nomalies par excès, et participent ainsi en même temps des caractères des deux groupes que l'on voudrait établir. Ainsi, soit par les définitions qui leur servent de base, soit par les anomalies que comprend chacune d'elles, soit par le but que se proposait Buffon dans leur établissement, les trois classes admises par cet illustre naturaliste different également dans la réalité des trois groupes auxquels je viens de rapporter les anomalies groupes dont il serait absolument impossible de faire la base d'une classification, et dont la conception ne peut être utile que sous un point de vue général et purement théorique. DES LIMITES DES ANOMALIES, ET DE LEUR RÉDUCTION Les anciens anatomistes paraissent n'avoir pas même soupçonné que les anomalies de l'organisation pussent avoir des limites, et à plus forte raison, qu'elles fussent réductibles à des lois certaines et précises. Dans le seizième, dans le dix-septième et même encore au commencement du dix-huitième siècle, un auteur, trompé par de fausses apparences ou par un bruit populaire, n'avait pas plus tôt annoncé un fait paradoxal qu'il était admis par tous, toujours avec d'autant plus d'empressement qu'il devait paraître plus incroyable. On eût dit qu'alors la science avait pour but la recherche, non du vrai, mais du merveilleux. Souvent même lorsqu'un auteur avait donné d'un être monstruenx une de ces désignations vagues qui tenaient et alors lieu de descriptions, ses successeurs ne se faisaient aucun scrupule d'imaginer, d'après ces seules données, une figure que tous les ouvrages ultérieurs reproduisaient comme authentique, et il n'est pas jusqu'aux monstres nés dans l'antiquité, dont les portraits n'aient été ainsi plus d'une fois construits sur quelques mots vagues de Tite - Live, de Valère Maxime, ou d'un autre auteur d'une égale autorité scientifique. De là toutes ces fausses anomalies, tous ces faux monstres plus étranges les uns que les autres, et dont tous les anciens tératologues ont rempli leurs ouvrages (1), et cela jusque dans une époque où plusieurs sciences, et l'anatomie elle-même, riche déjà de plusieurs découvertes fondamentales, commençaient à s'avancer à grands pas dans la voie du progrès. SI. Des faux monstres. Le nombre de ces faux-monstres, créations bizarres et désordonnées, non de la nature, mais de l'imagination (1) Voyez les ouvrages de LYCOSTHÈNE et dé presque tous les autres tératologues anciens, sans excepter LICETUS lui-même.— Voyez aussi, parmi les auteurs qui ne se sont pas spécialement occupés de tératologie: PHLÉGON DE TRALLES, De rebus mirabilibus liber. - ISIDORE DE SÉVILLE, Origines, liv. XI.—SOLIN, Polyhistor., Paris, in-4o, 1503.VINCENT DE BEAUVAIS, Speculum naturale, dans le Speculum majus. BARTHEL, GLANVIL, De proprietatibus rerum. SCHOTT, Physica curiosa, sive mirabilia nat. et artis, liv. I à VI. — Depuis la rédaction de ce cha pitre, M. BERGER DE XIVREY vient de publier sous le titre de Tradi tions tératologiques (Paris, in-8°, 1836), un ouvrage dont la citation pourrait suppléer à celle de beaucoup d'autres recueils sur les faux monstres. L'auteur rapporte et souvent discute avec érudition presque tout ce que l'antiquité et le moyen-âge nous ont transmis de fables tératologiques. On doit aussi à ce savant commentateur d'avoir publié divers manuscrits dont plusieurs passages offrent un intérêt réel pour la science des anomalies. humaine, est si grand, qu'il est presque nécessaire, pour s'en faire une idée exacte, d'établir parmi eux une sorte de classification, et de les rapporter à cinq genres distincts. Les uns sont des objets évidemment fabriqués, à l'aide desquels d'adroits spéculateurs ont exploité la crédulité des savans de leur siècle. Ces monstres factices peuvent n'offrir qu'une réunion bizarre d'attributs de plusieurs espèces trèsdifférentes; mais le plus souvent ils étaient faits à l'imitation des êtres mythologiques. Tel était sans doute le Centaure qui, au temps de César, fut envoyé d'Arabie en Egypte, et d'Egypte à Rome, où on le voyait encore longtemps après dans le palais impérial (1). Telle était aussi, et d'une manière plus certaine, cette hydre à sept têtes que l'on montrait à Hambourg au commencement du xvIII° siècle, et dont Séba nous a transmis la figure (2). Enfin tels étaient aussi ces dragons qui furent à plusieurs époques offerts à différens princes ou exposés à la curiosité publique (3), et quelques uns de ces tritons et de ces sirènes (4) dont tant (1) Voyez PHLEGON, loc. cit., chap. 34. (2) Locuplet. rerum naturæ thesaurus, t. I, pl. CII. (3) Voyez DORFEUILLE, Dissertation sur l'existence des dragons, in-8°, Saint-Maixent, an VII. autres. (4) J'ai vu moi-même, il y a peu de temps, une sirène factice, précieusement conservée sur des coussins de velours et de soie par une personne qui l'avait acquise à très-haut prix : c'était un poisson dont une main adroite avait déformé plusieurs parties et changé quelques Au sujet de ces sirènes et tritons, on peut consulter entre autres auteurs: ALDROVANDE, Monstr. historia, p. 27 et suiv.