparé la toilette et les peignes; deux carreaux étaient placés dans la ruelle, et le bougeoir de vermeil à deux bougies brûlait sur une table près d'un fauteuil. Le Roi étant déshabillé, ayant fait sa prière, ayant dit à chacun ce qu'il pouvait avoir à dire, la cour se retirait et le laissait enfin seul jusqu'au lendemain.

Je viens de vous montrer, Messieurs, ce qu'était en temps de paix et à Versailles l'existence ordinaire de Louis XIV. Ce n'est qu'un côté très-incomplet de sa biographie; mais même dans le peu que j'en ai dit nous le retrouvons tel qu'il a été en toute circonstance: hon

nête, laborieux, pénétré de ses devoirs de Roi; ayant de grands défauts, parce qu'après tout il n'était qu'un homme, mais les rachetant par les plus éminentes qualités; souverain beaucoup trop absolu au gré de l'esprit moderne, mais nullement en retard sur la civilisation du siècle où il a vécu; incapable de ces vues profondes et philosophiques sur la destinée des Etats qui ont fait de son aïeul Henri IV une sorte de précurseur; mais ayant su tout au moins être de son temps, et l'un des premiers de son temps.

Si un tel homme, au lieu de vivre au XVIIe siècle et d'être roi de France, eût été citoyen d'Athènes, même après Périclès, nul doute que la Grèce ne lui eût élevé des statues, peut-être même des autels. Les statues, à vrai dire, ne lui manquent pas (c'est généralement ce qui manque le moins en France), mais je voudrais pour sa mémoire un culte pieux et fidèle; et ce culte, Versailles, mieux qu'aucune autre ville, peut et doit le lui rendre.

Imitons, puisqu'on le veut, la république athénienne; honorons nos grands hommes comme elle honorait les siens; protégeons leur gloire qui est la nôtre, faisons-les connaître et aimer; ne permettons pas qu'on les insulte. Dans les jours de révolution, lorsqu'on veut empêcher le peuple de piller ou d'incendier les édifices publics, on a soin de l'avertir que ces édifices sont à lui faisons de même pour les grands noms de notre histoire; ils appartiennent au peuple tout aussi réellement que les châteaux et les palais, et ils constituent une part mille fois plus précieuse encore de la propriété nationale.

UNE VISITE AU COUVENT

PAR M. Ernest CHATONET, MEMBRE TITULAIRE

A demi caché par les branches
Des grands arbres de l'arsenal,
Près d'une église et d'un canal
Est le couvent des Dames-Blanches.

Au fond de mon cœur assombri
Souvent s'en reflète l'image,
Et ma pensée, aux jours d'orage,
Y vient demander un abri.

Je me livre alors sans défense
A des souvenirs déjà vieux,
Et vois accourir radieux
Le fantôme de mon enfance.

Il me semble encor me revoir

A la porte, chaque dimanche,
Tenant ma mère par la manche,
Demander la clef du parloir.

Comme on commence une prière.
Et les yeux fixés sur le sol :

«Je voudrais voir tante Saint-Paul, »>

Dis-je en tremblant à la tourière.

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