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j'aurais dû ajouter au point de vue marqué dans le programme de l'Académie des sciences morales et politiques un autre point de vue beaucoup moins étendu, mais non moins curieux : celui de la classe dangereuse lettrée, à cause du rôle que l'intelligence joue dans la dépravation des individus auxquels ce point de vue se rapporte. Mais les limites assignées par l'Académie à la question mise au concours, m'imposaient le devoir de ne pas sortir du cadre, qu'elle avait tracé aux concurrens. Je dus, en conséquence, laisser dans l'ombre la partie de la population dangereuse, qui formait le complément naturel de mon mémoire.

Lorsque je fus informé de la distinction dont l'Académie avait bien voulu honorer ce travail, et de la récompense qu'elle m'avait décernée, j'éprouvai aussitôt le besoin d'agrandir le plan de mon ouvrage. Je dis mon ouvrage, car le manuscrit du mémoire envoyé par moi au concours, n'avait pas moins de 400 pages in-folio. J'entrepris de nouvelles recherches, et je fus bientôt à portée de remplir le vide forcé de mon premier plan qui n'était et ne pouvait être que celui de l'Académie. En me déterminant à donner plus de développement u sujet de mon mémoire, je pris à tâche en même temps de me conformer scrupuleusement aux ob

servations judicieuses de l'Académie qui m'avait signalé quelques imperfections.

L'oeuvre que je publie est le produit des nouvelles recherches que j'ai faites, et de la refonte d'une partie de mon premier travail. J'aurais voulu indiquer ici les changemens et les additions que j'ai apportés au mémoire qui a obtenu le suffrage de l'Académie, afin de n'être pas taxé d'étendre son approbation à des idées et à des opinions qu'elle n'aurait pas été à même d'apprécier. Mais, toute réflexion faite, j'ai cru qu'il serait plus convenable d'appeler par des notes l'attention du lecteur sur les parties neuves de mon travail, au fur et à mesure qu'elles passeraient sous ses yeux.

Ce livre est, tout ensemble, un ouvrage d'administration et de morale. L'administrateur y trouvera des documens et des traits de moeurs peu connus jusqu'ici, sur les classes vicieuses et misérables qui foisonnent dans la ville de Paris, de même que dans les autres capitales du monde civilisé. Il pourra juger des précautions et des moyens répressifs employés par l'autorité publique pour garantir l'ordre intérieur de cette grande cité, ainsi que la sûreté de ses habitans et de leurs propriétés. Le moraliste, en lisant le même ouvrage, aura la faculté d'y étudier le vice dans ses principales variétés, d'en appro

fondir les causes, et de suivre pas à pas le progrès de ses développemens.

La morale s'est constamment produite dans les écrits des philosophes sous des formes didactiques et purement spéculatives; ses préceptes, son utilité, son influence sur le bonheur de l'homme, y sont exposés avec une raison élevée, avec une onction touchante, avec une éloquence pleine d'énergie. J'ai cru devoir m'imposer un autre rôle. Il m'a semblé que la morale basée sur les faits, et découlant du fond même de la narration, offrirait un nouvel aspect et un nouvel attrait. L'histoire n'est si intéressante que parce que la sentence de l'historien est placée à côté du fait, et qu'elle s'efface quelquefois pour laisser au fait tout seul le soin d'instruire, ou, pour mieux dire, d'enseigner le lecteur. Il en est de même des jeux de la scène; il en est de même de l'apologue.

Cette union des faits et de la morale m'a paru si naturelle et si féconde, que dans la partie philosophique de mon travail, j'ai jugé convenable de m'interdire toute espèce d'artifice oratoire. J'ai décrit les mœurs du vice, ses désordres et ses excès. Je l'ai personnifié, caractérisé, dans les principales conditions de la société, et j'ai ensuite rappelé les lois éternelles du devoir, en essayant, autant que je le

pouvais, de rajeunir leur application par des moyens nouveaux. Du reste, les moralistes ont beau s'effor cer de varier leur thème sur le sujet le plus élevé, mais le plus commun des exercices de la pensée, le travail et l'ordre viendront toujours se placer sous leur plume, au premier rang des vérités morales. Ces vérités ne m'ont jamais plus frappé qu'en rédigeant cet écrit. La logique et le sens intime me les auraient apprises, alors même que je les aurais ignorées, et elles jaillissaient si lumineuses des faits que je racontais, qu'il me semblait que nul, avant moi, n'avait encore énoncé ces préceptes antiques de la sagesse humaine.

Les données statistiques sur la classe vicieuse, proprement dite, et sur la classe dangereuse, qui font l'objet de la première partie de cet écrit, reposent les unes sur des chiffres positifs, les autres sur des aperçus et des évaluations approximatives. Ces dernières données ont quelque chose de vague et d'arbitraire, parce qu'elles échappent à toute appréciation et à tout calcul positif, à la différence des publications statistiques analogues du gouvernement où sont consignés tous les faits accomplis de la justice criminelle. La diversité de ces deux espèces de données devait nécessairement se reproduire dans le but propre à chacune d'elles. En effet, les publications

officielles se rapportent à la partie des classes vicieuse et dangereuse, atteinte par les mesures préventives de l'autorité judiciaire ou par des condamnations, tandis que mes recherches embrassent les élémens de ces classes épars dans les grandes villes et qui ne se trouvent pas sous la main de la justice.

Le travail que j'ai entrepris exigeait, pour mériter confiance, que j'indiquasse sinon les sources où j'en avais puisé les matériaux, au moins les hommes de l'administration qui, par leurs connaissances spéciales et par leurs lumières, avaient contribué à éclairer més investigations et mes calculs. Ces hommes, aussi recommandables par les qualités distinguées de leur esprit que par leur loyal caractère, me permettront, je l'espère, d'acquitter ici envers eux le tribut de reconnaissance, que je dois à leurs obligeantes communications. Ce sont MM. Chayet et Farou, tous deux employés supérieurs à la préfecture de police. L'un est chef de la première division, qui embrasse les nombreux services relatifs à la sûreté de la capitale. L'autre dirige le bureau dépendant de cette division où l'on interroge tous les individus arrêtés dans Paris, et qui par la nature des actes qui leur sont reprochés se trouvent dans le cas d'être renvoyés devant le procureur du roi. C'est à ce même bureau que sont

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