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53 Telle, sur un rameau, durant la nuit obscure...

J'ai déjà fait remarquer que les comparaisons des anciens n'étaient ni aussi ingénieuses, ni aussi brillantes, ni aussi justes que les nôtres, mais qu'elles étaient plus poétiques, plus sensibles, plus pittoresques. Celle-ci en est une nouvelle preuve. Il n'y a pas grand esprit à comparer Orphée pleurant sa femme au rossignol pleurant ses petits: la comparaison n'a pas même beaucoup de justesse. Qu'est-ce donc qui en fait le charme? c'est que le fond en est touchant; c'est que les idées accessoires sont charmantes; c'est que l'harmonie des vers est enchanteresse. Pour me conformer au génie de notre langue, qui n'aime point les comparaisons à longue queue, j'ai transporté au commencement ce qui est à la fin, et j'ai terminé la comparaison par l'idée touchante que renferme le mot implumes.

54 Lorsque César, l'amour et l'effroi de la terre,

Faisait trembler l'Euphrate au bruit de son tonnerre.

Ces vers prouvent que Virgile retoucha ses Géorgiques toute sa vie. L'époque dont il s'agit ne précède sa mort que d'un an. Auguste commandait alors ses armées en personne sur les bords de l'Euphrate, et forçait Phraate de rendre les aigles romaines que les Parthes avaient arrachées à Crassus.

FIN DES NOTES DES GÉORGIQUES.

LES JARDINS.

CHANT PREMIER.

Le doux printemps revient, et ranime à la fois
Les oiseaux, les zéphyrs, et les fleurs, et ma voix.
Pour quel sujet nouveau dois-je monter ma lyre?
Ah! lorsque d'un long deuil la terre enfin respire,
Dans les champs, dans les bois, sur les monts d'alentour,
Quand tout rit de bonheur, d'espérance et d'amour,
Qu'un autre ouvre aux grands noms les fastes de la gloire,

Sur son char foudroyant qu'il place la Victoire ;
Que la coupe d'Atrée ensanglante ses mains :
Flore a souri; ma voix va chanter les jardins.
Je dirai comment l'art embellit les ombrages,
L'eau, les fleurs, les gazons, et les rochers sauvages;
Des sites, des aspects sait choisir la beauté,

Donne aux scènes la vie et la variété ;

Enfin l'adroit ciseau, la noble architecture,
Des chefs-d'œuvre de l'art vont parer la nature.
Toi donc qui, mariant la grâce à la vigueur,
Sais du chant didactique animer la langueur,
O muse! si jadis, dans les vers de Lucrèce,
Des austères leçons tu polis la rudesse ;
Si par toi, sans flétrir le langage des dieux,
Son rival a chanté le soc laborieux,
Viens orner un sujet plus riche, plus fertile,
Dout le charme autrefois avait tenté Virgile'.
N'empruntons point ici d'ornement étranger;
Viens, de mes propres fleurs mon front va s'ombrager;

Et comme un rayon pur colore un beau nuage,
Des couleurs du sujet je teindrai mon langage.

L'art innocent et doux que célèbrent mes vers
Remonte aux premiers jours de l'antique univers.
Dès que l'homme eut soumis les champs à la culture,
D'un heureux coin de terre il soigna la parure;
Et plus près de ses yeux il rangea sous ses lois
Des arbres favoris et des fleurs de son choix.
Du simple Alcinoüs le luxe encor rustique 2
Décorait un verger. D'un art plus magnifique 3
Babylone éleva des jardins dans les airs.

Quand Rome au monde entier eut envoyé des fers 4,
Les vainqueurs, dans des parcs ornés par la victoire,
Allaient calmer leur foudre et reposer leur gloire.
La sagesse autrefois habitait les jardins,

Et d'un air plus riant instruisait les humains.
Et quand les dieux offraient un Élysée aux sages,
Étaient-ce des palais? c'étaient de verts bocages;
C'étaient des prés fleuris, séjour des doux loisirs,
Où d'une longue paix ils goûtaient les plaisirs.

Ouvrons donc, il est temps, ma carrière nouvelle,
Philippe m'encourage et mon sujet m'appelle 5,

Pour embellir les champs, simples dans leurs attraits,
Gardez-vous d'insulter la nature à grands frais;
Ce noble emploi demande un artiste qui pense,
Prodigue de génie et non pas de dépense.

