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divers côtés pour faire rentrer les insurgés dans l'ordre. Il en battit une bande le 18 en sortant de Cosenza, et s'avança le jour même jusqu'à Scigliano. Il fut ensuite dirigé sur la Mantea, place maritime, vers laquelle le général Verdier marchait par Fiume-Freddo.]

XLI.

- A M...

OFFICIER D'ARTILLERIE A NAPLES

Scigliano, le 21 août 1806.

Ton patron nous écrit : J'ai reçu une lettre du général, comme vous, pas trop honnête. Il veut dire : comme celle que vous avez reçue. Tout le reste est de ce style: ce garçon-là ira loin.

Or, écoutez, vous qui dites que nous ne faisons rien; nous pendîmes un capucin à San-Giovanni in Fiore, et une vingtaine de pauvres diables qui avaient plus la mine de charbonniers que d'autre chose. Le capucin, homme d'esprit, parla fort bien à Reynier. Reynier lui disait Vous avez prêché contre nous; il s'en défendit; ses raisons me paraissaient assez bonnes. Nous voyant partis en gens qui ne devaient pas revenir, il avait prêché pour ceux à qui nous cédions la place. Pouvait-il faire autrement? Mais, si on les écoutait, on ne pendrait personne. Ici nous n'avons pu pendre qu'un père et son fils, que l'on prit endormis dans un fossé. Monseigneur excusera; il ne s'est trouvé que cela. Pas une âme dans la ville; tout se sauve, et il n'est resté que les chats dans les maisons.

Nous rencontrons, par-ci par-là, des bandes qui n'osent pas même tenir le sommet des montagnes. Leur plus grande audace fut à Cosenza *, où l'Anglais les amena **. Il les fit venir jusqu'à la porte du côté de Scigliano, et ils y restèrent toute une nuit, sans que personne dedans s'en doutât. S'ils fussent entrés tout bonnement (car de gardes aux portes, ah! oui, c'est bien nous qui pensons à cela), ils prenaient au lit monseigneur le maréchal avec

Le 18 août.

** Chef de bande.

la femme du major 81. L'Anglais fut tué là. Le matin, nous autres déconfits, qui venions de Cassano, traversant Cosenza, nous sortîmes par cette porte à la pointe du jour, et les trouvâmes là dans les vignes. Il s'était avancé, lui; sa canaille l'abandonna. Je le vis environné; il jeta son épée en criant: Prisonnier! mais on le tua; j'en fus fâché, j'aurais voulu lui rendre un peu les bons traitements que j'ai reçus de ses compatriotes. C'était un bel homme, équipé fort magnifiquement; on le dépouilla en un clin d'œil. Il avait de l'or beaucoup.

Nous allons à la Mantea; mais, si nous trouvons porte close, je ne sais comment nous ferons. Verdier a, je crois, quelques canons; nous, pandours 82, nous n'avons que des cordes.

[A Ajello, entre Scigliano et la Mantea, Courier faillit encore tomber entre les mains des brigands. Le canonnier d'ordonnance qui l'accompagnait fut tué, et il perdit son porte-manteau.

L'entreprise sur la Mantea n'ayant pas eu de suite, le général Reynier revint à Scigliano le 26, d'où il marcha le 31 à Soveria. Le 1er septembre il descendit à Nicastro : le 5 il vint à Maida, où le commandant Clavel fut retrouvé presque guéri de ses blessures. Enfin le 7 il s'établit à Mileto, d'où son quartier général ne sortit pas pendant les deux mois que Courier passa encore à ce corps d'armée.]

XLII. A Mme MARIANNA DIONIGI 83

A ROME

Mileto, le 7 septembre 1806.

Madame, Dieu veuille que ma dernière lettre ne vous soit pas parvenue. Je serais bien fâché vraiment que ce que je vous demandais fût parti; c'étaient des papiers et des livres. Quant à mes habits, je ne les ai pas reçus; mais je sais qui les a reçus pour moi, ce sont les Anglais. Vous aurez appris que nous perdîmes contre eux, il y a deux mois, une bataille et toute la Calabre. Nous regagnerons peut-être la Calabre, mais non la bataille. Ceux qui sont morts, sont morts; tout ce que nous pourrons faire, ce sera de leur tuer autant de monde qu'ils nous

en ont tué. Bientôt, selon toute apparence, nous aurons cette consolation, ou pis que la première fois. Quoi qu'il en soit, la guerre m'occupe tout entier, et je ne pourrai de longtemps penser à autre chose; ainsi, madame, je souhaite, que jusqu'à mon retour, vous conserviez chez vous les petits effets dont vous avez bien voulu vous faire dépositaire.

Je remets au temps où j'aurai l'honneur de vous voir, Dieu aidant, le détail de nos désastres. C'est une histoire qui commence mal, et dont peu de nous verront la fin. Je ne suis pas des plus à plaindre, puisque j'ai encore tous mes membres; mais la chemise que je porte ne m'appartient pas; jugez par-là de nos misères.

Si, en conséquence de ma dernière lettre, vous m'aviez adressé quelque paquet à Naples, ayez la bonté de m'envoyer les renseignements nécessaires pour les réclamer. Je resterai ici tant qu'on y fera la guerre; mais si l'on cesse de se battre, je cours aussitôt à Rome, et tous mes maux ne finiront que quand j'aurai le bonheur de vous revoir.

