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avant que la tératologie pût être créée, c'est-à dire, avant que les faits qui la composent pussent être coordonnés et compris, il fallait de toute nécessité que l'embryogénie eût révélé les véritables lois du développement des organes, et que l'anatomie comparée fût entrée dans cette direction nouvelle et philosophique où nous la voyons aujourd'hui marcher avec tant de succès et d'éclat.

C'est là un fait capital, et qu'il importe de poser dès le début de cet ouvrage. La tératologie est née après toutes les autres branches de la grande science de l'organisation, parce qu'elle devait emprunter à chacune d'elles l'une de ses bases. Elle constitue présentement un dernier progrès, préparé par les travaux de plusieurs siècles, mais qu'il n'était donné à aucune époque, la nôtre exceptée, de réaliser, et peut-être même de prévoir. Telle est, en effet, la marche constante de l'esprit humain : une découverte déjà faite est toujours le chemin d'une découverte nouvelle : chaque vérité arrive à son tour dans l'ordre des temps, comme dans une chaîne chaque anneau conduit à l'anneau qui le suit; et les sciences elles-mêmes se lient entre elles par des rapports de subordination, et, si je puis parler ainsi, de filiation, qui apparaissent quelquefois avec évidence, mais que souvent une analyse exacte peut seule révéler.

Ces rapports de filiation, essayons de les démêler et de les suivre au milieu des diverses phases qu'a présentées la tératologie; cherchons à apprécier l'influence qu'ont exercée sur elle les progrès successifs des autres sciences de l'organisation, subordonnées elles-mêmes aux idées générales, tour-à-tour superstitieuses et philosophiques, qui ont dominé dans chaque époque. Par là nous concevrons pourquoi la science des monstruosités, presque stationnaire pendant plusieurs siècles, a brillé tout à coup d'un vif éclat; pourquoi les mêmes découvertes ont été souvent

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faites à la fois par plusieurs auteurs, et sur plusieurs points de l'Europe; pourquoi, enfin, les conséquences de faits anciennement connus, après avoir échappé pendant long-temps à tous les anatomistes, sont devenues presque en même temps évidentes pour tous. Sans doute, par cette étude curieuse et instructive du passé, il nous sera donné de comprendre mieux l'état présent de la science; et d'entrevoir, peut-être même de hâter son avenir.

L'histoire de la science des monstruosités nous présente trois périodes, marquées par une tendance particulière des esprits, et que je vais chercher à faire connaître par leurs traits les plus saillans et les plus caractéristiques. .

Des observations vagues, incomplètes, recueillies au hasard; des ouvrages où l'on voit à peine briller une vérité utile au milieu de cent erreurs grossières; les plus absurdes préjugés admis sans hésitation, et de nouvelles preuves apportées sans cesse à leur appui ; des explications enfantées par la superstition, et toujours dignes d'une semblable origine: tels sont les tristes caractères de la première et de la plus longue des trois périodes dont j'ai à présenter le tableau.

Cette période, que l'on pourrait distinguer par le nom de fabuleuse, ne se termine pas au temps d'Ambroise Paré, comme on pourrait le conclure de remarques faites dans plusieurs ouvrages modernes. Tout le dix-septième siècle, et peut-être même les premières années du dix-huitième, doivent être rapportés à cette longue enfance de la science. Il est vrai qu'à cet époque, et même beaucoup plus tôt, la science possédait déjà quelques observations intéressantes (1); mais ce n'était là que de rares exceptions, aux

(1) La plupart ont été publiées dans les Éphémérides des curieux de la

quelles la plupart des anatomistes faisaient à peine attention, ou dont ils ne s'occupaient que pour donner du fait nouveau quelque explication ridicule ou bizarre, puisée dans les idées superstitieuses qui dominaient alors tous les esprits. En effet, pour les auteurs du dix-septième siècle, comme pour ceux des époques précédentes, les monstres sont des prodiges destinés à faire éclater la gloire de Dieu, ou des preuves de sa colère, présageant quelque calamité publique (1). D'autres, en admettant ces deux classes de monstres, en ajoutent quelques autres dues à l'opération du démon, qui peut, disent-ils, faire paraître monstrueux un enfant bien conformé, et même produire de véritables accouchemens monstrueux, soit en substituant au véritable enfant un monstre apporté d'ailleurs, soit en faisant glisser dans la matrice des causes de monstruosité (2).

par

On ne s'étonnera pas que, dominés de telles croyances, restes des superstitions du moyen âge, les auteurs du dix-septième siècle approuvent presque unanimement la barbarie des lois grecques et romaines qui condamnaient à mort les enfans affectés de monstruosité (3). Mais, ce qui

nature, et surtout dans l'Histoire et les Mémoires de l'ancienne Académie des sciences. On les trouvera toutes citées dans le cours de cet ouvrage. (1) On se plaisait alors tellement dans ces idées, seule philosophie de la science de cette époque, que plusieurs auteurs se sont amusés à les exprimer en vers. Je citerai comme exemples deux de ces maximes ou aphorismes versifiés, mais bien peu poétiques:

Portendit iram quodlibet monstrum Dei,
Monstrum omne belli tempore extat crebrius.