Moins pompeux qu'élégant, moins décoré que beau,
Un jardin, à mes yeux, est un vaste tableau.

Soyez peintre. Les champs, leurs nuances sans nombre,
Les jets de la lumière et les masses de l'ombre,
Les heures, les saisons variant tour à tour
Le cercle de l'année et le cercle du jour,
Et des prés émaillés les riches broderies,
Et des riants coteaux les vertes draperies,

Les arbres, les rochers, et les eaux et les fleurs, Ce sont là vos pinceaux, vos toiles, vos couleurs : La nature est à vous; et votre main féconde Dispose, pour créer, des éléments du monde.

Mais avant de planter, avant que du terrain
Votre bêche imprudente ait entamé le sein,
Pour donner aux jardins une forme plus pure,
Observez, connaissez, imitez la nature.
N'avez-vous pas souvent, aux lieux infréquentés,
Rencontré tout à coup ces aspects enchantés
Qui suspendent vos pas, dont l'image chérie
Vous jette en une douce et longue rêverie?
Saisissez, s'il se peut, leurs traits les plus frappants,
Et des champs apprenez l'art de parer les champs.

Voyez aussi les lieux qu'un goût savant décore:
Dans ces tableaux choisis vous choisirez encore.
Dans sa pompe élégante admirez Chantilli,
De héros en héros, d'âge en âge embelli.
Beloeil, tout à la fois magnifique et champêtre 6,
Chanteloup, fier encor de l'exil de son maître,
Nous plaîront tout à tour. Tel que ce frais bouton 7
Timide avant-coureur de la belle saison,
L'aimable Tivoli d'une forme nouvelle

Fit le premier en France entrevoir le modèle.
Les Grâces en riant dessinèrent Montreuil 8.
Maupertuis, le Désert, Rincy, Limours, Auteuil 9,
Que dans vos frais sentiers doucement on s'égare!
L'ombre du grand Henri chérit encor Navarre.
Semblable à son auguste et jeune déité 1o,
Trianon joint la grâce avec la majesté.
Pour elle il s'embellit et s'embellit par elle.

10

II

Et toi, d'un prince aimable ô l'asile fidèle 11, Dont le nom trop modeste est indigne de toi, Lieu charmant! offre lui tout ce que je lui doi,

Un fortuné loisir, une douce retraite.
Bienfaiteur de mes vers, ainsi que du poëte,
C'est lui qui, dans ce choix d'écrivains enchanteurs,
Dans ce jardin paré de poétiques fleurs,

Daigne accueillir ma muse. Ainsi, du sein de l'herbe,
La violette croît auprès du lis superbe.

Compagnon inconnu de ces hommes fameux,
Ah! si ma faible voix pouvait chanter comme eux,
Je peindrais tes jardins, le dieu qui les habite,
Les arts et l'amitié qu'il y mène à sa suite.

Beau lieu, fais son bonheur ! et moi, si quelque jour,
Grâce à lui, j'embellis un champêtre séjour,
De mon illustre appui j'y placerai l'image.
De mes premières fleurs je lui promets l'hommage :
Pour elle je cultive et j'enlace en festons

Le myrte et le laurier, tous deux chers aux Bourbons;
Et si l'ombre, la paix, la liberté m'inspire,

A l'auteur de ces dons je dévouerai ma lyre.

Riche de ses forêts, de ses prés, de ses eaux, Le Germain offre encor des modèles nouveaux. Qui ne connaît Rhinsberg, qu'un lac inmense arrose, Où se plaisent les arts, où la valeur repose; Potsdam, de la victoire héroïque séjour, Potsdam qui, pacifique et guerrier tour à tour, Par la paix et la guerre a pesé sur le monde ; Bellevue, où sans bruit roule aujourd'hui son onde Ce fleuve dont l'orgueil aimait à marier A ses tresses de jonc des festons de laurier; Gosow, fier de ses plans, Cassel, de ses cascades; Et du charmant Vorlitz les fraîches promenades? L'eau, la terre, les monts, les vallons et les bois, Jamais d'aspects plus beaux n'ont présenté le choix. Dans les champs des Césars, la maîtresse du monde Offre sous mille aspects sa ruine féconde:

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