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est permis d'opposer aux systèmes trop exclusifs et tout d'une pièce auxquels donnent si aisément lieu les études ethnographiques ou religieuses. Et ici, par exemple, que de violences faites souvent au texte par les interprètes pour ramener toutes les invocations des Aryas soit aux phénomènes journaliers de la marche du soleil et des bienfaits de la pluie si ardemment désirée, soit aux particularités du sacrifice? La personnification des phénomènes naturels, vous a-t-il dit, est sans doute au fond de toutes les mythologies; mais dans toutes aussi l'on distingue la personnification des phénomènes moraux qui sont encore plus voisins de l'homme que les premiers; partout on retrouve la personnification et la déification des hommes qui se sont élevés au-dessus du niveau commun de leur simples et grossiers contemporains. L'évhémérisme après tout est aussi légitime que toutes les sortes de panthéisme pour interpréter toutes les mythologies, et le Rig-Véda, comme les Eddas, comme les poèmes d'Homère, en offre de nombreux et d'incontestables exemples. Le culte des Mânes est également partout un des premiers éléments de toutes les religions, non moins que le culte des puissances et des vertus de la nature physique.

M. Antoine vous a montré quel abus on fait de la méthode qui ramène tout à des idées générales quand on dit, par exemple, que tels et tels dieux ne sont que des formes, des aspects divers d'un phénomène, du jour, du soleil ou de Dieu même adoré sous des apparences multiples. Attribuer un travail philosophique de cabinet à des peuples qui n'ont eu et qui n'ont pu avoir d'autres guides que des impressions successives et non réfléchies, c'est méconnaître le caractère de l'esprit humain et dénaturer l'histoire.

Ni l'authenticité générale ni la haute antiquité des hymnes du Rig-Véda ne semble contestable, mais il est incontestable qu'ils ont subi des altérations à diverses époques, et la chronologie de ces modifications est malaisée, impossible peut-être à rétablir sûrement. Les dieux qu'ils chantent sont ces dieux primitifs et grossiers, sans histoire et sans émotion que les hommes semblent avoir partout révérés les premiers: le Ciel, la Terre, les Eaux, etc.; mais ce sont plutôt des êtres qualifiés divins pour ce qu'ils ont d'imposant et de mystérieux que des divinités réelles, libres, actives, ayant conscience d'elles-mêmes. Ce ne sont pas de vrais dieux; on les prend à témoin, on ne les appelle pas à son secours : distinction fondamentale qui se rencontre ailleurs, et dont la trace est visible dans Homère même et ailleurs.

Mais le temps me presse et me défend même de rappeler plusieurs des graves matières que M. Antoine a traitées, telles que le monothéisme chez les différentes races de l'antiquité. Les dieux des Aryas forment un peuple analogue à celui des puissants et des heureux de la terre, mais à un plus haut degré et donnant ainsi un plus libre essor à toutes leurs passions, ce qui est le privilége de la puissance. Aussi n'est-il pas surprenant qu'une insensible gradation s'élève des âmes des morts aux dieux d'origine sans que la démarcation soit facile à trouver. Toutefois M. Antoine vous a fait remarquer combien la mythologie hindque est encore inférieure à celle d'Homère, combien plus simple et plus grossièrement naïve, et il vous en a fourni de nombreuses preuves.

Je passe sur le nombre des dieux, sur les attributs qui les distinguent et qui souvent les confondent, je passe sur les rapports nombreux et intéressants que la mytho

