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Tramarine, elle ne retombât encore dans fes anciennes foibleffes, fur-tout fe trouvant fans ceffe à portée d'admirer chaque jour les fingu lières beautés renfermées dans le fallon des merveilles; ce fut donc afin de la fortifier dans leurs maximes & dans leurs loix que ce voyage fut ordonné.

Il est à préfumer que, quoique Tramarine fût la plus parfaite de toutes les femmes, elle n'avoit pas encore acquis les vertus & les dons dont les génies font doués dès leur naiffance; & que, malgré les grandes difpofitions qu'elle avoit pour les fciences, ce ne fut qu'après bien des années qu'elle fut remplie de ces talens admirables qui ne font accordés qu'aux génies du premier ordre. Le roi, occupé des préparatifs du voyage du prince & de la princeffe, & voulant qu'il fe fît avec toute la pompe due à la majefté ondine, ordonna que leur fuite feroit compofée de dix mille Ondins & trois mille Ordines.

Peut être penfera-t-on qu'un auffi nombreux cortège devoit faire beaucoup d'embarras dans un voyage d'auffi long cours: c'eft pourquoi je dois inftruire mon lecteur que les Ondins n'en caufent aucun; comme ce font des génies, ils n'ont befoin d'aucunes provifions, l'air fuffit à

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leur fubfiftance. Tramarine, devenue immortelle & par conféquent participante à toutes les vertus des Ondins, étoit auffi dispensée des befoins auxquels la nature humaine a assujetti les foibles mortels.

CHAPITRE VIII.

Voyages dans l'Empire des Ondes. Le jour fixé pour le départ du prince & de la

que

princeffe, ils furent prendre congé de fa majefté Ondine, après quoi ils montèrent dans leur char leur fuite fuivit dans des voitures de nacre de perles, faites en forme de coquilles; ce qui devoit représenter le plus beau coup-d'œil du monde pour ceux qui ont pu avoir l'avantage d'en être les témoins.

Le génie dirigea d'abord fa route du côté du midi; il s'arrêta dans un endroit où fe donnèrent de fréquens combats, qui ne fervent fouvent qu'à peupler l'empire des ondes. Je vois, dit le prince, que vous regardez avec furprise cette multitude de nouveaux habitans qui jufqu'alors vous ont été inconnus. Apprenez,

ma chère Tramarine, que ces gens que vous voyez arriver à tout inftant, font des perfonnes qui viennent de fubir le fort attaché à tous les mortels, la mort, & qu'elles ont été condamnées par le Tout-Puiffant à demeurer parmi les Ondins pendant un certain nombre d'années proportionné aux fautes qu'elles ont commifes fur la terre. Quoique je fois déja inftruit de leur conduite, je vais néamoins en interroger quelques-uns, pour vous faire connoître jufqu'où peut aller la méchanceté des hommes qui habitent actuellement fur la terre.

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Le génie fit en même tems approcher un homme qui paroiffoit vêtu d'une façon fingulière, & lui demanda pourquoi il étoit condamné à boire, pendant cent mille ans, 40 pintes par jour de thé élémentaire.Prince,dit ce miférable, quoique ma pénitence foit longue, je rends graces au Tout-Puiffant de ne me l'avoir pas donnée plus rigoureuse; l'efpérance que j'ai d'un avenir heureux m'en fait fupporter fans murmure la longueur, parce que rien n'eft fi confolant pour un malheureux que d'être perfuadé que fes peines feront un jour changées en des plaifirs purs & réels; car il femble que l'on anticipe fur fon bonheur par la cer titude où l'on eft d'y arriver. Voici donc mon hiftoire en peu de mots, pour ne point

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fatiguer l'attention de la princeffe qui vous

accompagne.

Elevé aux premières dignités de l'état, par les bontés d'un grand monarque qui m'avoit accordé toute fa confiance, loin d'employer mes talens à mériter fes bontés par ma reconnoiffance & un attachement fincère aux intérêts de mon maître, l'élévation fubite de ma fortune ne fit qu'augmenter mon orgueil. Devenu infolent par le fuccès de quelques entreprises, je crus pouvoir tout hafarder. Je commençai par diffiper les finances, & je fus enfuite obligé de furcharger le royaume des dettes onéreuses à l'état; pour cacher en quelque forte le mauvais emploi que je faifois des fommes immenfes qui fe levoient tous les jours fur les peuples, je fufcitai des guerres injuftes qui firent périr les plus braves officiers & les meilleurs foldats, & répandirent la désolation dans tous les efprits. J'engageai enfuite le prince dans de fauffes démarches capables d'abaiffer fon pouvoir, parce qu'elles tendoient à augmenter le mien. Une conduite fi oppofée à la juftice du gouvernement, m'a enfin attiré la haine publique; on a approfondi mes démarches, & le monarque défabufé vient de me faire fubir la peine due à mes forfaits.

Tramarine

"

Tramarine, furprise de l'ingratitude & de la mauvaise foi de ce favori, demanda au prince fi on pouvoit fe fier aux difcours d'un homme accoutumé depuis fi long-tems au mensonge & à l'intrigue, & s'il ne cherchoit point encore à lui en impofer. Non, chère Tramarine, dit le génie; lorfque les humains ont quitté ces corps qui les enveloppent & les tiennent à la terre, (comme ceux que vous voyez ne font que fantastiques) il n'est plus en leur pouvoir de nous déguiser la vérité, ni de chercher à nous furprendre; envoyez ici, afin d'exécuter l'arrêt de leur condamnation; rien ne peut diminuer la rigueur de leur fort. Dites-moi, je vous prie, fi tous ces peuples que je vois arriver en foule, & qu'on dit être morts pour la défense de leur liberté, font condamnés aux mêmes peines; ces gens me paroiffent pleins de candeur & de bonne foi. Il est vrai, dit Verdoyant, qu'ils font fimples & fans malice: mais ici le châtiment eft proportionné aux fautes qu'on a commises, & ceux que vous voyez ne defcendent fous les ondes qu'afin de s'y purifier. Moins coupables que les autres, leurs peines font auffi plus légères & plus courtes, & ils ne font point obligés de boire le thé. Tramarine exigea du génie une explication beaucoup plus Tome XXXIV.

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