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Pendant la neuvaine de la princeffe, on fit défenfes à toutes perfonnes d'approcher de la fontaine, afin d'éviter qu'elle ne fût confondue avec le vulgaire. Ce fut auffi dans la vue de conftater les faveurs que la déeffe répandroit fur elle; ce qui fait que toutes les Amazones qui vinrent fe présenter, dans l'espérance de participer aux bienfaits de la déeffe, furent obligées d'attendre le départ de Tramarine, & même aucune de fes femmes ne put profiter de l'avantage du voyage.

La neuvaine finie, la grande-prêtreffe remit la princeffe entre les mains de Céliane, qui fut la première à lui marquer le plaifir qu'elle reffentoit d'avance fur fon avénement au trône. Ses autres femmes l'entourèrent, & fe placèrent dans fon char pour retourner à la cour, où elles arrivèrent à l'entrée de la nuit. La princeffe fut reçue dans la ville aux acclamations de tout ce peuple d'Amazones; les gardes de la reine étoient fous les armes, & le palais fi bien illuminé qu'on l'auroit pris pour un globe de feu. La reine reçut Tramarine avec une joie & une magnificence qui ne se peut décrire; des fêtes de toute espèce furent inventées pour amufer la princeffe; mais lorsqu'on ne put plus douter des faveurs qu'elle avoit reçues de la déeffe, la joie redoubla; on fit des

odes,

odes, des épîtres, des élégies & des chanfons qui toutes étoient adreffées à la princeffe, afin de lui prédire les dons dont les dieux devoient combler celle qui naîtroit des faveurs de Pallas.

Cependant on remarquoit, dans toutes les actions de Tramarine, une langueur & un fonds de trifteffe qu'elle ne pouvoit vaincre, malgré les fêtes toujours variées qu'on ne ceffoit de lui donner; mais on attribua cette mélancolie à fon état. Lorfqu'elle fut entrée dans le neuvième mois, la reine envoya inviter plufieurs magiciennes, qui étoient fes amies particulières, pour être préfentes à la délivrance de la princeffe.

Le royaume de Castora eft rempli de fées & de magiciennes, à caufe des antres & des montagnes qui l'environment; d'ailleurs, le terrein y produit en abondance toutes les plantes qui leur font néceffaires pour la compofition de leurs maléfices: on prétend même que c'eft de ces climats que Médée retiroit celles qui lui étoient les plus propres pour les enchante

mens.

Bagatelle, Pétulante, Minutie & Légère, que la reine n'avoit point invitées, redoutant leurs fciences & plus encore leurs méchance tés, arrivèrent néanmoins des premières. Elles Tome XXXIV.

M

étoient chacune dans un cabriolet des plus bril lans, traîné par des hirondelles; la Folie, habillée en coureur, les devançoit. La reine qui craignoit quelque maléfice de leur part, s'avança au-devant d'elles, pour leur faire des excuses de ce qu'on ne les avoit point invitées des premières. Sa majesté en rejetta la faute fur la chancelière. Les autres étant arrivées, on les fit entrer dans l'appartement de la princesse : Légère, Pétulante, Minutie & Bagatelle, commencèrent par s'emparer des quatre colonnes du lit, quoique cet honneur ne fût dû qu'à la fée Bonine & aux premières dames de la cour. Mais ce n'étoit pas le moment de difcuter leurs droits Lucine s'étant approchée de la jeune princeffe, n'eut pas plutôt reçu l'enfant, que Pétulante & Légère s'écrièrent toutes deux à la fois, que Tramarine avoit enfreint les loix de l'état. Camagnole & Bonine, qui ne pouvoient le croire, prirent chacune leurs grandes lunettes pour le vifiter; mais ne pouvant diffimuler le fexe de l'enfant, la fée Camagnole affura la reine qu'elle fe chargeroit de l'éducation de ce prince, & qu'elle n'en fût point inquiéte. Heureusement que Bonine, quoique fâchée d'avoir été prévenue par Camagnole, commença par douer ce prince de fageffe, de science, de valeur & de prudence: les autres magiciennes

le douèrent, à leur tour, fuivant leur génie; mais elles ne purent détruire les bonnes qualités dont Bonine l'avoit doué. Cette fée étoit la meilleure & la plus prudente de toutes les magiciennes, jamais elle n'employoit fon art que pour faire des heureux.

pu

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Bonine remarqua la douleur de la reine, qui paroiffoit désespérée qu'un pareil accident fut arrivé à Tramarine, le regardant comme le plus fanglant affront qu'on pût faire contre fon autorité. S. M. ne pouvant imaginer que la jeune princeffe eût feule former un tel attentat, elle fit paffer Bonine dans fon cabinet pour tâcher d'en découvrir les auteurs. La fée fut d'avis qu'on prévînt d'abord les magiciennes, feules témoins de ce malheur, afin de les engager à garder un fecret qu'il feroit ensuite trèsfacile de cacher à toute la cour, en déclarant fimplement que la princeffe n'étoit délivrée que d'une môle; mais Pétulante, ennemie de Bonine, n'avoit averti Bagatelle, Minutie & Légère, qui lui étoient dévouées en tout, que. dans le deffein de la barrer dans toutes fes décifions. Elles déclarèrent donc qu'elles s'oppofoient formellement à toutes les idées de Bonine; que Pentaphile ayant elle-même établi de nouvelles loix, c'étoit attaquer les fondemens de l'état en tolérant de pareils abus, qu'il

falloit un exemple frappant, & qu'il étoit fâcheux qu'il tombât fur la princeffe, qui, quoique mieux inftruite que les autres, avoit peutêtre un peu trop compté fur l'impunité de fon crime, par la grandeur de sa naiffance, ce qui la rendoit encore plus coupable. Les fentimens des autres furent partagés; mais la pluralité opina pour l'exil.

Cependant Bonine, qui étoit une des plus favantes & celle en qui la reine avoit le plus de confiance, employa fon éloquence pour combattre les raifons des magiciennes, & conclut enfin à remettre le jugement de Tramarine jufqu'à fon parfait rétablissement, puisque l'on ne pouvoit, fans une injuftice criante, la condamner fans l'entendre. La reine goûta ses raifons, & accorda deux mois de délai.

Bonine paffa enfuite dans l'appartement de Tramarine, qu'elle trouva dans un afsoupiffement léthargique, & Lucine occupée à préparer des remèdes pour le foulagement de la princeffe. La fée entretint Céliane, & l'inftruifit du malheur qui venoit d'arriver à Tramarine, la nouvelle ne s'en étoit point encore répandue à la cour. Céliane, furprise & défespérée, ne pouvoit comprendre par quelle fatalité les bains avoient produit fur elle un effet fi contraire aux vœux de toute la nation. Son premier

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