logie aryenne offre avec celle de la Grèce et qui montrent une communauté primitive d'origine, et je me borne à vous rappeler qu'il y a dans quelques-uns de ces hymnes, une richesse d'images, une fraîcheur de coloris, une élégance et une grâce dans certaines allégories et dans certaines personnifications, qui dédommagent souvent le lecteur de ce que peut avoir de rebutant une longue et monotone uniformité. Mais si la poésie abonde, l'art fait défaut, car le gigantesque domine, et cette domination est la négation de l'art qui n'existe que par le goût qui choisit et la proportion qui coordonne. Je ne puis suivre M. Antoine dans le parallèle qu'il vous a tracé des dogmes plus ou moins arrêtés, des emblèmes plus ou moins clairs ou plus ou moins énigmatiques qu'on retrouve dans la mythologie des bords de l'Indus ou de la Méditerranée, et je termine ce rapide exposé par ces mots empruntés à son travail : « On trouve dans le Rig-Véda de nombreux passages où le caractère, les passions, les voluptés et les brutales satisfactions des dieux sont exprimés avec une crudité inexprimable et qui fait plutôt penser à l'antre du Cyclope et à la voracité de Polyphème qu'aux hauteurs héroïques de l'Olympe où les dieux ne boivent que le nectar, ne se nourrissent que de l'ambroisie. Les dieux ne sont plus que des êtres monstrueux, esclaves de l'attrait d'un copieux sacrifice ou de la puissance irrésistible d'une formule de prière. Et pourtant au milieu des idées les moins nobles énoncées au sujet de la prière même et du sacrifice, le lecteur se sent transporté tout à coup à d'incroyables hauteurs, et jusque dans le plus pur domaine de la morale et de la métaphysique; et d'un amas incohérent de formes confuses et d'idées grossières jaillissent à l'improviste les hautes questions de la création, d'un média

teur divin entre le ciel et l'humanité, Dieu d'amour et de pureté, dieu Sauveur et victime volontaire s'offrant au sacrifice. >> Sont-ce là des interpolations introduites par les âges dans le texte primitif? Le supposer est permis, mais l'affirmer, dans l'état actuel de la science, serait peut-être quelque peu téméraire.

M. de Barghon Fort-Rion vous a lu dans plusieurs séances une étude historique sur le druidisme au moyen âge. Cette étude sur ce qu'on pourrait appeler l'époque tertiaire du druidisme n'est qu'une partie d'un ouvrage plus étendu où il a décrit les dernières transformations de cette antique institution sacerdotale, et les derniers vestiges de la religion celtique dans sa décadence, pendant et après la domination romaine. Permettez-moi de vous rappeler spécialement une intéressante notice sur les Pierres branlantes, et un passage relatif aux fades ou fées et à leur rôle durant toute la période du moyen âge. L'étude de M. de Barghon se termine par une courte digression sur le bardisme en Angleterre, complément indispensable de l'histoire du druidisme au moyen âge.

M. Henri Cordier, que ses préférences marquées de bonne heure ont entraîné vers les spéculations de la philosophie la plus élevée, a débuté par vous exposer dans plusieurs séances la théorie de Kant sur le fondement de la loi morale. Il a fait voir comment le philosophe allemand déduit le concept moral que l'on appelle d'ordinaire l'idée du bien, et comment il démontre sa réalité en prouvant qu'il a une application directe dans le domaine de l'expérience, contrairement à ce qui arrive pour tous les autres concepts transcendantaux de l'esprit humain. Il vous a montré ensuite comment Kant part de là d'abord pour élever tout l'édifice de sa mo

rale, puis pour modifier tout l'édifice de sa métaphysique qu'il s'était refusé dans sa Critique de la raison pure à appuyer sur toute autre preuve.

Dans quelques autres séances, M. Cordier s'est attaché à vous donner une idée générale de l'évolution, autrement pour le français du Darwynisme. Il vous a montré que cette théorie consiste à prétendre que rien n'est stable dans le monde, que tout, genres, espèces, individus, est livré à une perpétuelle fluctuation, et que tout état physique, psychologique ou moral dérive fatalement des états qui l'ont précédé dans la série éternelle des siècles. Notre confrère nous a fait voir ensuite comment cette idée, limitée d'abord au domaine géologique, s'est peu à peu étendue à toutes les branches des connaissances humaines qu'elle sape ainsi par la base, puisqu'il en résulte que l'homme d'aujourd'hui a dû passer déjà et devra passer encore par un nombre illimité d'autres états; véritable métempsychose avec cette différence profonde toutefois, c'est que la métempsychose antique était une affirmation de l'âme humaine, au lieu que la métempsychose moderne en est l'absolue négation.

Enfin M. Cordier vous a entretenus du rapport de M. Ravaisson sur l'état des doctrines et des opinions philosophiques au XIXe siècle; et tout en faisant ressortir le grand talent d'exposition dont l'auteur a fait preuve, et la profondeur de ses vues, il a dû vous faire remarquer que dans certains endroits on pourrait désirer une plus grande clarté, et que, dans ses tendances très-manifestes et très-multiples vers le spiritualisme le plus élevé et le plus généreux, il reste un peu de confusion, un peu de vague, difficile a éviter du reste aussitôt que la pensée s'élève dans ces hautes régions.

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