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il est encore vrai que la figure dont je me fuis formé l'image, a toujours été depuis préfente à mon efprit. En vérité ma chère Tramarine, reprit la fée, vous me furprenez infiniment. Il faut affurément que vous ayez l'imagination bien vive: n'aurez-vous point d'autres raisons à alléguer pour votre défense? Non, dit Tramarine fuffoquée par fa douleur, je n'ai rien autre chose à y ajouter : ce n'eft point l'exil qui me fait de la peine, puifqu'il me délivre d'une cour injufte, mais la honte des indignes foupçons qu'on a répandus dans tous les efprits. Je ne compte plus que fur vous, ma chère Bonine, & fur l'attachement de Céliane; votre amitié me tiendra lieu de toutes les grandeurs que je perds. Céliane ne put répondre que par des larmes. Qu'eut-elle dit qui pût adoucir les peines de Tramarine ? Il n'y a que le tems qui puiffe effacer le fouvenir des grandes douleurs; les confeils & toutes les confolations s'affoibliffent contre les coups du fort, lorsqu'ils viennent d'être portés. La Nature a fes droits qu'elle ne veut pas perdre, jufqu'à ce que le chagrin en ait épuifé les forces : alors, par une fage dispensation, la raison reprend le deffus pour ranimer en nous les facultés de

notre ame.

LE

CHAPITRE II I.

Jugement de Tramarine.

Le lendemain Tramarine fut conduite dans

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la falle du confeil, pour y être interrogée. La fée Bonine, qui ne la quitta plus, parla d'abord en fon nom, & dit à l'affemblée des magiciennes, que la princeffe n'avoit point d'autre défense à alléguer, pour fa juftification, que la force de l'imagination; qu'elle proteste n'avoir jamais vu aucun des mortels profcrits par la fi ce loi depuis fon entrée dans le royaume, n'eft en fonge pendant fa neuvaine à la fontaine de la déeffe Pallas. Une pareille déclaration furprit infiniment la reine & fon confeil; ce qui fit qu'on remit la décision de l'affaire jufqu'au retour des confeillères- chargées de la vifite du temple.

Cependant Tramarine étoit dans une perplexité infupportable, la mort lui paroiffoit mille fois plus douce que de vivre accufée d'un crime dont elle ne pouvoit prouver fon innocence. Pour remédier en quelque forte à des maux fi cruels, Céliane lui confeilla d'écrire au roi son père, pour l'instruire de l'af

front qu'elle étoit fur le point d'effuyer, par un exil qui ne pouvoit être qu'injurieux pour fa gloire. Tramarine, en fuivant le confeil de Céliane, écrivit au roi de Lydie; mais comme toutes fes femmes étoient entièrement dévouéss à la chancelière, fes lettres furent interceptées, & cette ennemie de la princeffe eut encore l'adreffe d'y répandre un venin dont elle feule étoit capable.

Lorfque les confeillères furent de retour du temple, la reine affembla un grand confeil, afin de pouvoir y examiner l'affaire de la princeffe. Toutes les grandes de l'état qui avoient été députées pour faire l'examen des prêtreffes, après avoir fait leur rapport en faveur de Tramarine, déclarèrent qu'elles n'avoient rien trouvé qui ne fût exactement conforme aux loix on expofa enfuite les défenfes de la princeffe.

Il s'étoit formé des brigues dans le confeil, Tramarine y avoit peu d'amis, la vivacité de fon efprit la faifoit redouter. La reine affoiblie par l'âge, fe mêloit peu du gouvernement; & celles qui tenoient les premiers emplois de l'état, craignoient avec raifon le génie folide & pénétrant de la princeffe. Enfin, l'envie la plus cruelle des Euménides s'empara de tous les cœurs, pour pourfuivre Tramarine jufques dans fon exil.

Cependant plufieurs amazones ofèrent encore opiner en fa faveur; elles infiftèrent même beaucoup pour qu'on fît une nouvelle loi qui admît la force de l'imagination. Il est aifé de penfer que ce furent les jeunes qui ouvrirent cet avis que la reine goûta, penchant naturellement pour la clémence. Cette princeffe eût été charmée qu'on lui eût fourni les moyens de fauver Tramarine: mais la vieille chancelière & toutes les vieilles doyennes de la cour qui avoient le plus de part au gouvernement, s'élevèrent toutes d'une commune voix contre une pareille loi, qui étoit, à ce qu'elles prétendoient, capable de renverfer l'ordre de l'état. D'ailleurs c'étoit vouloir anéantir abfolument les vertus de la fontaine de la déeffe' de Pallas, & mettre la jeuneffe dans le cas de négliger le culte que l'on devoit à cette déeffe, dont on recevoit chaque jour de nouvelles faveurs; qu'on devoit éviter avec foin tout ce qui pouvoit irriter la déeffe contre ce royaume, dont elle s'étoit déclarée fi ouvertement la protectrice, dans la crainte qu'elle ne s'en vengeât par des calamités qui ruineroient entièrement l'état, en ôtant aux Amazones la force de le défendre contre fes ennemis.

Je ne rapporte qu'un abrégé du difcours de la chancelière, qui fut trouvé digne de l'élo

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quence de Démosthène ou de Cicéron : elle ramena enfin toutes les voix à fon fentiment. Comme les moyens que la princeffe avoit employés pour fa défense avoient tranfpiré, les Amazones qui aimoient beaucoup Tramarine, étoient prêtes à fe foulever. Déjà elles s'affembloient dans les places; elles vinrent même en tumulte jusqu'au palais pour demander la princeffe, & en même tems qu'on établit la force de l'imagination. Mais la chancelière, toujours plus ferme dans fes réfolutions, fut d'avis de ne point céder à des peuples mutinés; elle confeilla à la reine de leur faire fentir tout le poids de fon indignation, en puniffant févèrement celles qui avoient contribué, par leurs difcours féditieux, à répandre le trouble dans la ville. Les magiciennes, dévouées à la chancelière, furent de fon avis ; & la reine entraînée, pour ainfi dire, par le torrent, fe crut obligée de donner un arrêt, par lequel eile déclaroit que fa volonté fuprême étoit que les loix euffent leur entier accompliffement, & que toutes fes fujettes feroient tenues, fous les peines ci-devant énoncées, de vifiter du moins une fois l'année le temple de la déeffe Pallas, d'y prendre. les bains falutaires à la population, défendant en outre à telle perfonne quelconque d'employer en aucune façon la force de l'imagina

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