(2) Voyez FORTUNIO LICETI, plus connu sous le nom de LICETUS, Traité des monstres, pag. 251 et 252. Ce traité, publié pour la première fois en 1616, a été réimprimé avec des additions en 1634 et en 1665. Nous le citons ici et partout d'après la traduction française imprimée en Hollande en 1708.

(3) Les lois des douze tables ordonnaient à Rome la mort de tous

pourra paraître singulier dans le siècle éclairé où nous vivons, c'est de voir, dans quelques ouvrages du temps, ces lois, plus absurdes encore que cruelles, justifiées par de prétendues considérations philosophiques. Il est aussi impossible de ne pas éprouver quelque surprise lorsqu'on voit Jean Riolan, l'un des hommes les plus distingués de son époque, établir, comme une nouveauté hardie, que l'on peut se dispenser de faire périr les sexdigitaires, les macrocéphales, les géants et les nains, et qu'il suffit de les reléguer loin de tous les regards (1). Ainsi Riolan, en leur faisant grâce de la vie, les exile du moins de la société, n'osant pas se dérober entièrement au joug des préjugés et de la superstition qui pesaient sur ses contemporains. . Tels étaient l'esprit et les doctrines qui régnaient encore universellement au dix-septième siècle : telle était l'influence qui présidait alors aux observations et aux travaux sur la monstruosité. Les exemples que je viens d'indiquer suffisent sans doute pour donner une juste idée de cette époque et pour en exprimer le véritable caractère. Je crois inutile de puiser d'autres citations dans les anciens ouvrages, où les personnes qui se plaisent à ces recherches plus cu

les monstres. Plusieurs empereurs, entre autres Constantin, remirent en vigueur cette disposition d'une loi barbare, que les anciens Romains avaient empruntée aux Athéniens, et qu'ils appliquaient surtout avec une grande rigueur aux hermaphrodites.

(1) Quant aux monstres faits à l'image du diable, ajoute Riolan, il faut, si on les laisse vivre, les tenir constamment enfermés et cachés dans une chambre. Enfin il en est d'autres qui, moitié hommes et moitié animaux, font injure à la nature et au genre humain (naturæ et generi humano facit injuriam): ceux-ci doivent être au plus tôt mis à mort. Voyez, dans la dissertation De monstro nato Lutetiæ a. D. MDCV (Paris, 1605), le chapitre intitulé : An, Romanorum præcepto, monstra interfici debeant ?

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rieuses qu'instructives, peuvent trouver une foule de faits et de raisonnemens non moins singuliers.

La seconde période, dont le nom de période positive exprime assez bien le caractère général, comprend environ la première moitié du dix-huitième siècle. Son ensemble nous offre un spectacle beaucoup plus satisfaisant : les progrès vers le bien sont évidens. Sans doute, de fausses explications exercent encore leur fâcheuse influence sur les hommes les plus distingués de ce temps; sans doute, les préjugés du siècle précédent n'ont point encore entièrement disparu devant cet esprit d'examen et de sage critique qui forme l'un des caractères de l'époque suivante : mais déjà l'importance de l'observation commence à être comprise, et un grand nombre de faits sont recueillis avec soin et exactitude. A la vérité, la plupart des anatomistes qui se livrent à des recherches sur les monstres y sont portés moins par un véritable sentiment de leur utilité que par un intérêt né de la curiosité et de ce goût pour la nouveauté, qui est si naturel à l'homme. Habitués à la vue de certaines formes, n'apercevant pour ainsi dire dans tous les individus d'une même espèce qu'un seul et même individu, ils s'étonnent à l'apparition de ces formes insolites, de ces combinaisons nouvelles qu'il leur arrive quelquefois de rencontrer, et bientôt de l'étonnement ils passent à l'intérêt : ils se complaisent dans un spectacle tout nouveau pour eux, et nolent avec empressement toutes les différences, toutes les anomalies qu'ils observent. La science, qui profite de ces travaux, n'en est donc point le but réel: de tels observateurs ne sont point animés d'un zèle véritablement scientifiques; leurs sentimens, leur plaisir sont seulement ceux qu'éprouve en arrivant dans des montagnes escarpées, en apercevant autour de lui des traces de bouleversement, le

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