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J. J. Blaise Labraire, Quai dev Augustins.

ÉPITRE IV.

AU ROI.

En vain, pour te louer, ma muse toujours prête,
Vingt fois de la Hollande a tenté la conquête [a]:
Ce pays, où cent murs n'ont pu te résister,
Grand roi, n'est pas en vers si facile à domter.
Des villes que tu prends les noms durs et barbares
N'offrent de toutes parts que syllabes bizarres [b];
Et, l'oreille effrayée, il faut depuis l'Issel,

Pour trouver un beau mot courir jusqu'au Tessel [c].

[a] La fierté de Louis XIV étoit blessée de l'opposition que les Hollandois lui avoient fait éprouver au congrès d'Aix-la-Chapelle. Il leur déclara la guerre le 7 avril 1672, après avoir employé quatre ans aux moyens de leur enlever l'influence qu'ils exerçoient dans les affaires de l'Europe. Il avoit trois corps d'armées, et des capitaines tels que Turenue, le grand Condé, Luxembourg.

[b] Despréaux, suivant le Bolæana, nomb. IX, convenoit qu'il avoit puisé dans Martial l'idée de ses plaisanteries sur la dureté des noms allemands et hollandois. Un certain Hippodamus avoit demandé des vers au poëte latin, qui s'excuse de lui en faire sur ce que son nom seroit effrayant pour les Muses. (Liv. IV, épigramm XXXI. )

[c] Pour trouver un beau mot, des rives de l'Issel,

Il faut, toujours bronchant, courir jusqu'au Tessel.
(Édit. ant. à celle de 1683.)

Pour trouver un beau mot, il faut depuis l'Issel,

Oui, par-tout de son nom chaque place munie
Tient bon contre le vers, en détruit l'harmonie.
Et qui peut sans frémir aborder Voërden [a]?
Quel vers ne tomberoit au seul nom de Heusden [b]?
Quelle muse à rimer en tous lieux disposée
Oseroit approcher des bords du Zuiderzéc?
Comment en vers heureux assiéger Doësbourg [c],
Zutphen, Wageninghen, Harderwic, Knotzembourg [d]?
Il n'est fort, entre ceux que tu prends par centaines,
Qui ne puisse arrêter un rimeur six semaines :

Et par-tout sur le Whal[e], ainsi que sur le Leck [ƒ],
Le vers est en déroute, et le poëte à sec.

Sans pouvoir s'arrêter, courir jusqu'au Tessel.
(Édition de 1683.)

On a beau s'exciter : il faut depuis l'Issel,

Pour trouver un beau mot, courir jusqu'au Tessel.

(Édition de 1685 jusqu'à celle de 1701 exclusivement.)

L'Issel est une rivière de Hollande, qui se décharge dans le Zuiderzée, ou la mer du Sud. Le Tessel, aujourd'hui Texel, île de la Hollande, dans l'océan germanique.

[a] Ville forte de Hollande, sur le Rhin qui la traverse. [b] Quel vers ne tomberoit au seul nom de Narden?

(Édit. ant. à celle de 1683.)

[c] Cette ville, située à quatre lieues de Zutphen, fut prise le 22 juin 1672 par MONSIEUR, frère du roi.

[d] Zutphen, capitale du comté de ce nom, prise par MONSIEUR le 26 juin. Wageninghen, Harderwic, villes du duché de Gueldre, qui se rendirent au roi les 22 et 23 juin. Knotzembourg, fort situé sur le Wahal, se nomme aussi le fort de Nimègue. Turenne l'assiégea le 15 juin, et le prit le 17.

[e] Le Wahal, branche du Rhin qui passe à Nimègue, et se mêle avec la Meuse.

[f] Le Leck est une autre branche du Rhin, qui se mêle éga

Encor si tes exploits, moins grands et moins rapides,
Laissoient prendre courage à nos muses timides,
Peut-être avec le temps, à force d'y rêver,

Par quelque coup de l'art nous pourrions nous sauver.
Mais, dès qu'on veut tenter cette vaste carrière,
Pégase s'effarouche et recule en arrière;
Mon Apollon s'étonne; et Nimègue[a] est à toi,
Que ma muse est encore au camp devant Orsoi[b].
Aujourd'hui toutefois mon zèle m'encourage:
Il faut au moins du Rhin tenter l'heureux passage.
In trop juste devoir veut que nous l'essayons [c].
Muses,
pour le tracer, cherchez tous vos crayons:
Car, puisqu'en cet exploit tout paroît incroyable,
Que la vérité pure y ressemble à la fable,

De tous vos ornements vous pouvez l'égayer.
Venez donc, et sur-tout gardez bien d'ennuyer:
Vous savez des grands vers les disgraces tragiques;

lement avec la Meuse. « La difficulté vaincue, dit Le Brun, rend - ces deux vers doublement plaisants.

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[a] Cette capitale du duché de Gueldre fut prise par Turenne le 9 juillet 1672, après un siège de six jours. Elle est célèbre par la paix qui y fut conclue, 1o en 1678, entre la France, l'Espagne et les Provinces-Unies; 2° en 1679, entre la France et l'Empire.

[b] Place forte dans le duché de Clèves. Le roi la fit assiéger le 1er juin, et la prit en deux jours. Il tint son camp devant cette ville long-temps après qu'elle fut prise; les gazettes, les lettres particulières datoient toujours, du camp devant Orsoy. Le poëte fait allusion à cette circonstance.

[c] Le malheur sera grand, si nous nous y noyons.

(Edit. ant. à celle de 1694.)

Il fait beau s'y noyer, si nous nous y noyons.

(Édit. ant. à celle de 1701.)

Et souvent on ennuie en termes magnifiques.

Au pied du mont Adule(1), entre mille roseaux, Le Rhin tranquille, et fier du progrès de ses eaux, Appuyé d'une main sur son urne penchante, Dormoit au bruit flatteur de son onde naissante [a]:

(1) Montagne d'où le Rhin prend sa source. (Despréaux, édit. de 1672.)* Adula, selon Ptolomée et Strabon; c'est aujourd'hui le mont Saint-Gothard.

[a] Dans les notes de la traduction de l'Énéide, par Delille, on rapproche ces beaux vers de ceux-ci :

Huic deus ipse loci, fluvio Tiberinus amœno,
Populeas inter senior se attollere frondes
Visus: eum tenuis glauco velabat amictu
Carbasus, et crines umbrosa tegebat arundo.

(Liv. VIII, vers 31-34.)

L'auteur des notes (M. J. Michaud.) trouve que le poëte françois ne perd rien à côté du poëte latin. « Je préfère cependant, dit-il, « crines umbrosa tegebat arundo à cette image un peu trop vague << entre mille roseaux. Dans le reste de sa description, Boileau res« semble plus à Homère qu'à Virgile, et le Rhin prend plutôt « l'attitude fière et terrible du Scamandre que celle du Tibre. »

L'hémistiche entre mille roseaux n'est pas plus vague, il me semble, que ces mots populeas inter frondes, auxquels il faut le comparer, plutôt qu'à ceux-ci crines umbrosa tegebat arundo. Despréaux n'a point cherché à rendre cette dernière image, parcequ'il avoit à peindre l'attitude du Rhin endormi, et non la forme de sa coiffure. Quoi qu'il en soit, voici la traduction françoise :

Tout-à-coup, à travers les peupliers voisins,

Le Tibre s'offre à lui [a] durant la nuit obscure;

Des tresses de roseaux ceignent sa chevelure,

Et du lin le plus fin le léger vêtement

De ses plis azurés l'entoure mollement.

[a] A Énée.

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