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Je ne vois pas qu'on se soit assez occupé de réduire au plus petit nombre possible les genres d'affaires dont le gouvernement de chaque Etat sera chargé ; ni à séparer les objets de législation de ceux d'administration générale, et de ceux d'administration particulière et locale; à constituer des assemblées locales subalternes qui remplissant presque toutes les fonctions de détail du Gouvernement dispensent les assemblées générales de s'en occuper, et ôtent aux membres de celle-ci tout moyen et peut-être tout désir d'abuser d'une autorité qui ne peut s'appliquer qu'à des objets généraux, et par là même étrangers aux petites passions qui agitent les hommes.

Je ne vois pas qu'on ait fait attention à la grande distinction, la seule fondée sur la nature entre deux classes d'hommes, celle des propriétaires de terres, et celle des non-propriétaires; à leurs intérêts et par conséquent à leurs droits différens relativement à la législation, à l'administration de la justice et de la police, à la contribution aux dépenses publiques et à leur emploi.

Nul principe fixe êtabli sur l'impôt; on suppose que chaque Province peut se taxer à sa fantaisie, êtablir des taxes personnelles, des taxes sur les consommations, sur les importations, c'est

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à-dire, se donner un intérêt contraire à l'intérêt des autres provinces.

On suppose partout le droit de régler le commerce; on autorise même les corps exclusifs, ou les gouverneurs, à prohiber l'exportation de certaines denrées dans certaines occurrences; tant on est loin d'avoir senti que la loi de la liberté entière de tout commerce est un corollaire du droit de propriété; tant on est encore plongé dans les brouillards des illusions européennes.

Dans l'union générale des provinces entre elles, je ne vois point une coalition, une fusion de toutes les parties, qui n'en fasse qu'un corps nu et homogène. Ce n'est qu'une aggrégation de parties toujours trop séparées, et qui conservent toujours une tendance à se diviser, par la diversité de leurs loix, de leurs mœurs, de leurs opinions; par l'inégalité de leurs forces actuelles; plus encore par l'inégalité de leurs progrès ultérieurs. Ce n'est qu'une copie de la république hollandoise; et celle-ci même n'avoit pas à craindre, comme la république américaine, les accroissemens possibles de quelques-unes de ses provinces. Tout cet édifice est appuyé jusqu'à présent sur les bases fausses de la très-ancienne et très-vulgaire politique, sur le préjugé que les

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nations, les provinces peuvent avoir des intérêts, en corps de provinces et de nation, autres que celui qu'ont les individus d'être libres et de défendre leurs propriétés contre les brigands et les conquérans intérêt prétendu de faire plus de commerce que les autres, de ne point acheter les marchandises de l'étranger, de forcer l'étranger à consommer leurs productions et les ouvrages de leurs manufactures: intérêt prétendu d'avoir un territoire plus vaste, d'acquérir telle ou telle province, telle ou telle isle, tel ou tel village intérêt d'inspirer la crainte aux autres nations intérêt de l'emporter sur elles par la gloire des armes, par celle des arts et des sciences. Quelques-uns de ces préjugés sont fomentés en Europe, parce que la rivalité ancienne des Nations et l'ambition des Princes obligent tous les États à se tenir armés pour se défendre contre leurs voisins armés, et à regarder la force militaire comme l'objet principal du Gouvernement. L'Amérique a le bonheur de ne pouvoir, d'ici à long-tems, avoir d'ennemi extérieur à craindre, si elle ne se divise elle-même ; ainsi elle peut et doit apprécier à leur juste valeur ces prétendus intérêts, ces sujets de discorde qui seuls sont à redouter pour sa liberté. Avec le principe sacré de la liberté du commerce, regardé comme une

suite du droit de la propriété, tous les prétendus intérêts de commerce disparoissent. Les prétendus intérêts de posséder plus ou moins de territoire s'évanouissent par le principe que le territoire n'appartient point aux Nations', mais aux individus propriétaires des terres; que la question de savoir si tel canton, tel village doit appartenir à telle Province, à tel État, ne doit point être décidée par le prétendu intérêt de cette Province ou de cet État, mais par celui qu'ont les habitans de tel canton ou de tel village, de se rassembler pour leurs affaires dans le lieu où il leur est le plus commode d'aller ; que cet intérêt êtant mesuré par le plus ou moins de chemin qu'un homme peut faire loin de son domicile pour traiter quelques affaires plus importantes, sans trop nuire à ses affaires journalières, devient une mesure naturelle et physique de l'étendue des jurisdictions et des États, et êtablit entre tous un équilibre d'étendue et de forces qui écarte tout danger d'inégalité, et toute prétention à la supériorité.

L'intérêt d'être craint est nul quand on ne demande rien à personne, et quand on est dans une position où l'on ne peut être attaqué par des forces considérables avec quelque espérance de succès.

Tome IX.

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J'imagine que les Américains n'en sont pas encore à sentir toutes ces vérités, comme il faut qu'ils les sentent pour assurer le bonheur de leur postérité. Je ne blâme pas leurs Chefs. Il a fallu pourvoir au besoin du moment pour une union telle quelle, contre un ennemi présent et redoutable; on n'avoit pas le tems de songer à corriger les vices des constitutions et de la composition des différens États. Mais ils doivent craindre de les éterniser, et s'occuper des moyens de réunir les opinions et les intérêts, et de les ramener à des principes uniformes dans toutes leurs Provinces.

Ils ont à cet égard de grands obstacles à

vaincre.

En Canada, la constitution du Clergé Romain, et l'existence d'un Corps de Noblesse.

Dans la Nouvelle-Angleterre, l'esprit encore subsistant du Puritanisme rigide, est toujours, dit-on, un peu intolérant.

Dans la Pensylvanie, un très-grand nombre de Citoyens établissent en principe religieux que la profession des armes est illicite, et se refusent par conséquent aux arrangemens nécessaires pour que le fondement de la force militaire de l'État soit la réunion de la qualité de Citoyen avec celle d'homme de guerre et de milicien ;

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