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par eux à l'égal d'enfans légitimes; ils les présentent devant l'officier de l'état civil pour faire constater leur naissance et s'en déclarer le père; ils les élèvent sous leur propre nom, et ne donnent au public, par leur façon d'agir à leur égard, comme à l'égard de leur mère, aucune raison de soupçonner l'état de celleci, et, par suite, l'état des enfans. Ils les envoient à l'école jusqu'à l'âge de douze ans, époque à laquelle ils les mettent en apprentissage.

Les ouvriers sont ordinairement payés à la fin de chaque quinzaine. Les plus rangés remettent leur salaire tout entier à leurs femmes en se réservant seulement de quoi fournir à leur repas de chaque jour et à quelques petites dépenses imprévues que peut nécessiter la rencontre d'anciens camarades; d'autres ne leur donnent que la moitié de leur salaire et gardent l'autre moitié pour eux-mêmes. Une troisième classe, en laissant la femme disposer de son propre salaire, lorsqu'elle est ouvrière, se réserve le sien pour en user selon ses besoins et ses convenances. La nature des travaux de l'ouvrier qui sont rudes et fatigans l'oblige à un régime fortifiant, et ce régime ne consiste pas tant pour lui dans une nourriture substantielle que dans l'usage modéré d'un vin pur et naturel. Le vin est pour l'ouvrier plus que pour qui que ce soit une chose de première néces

sité. Outre qu'il a pour effet de réparer ses forces affaiblies par le travail, il a le pouvoir d'égayer son esprit et de charmer ses peines.

Les sollicitations du cabaret ont tant d'influence sur le sort de l'ouvrier et sur celui de sa famille, qu'on ne saurait examiner avec trop de soin toute les circonstances qui peuvent le porter à céder à cet attrait. On jugera par là combien l'œil du maître est nécessaire pour surveiller la conduite de ses ouvriers, autant que celle des chefs qu'il a chargés de leur direction morale et industrielle. Le chef-ouvrier est une dénomination générique qui s'applique au maître-compagnon, au chef d'atelier, au contre-maître, sous-contre-maître, en un mot à tout individu commis par l'entrepreneur ou le maître de l'établissement pour diriger chaque escouade d'ouvriers dans l'accomplissement de la tâche qui lui est assignée. Le chef-ouvrier doit se trouver le premier sur le théâtre des travaux, et le quitter le dernier. Ce lieu s'appelle ordinairement atelier ou chantier, soit que vous le placiez dans un endroit spécial et permanent, dépendant de la maison de l'entrepreneur ou séparé de cette maison, mais appartenant à ce dernier, soit que vous désigniez ainsi l'endroit où l'entrepreneur, d'après la demande de ses pratiques, envoie un certain nombre d'ouvriers pour

l'exécution de tel ou tel ouvrage de sa profession.

Pour l'ouvrier employé dans une boutique, fabrique ou manufacture, il n'y a pas de travail extérieur, l'exercice de l'industrie est concentré sur des points fixes et qui ne varient jamais.

L'ouvrier se lève avec le jour, il se rend à son atelier; chemin faisant, il rencontre un de ses camarades qu'il n'a pas vu depuis quelque temps. On s'aborde, on propose d'un côté ou de l'autre d'aller boire, car, en pareil cas, c'est une des premières idées qui viennent à l'esprit de l'ouvrier; il est question d'ouvrage, de l'entrepreneur chez qui l'on travaille; la conversation se poursuit le verre à la main, on reprend le chapitre de l'entrepreneur, on critique sa manière de faire travailler, de conduire les travaux, la parcimonie ou l'inexactitude avec laquelle il paie ses ouvriers. On parle de sa sévérité qui paraît outrée. Les deux interlocuteurs se piquent de payer chacun leur tournée, c'est-à-dire de répondre à l'offre d'un verre de vin ou d'un petit verre de liqueur par un retour. La critique suit son cours; du maître on passe aux contre-maîtres, puis aux compagnons eux-mêmes; l'heure du travail arrive sur ces entrefaites; l'un des deux ouvriers craint de recevoir des reproches mérités, soit de l'entrepreneur, soit du chef-ouvrier, s'il se présente à l'atelier;

il préfère perdre un tiers de sa journée plutôt que d'encourir les reproches qui l'attendent. Il cherche à ébranler l'autre qui est moins craintif et qui résiste. Une troisième tournée est proposée par lui dans ce but, et en effet, bientôt la résistance cesse, dès-lors on s'attable, on déjeune, les têtes s'échauffent, on oublie l'atelier et l'on perd non plus le tiers de la journée, mais la journée entière, heureux lorsqu'on est en état de travailler le lendemain.

Je supposerai maintenant que l'un de nos deux ouvriers s'est refusé à entrer au cabaret et que l'on s'est borné de part et d'autre à échanger quelques propos. L'ouvrier prudent s'échappe bien vite; il se hâte d'arriver à son atelier. Aussitôt entré, il parle de sa rencontre, de ce qu'il a appris, surtout si ce qu'il sait offre quelque chose de piquant; il s'apprête à se mettre à l'ouvrage et content d'être arrivé à l'heure, ou s'il est en retard, d'être traité avec indulgence par le contremaître, il propose à ses camarades d'aller boire un verre de vin avant de commencer à travailler; il ne voit pas ce qu'il y a de contradiction entre sa proposition et la conduite sage qu'il vient de tenir. Ceux à qui il s'adresse ne s'en aperçoivent pas davantage. La proposition est donc acceptée. S'il en est qui refusent ou hésitent, on les raille, on les taxe d'être timides. Si le contre-maître fait des remontrances,

c'est un surveillant incommode et chagrin. Cependant comme on a besoin de le ménager, on ne sort pas tout de suite. Celui qui a fait la proposition est le premier à se rendre chez le marchand de vin. Ses camarades ne tardent pas à l'imiter, mais ils vont le joindre en cachette et l'un après l'autre; ils ne rentrent à l'atelier que pour sortir encore; enfin plusieurs, étourdis par les fumées du vin, deviennent incapables de travailler. On parle d'aller se promener le reste de la journée et les plus paresseux d'applaudir: il en est qui voudraient bien rester, mais pour ne pas faire autrement que leurs camarades, ils se laissent entraîner, et moitié par paresse, moitiè par fausse honte, l'atelier se trouve désert en un moment.

Souvent le contre-maître oubliant ses devoirs cède, de son côté, aux mauvais exemples que des ouvriers donnent sous ses yeux et, ce qui est pis, il provoque lui-même le dérangement de ces mêmes ouvriers, qu'il aurait dû maintenir dans la voie de l'ordre et du travail. Ses propositions à cet égard ne manquent jamais d'avoir leur effet, car les ouvriers flattés de boire avec celui qu'ils considèrent comme leur chef, s'empressent à l'envi de renouveler les libations pour lui faire honneur et même d'acquitter une dépense à laquelle ils auraient dû rester étran

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