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de telle façon que les chofes tournaffent, elle étoit déterminée de me garder toujours auprès d'elle; cette afsurance me tranquillifa pendant un tems. Au bout de quelques années, Madame d'Arenville fe mit en tête de déterminer le Comte à le marier, malgré l'éloignement qu'il avoit toujours montré pour toutes fortes d'enga gemens. Une des amies de cette Dame avoit une fille à peu près de mon âge; nous avions été élevées enfemble,& il s'étoit formé entre nous une amitié des plus tendres. Julie étoit le nom de cette Demoiselle; elle n'avoit rien de caché pour moi j'étois fon amie la plus chere, & je l'aimois aussi infi

niment. Ce fut fur cette Demoifelle que Madame d'Arenville jetta les yeux : c'étoit une riche héritiere: la proximité des terres mettoit beaucoup de convenance à ce mariage; c'est ce qui détermina cette Dame d'en parler au Comte. Julie étoit aimable, vive, enjouée; mais avec de la coquetterie, art qui flétrit fouvent la beauté de la nature, & qui fait trembler le cœur même qui l'approuve, Julie cherchoit à plaire, & plaifoit prefque toujours par ces propos légers, qui s'appellent le bon ton, ou, fi l'on veut, celui des gens d'une certaine façon. Elle fçavoit admi rablement bien faifir tous les ridicules. L'on peut dire que le

parfait perfifflage lui étoit naturelle; enfin c'étoit une petite maîtreffe du premier ordre qui, avec beaucoup d'efprit, n'avoit pas le fens commun : cependant elle étoit fort amu-fante.

J'accompagnai un jour Madame d'Arenville pour paffer la journée chez elle, parce que Madame fa mere prenoit les bains, pour prévenir quelques. indifpofitions qu'elle n'avoit pas, mais qu'elle craignoit d'a→

voir.

Lorfque les parties de jeu furent commencées, Julie me propofa de faire un tour dans le parc, pour me faire part des propofitions qui avoient été faites fur fon mariage avec

Fe Comte: elle m'en parla comme d'une affaire prefque arrêtée; heureusement que Julie ne s'apperçut point du trouble que cette confidence jettoit dans mon ame, n'ayant point entendu parler de cette affaire. Elle ajouta que quoique le Comte lui parût fort aimable, elle n'obéiroit qu'avec beaucoup de répugnance. Il faut, ma chere Flore, que je vous ouvre mon cœur j'aime le jeune Marquis de Boudeville; il y a fix mois que j'en fis la connoiffance chez une de mes parentes. Il eft des inclinations qui naiffent avec tant d'impéruofité, que nous nous fentons prefque forcé de nous y livrer: à peine ai-je eu la liberté de

m'oppofer à celle que le Mar quis m'a infpiré; le trait étoit au fond de mon cœur lorfque je commençai à m'en appercevoir: je n'ai point envisagé de difficulté au bonheur que je me fuis fait de m'unir avec lui, & je goûtois d'avance le charme de ce bonheur, dont l'idée feule faifoit toute ma félicité. Jugez, chere amie, de ma douleur, fi je fuis forcée d'y renoncers jaffurai Julie que je partageois bien fincerement fes peines: les reffentois en effet plus qu'el le-même, fans en pénétrer la caufe. Julie attribua le chagrin que je ne pû cacher à l'amitié que j'avois pour elle, & me remercia, en m'embraffant, de la part que j'y prenois. Nous

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