Permettez, Madame, que je vous prie de présenter mon respect à Madame votre mère, à Mile Henriette, et à M. d'Agincourt, que vous voyez sûrement quelquefois; me donner de leurs nouvelles et des vôtres, c'est le plus grand plaisir que vous me puissiez faire de si loin.

XLIII. A M. LE GÉNÉRAL MOSSEL

Mileto, le 10 septembre 1806.

J'ai reçu, mon général, la chemise dont vous me faites présent. Dieu vous la rende, mon général, en ce monde-ci ou dans l'autre. Jamais charité ne fut mieux placée que celle-là. Je ne suis pourtant pas tout nu. J'ai même une chemise sur moi, à laquelle il manque, à vrai dire, le devant et le derrière, et voici comment on me la fit d'une toile à sac que j'eus au pillage d'un village, et c'est là encore une chose à vous expliquer. Je vis un soldat qui emportait une pièce de toile; sans m'informer s'il

l'avait eue par héritage ou autrement, j'avais un écu et point de linge; je lui donnai l'écu, et je devins propriétaire de la toile, autant qu'on peut l'être d'un effet volé. On en glosa; mais le pis fut que, ma chemise faite et mise sur mon maigre corps par une lingère suivant l'armée, il fut question de la faire entrer dans ma culotte, la chemise s'entend, et ce fut là où nous échouâmes, moi et ma lingère. La pauvre fille s'y employa sans ménagements, et je la secondais de mon mieux, mais rien n'y fit. Il n'y eut force ni adresse qui pût réduire cette étoffe à occuper autour de moi un espace raisonnable. Je ne vous dis pas, mon général, tout ce que j'eus à souffrir de ces tentatives, malgré l'attention et les soins de ma femme de chambre, on ne peut pas plus experte à pareil service. Enfin nécessité, mère de l'industrie, nous suggéra l'idée de retrancher de la chemise tout ce qui refusait de loger dans mon pantalon, c'est-à-dire le devant et le derrière, et de coudre la ceinture au corps même de la chemise, opération qu'exécuta ma bonne couturière avec une adresse merveilleuse et toute la décence possible. Il n'est sorte de calembours et de mauvaises plaisanteries qu'on n'ait faits là-dessus; et c'était un sujet à ne jamais s'épuiser, si votre générosité ne m'eût mis en état de faire désormais plus d'envie que de pitié. Je me moque à mon tour des railleurs, dont aucun ne possède rien de comparable au don que je reçois de vous.

Il n'y avait que vous, mon général, capable de cette bonne œuvre dans toute l'armée; car, outre que mes camarades sont pour la plupart aussi mal équipés que moi, il passe aujourd'hui pour constant que je ne puis rien garder, l'expérience ayant confirmé que tout ce que l'on me donne va aux brigands en droiture. Quand j'échappai nu de Corigliano, Saint-Vincent me vêtit et m'emplit une valise de beaux et bons effets, qui me furent pris huit jours après sur les hauteurs de Nicastro **. Le général Verdier et son état-major me firent une autre pacotille, que je ne portai pas plus loin que la Mantea, ou Ajello ***, pour mieux dire, où je fus dépouillé pour la quatrième fois. On s'est donc lassé de m'habiller et de

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me faire l'aumône, et on croit généralement que mon destin est de mourir nu, comme je suis né. Avec tout cela, on me traite si bien, le général Reynier a pour moi tant de bonté, que je ne me repens point encore d'avoir demandé à faire cette campagne, où je n'ai perdu, après tout, que mes chevaux, mon argent, mon domestique, mes nippes et celles de mes amis.

XLIV. A M. DE SAINTE-CROIX

A PARIS

Mileto, le 12 septembre 1806.

Monsieur, depuis ma dernière lettre, à laquelle vous répondîtes d'une manière si obligeante, il s'est passé ici des choses qui nous paraissent à nous de grands événements, mais dont je crois qu'on parlera peu dans le pays où vous êtes. Quoi qu'il en soit, monsieur, si l'histoire de la grande Grèce, durant ces trois derniers mois, a pour vous quelque intérêt, je vous envoie mon journal, c'està-dire un petit cahier, où j'ai noté en courant les horreurs et les bouffonneries les plus remarquables dont j'ai été témoin. Il est dificile d'en voir plus, en si peu de temps et d'espace. C'est M. de la Ch... qui se charge de vous faire parvenir ce paquet, que j'ai mis sous enveloppe avec mon cachet. Je vous demande en grâce que cela ne soit vu de personne.

Si les traits ainsi raccourcis de ces exécrables farces ne vous inspirent que du dégoût, je n'en serai pas surpris. Cela peut piquer un instant la curiosité de ceux qui connaissent les acteurs. Les autres n'y voient que la honte de l'espèce humaine. C'est là néanmoins l'histoire, dépouillée de ses ornements. Voilà les canevas qu'ont brodés les Hérodote et les Thucydide. Pour moi, m'est avis que cet enchaînement de sottises et d'atrocités qu'on appelle histoire ne mérite guère l'attention d'un homme sensé. Plutarque, avec

L'air d'homme sage,

Et cette large barbe au milieu du visage ",

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