-CHRESTIEN, Sur un homme marin, dans le Journ, des savans, avril 1672. · LEGENDRE, Traité de l'opinion, 2me édit., t. VI, p. 40; mais surtout DEMAILLET, Telliamed, éd. de 1748, t. II, p. 151. Tout le monde connaît le singulier système que cet auteur a fondé sur l'existence prétendue de femmes et d'hommes marins, et sur quelques autres argumens de même valeur.-Je dois d'ailleurs remarquer au sujet des histoires de sirènes et de tritons, données par divers auteurs, que si quelques unes d'auteurs assurent avoir constaté la merveilleuse exis tence (1). Plus souvent les indications et les figures des auteurs paraissent avoir pour sujets, non des monstres factices, mais des êtres purement imaginaires, ou inventés du moins à l'occasion d'individus dont les anomalies réelles n'offraient aucun rapport avec la conformation bizarre qui leur était attribuée. Ici se placent tous ces monstres moitié hommes et moitié animaux, ces monstres faits à l'image du diable, et tant d'autres dont on peut voir les hideux portraits dans tous les anciens recueils tératologiques (2). ou Un grand nombre d'antres monstres sont des êtres pourparaissent avoir pour sujets des monstres factices, la plupart sont relatives à des animaux marins, principalement à des lamantins ou à des dugongs, vus de loin par des voyageurs ignorans et amis du merveil· leux. Pour apprécier la valeur de leurs témoignages, il est curieux de consulter, entre autres ouvrages, le Journal des savans, avril 1672, la Coll. acad. étrangère, t. I, p. 268; où l'on donne le portrait fort ressemblant d'un homme pour celui d'un être marin qu'on avait à peine entrevu, ainsi qu'il résulte du texte même de l'observation. sur cette explication des sirènes et des tritons, indiquée déjà depuis plus d'un siècle par divers auteurs, CUVIER, qui l'a le premier établie dans ses Recherches sur les ossem. fossiles, t. V, 1re part. (ame éd.), p. 240. On peut consulter aussi l'article Lamantin, que j'ai moimême publié dans le Dict. class. d'hist. nat., t. IX, p. 178 et 179. Voyez (1) On peut mettre aussi au rang des monstres ou du moins des êtres anomaux factices, les coqs cornus par implantation artificielle d'ergots sur la tête. Il y a très-long-temps que cette sorte d'ente animale, dont j'ai vu moi-même plusieurs exemples, est connue et pratiquée. Voyez, par exemple, VALLISNERI, Opere fisico-mediche, t. II, p. 76.-Il n'est pas inutile de remarquer, au sujet des monstres factices, qu'il s'en fait encore presque chaque année. J'en ai vu un assez grand nombre fabriqués avec plus ou moins d'habileté. Le plus remarquable est le chat à huit pattes qui a trompé Rudolphi lui-même. Voyez plus haut, p. 27. Voyez aussi un autre exemple, t. II, p. 264. (2) Les auteurs les représentent même quelquefois comme ayant vécu. Voyez dans plusieurs ouvrages, et notamment dans celui d'Az vus d'anomalies réelles, dont l'ignorance, et plus souvent le charlatanisme, ont, en les décrivant ou les figurant, changé la nature et accru l'importance pour en augmenter l'intérêt. Ainsi on ne peut douter que des rhinocéphales et d'autres monstres à trompe n'aient été changés par les préjugés populaires en des enfans à tête d'éléphant. De même, des poules à mandibules imparfaites sont plus d'une fois devenues des poules à visage humain (1); et ainsi d'une multitude d'autres exemples (2). Dans beaucoup de cas aussi les auteurs font mention d'animaux d'une espèce nés dans une autre, soit que l'on ait attribué une origine singulière à des êtres normaux, soit que les anomalies de certains sujets les eussent fait prendre pour des individus d'une autre espèce. C'est ainsi que tous les anciens tératologues font mention d'enfans nés, de divers animaux, mais surtout d'animaux nés de femmes : on aurait, par exemple, vu naître dans notre espèce des chiens, des lions, des rats, des souris, des pigeons, des canards, des crapauds, des saumons, et jusqu'à des licornes (3). DROVANDE, loc. cit., p. 653, l'indication et même la figure d'un moine à deux corps, l'un normal, l'autre surmonté d'une tête de chien. - (1) J'en ai même trouvé plusieurs indiquées dans le Chan hay king. - Voyez aussi le Journal der Chirurgie de Græfe et Walther, t. XIII, 2 me cahier, ou la Gazette médicale de Paris, dans son premier numéro; d'après FISCHER, Opisan, kurizu, etc., in-8o, Moscou, 1815. (2) Quelques anomalies de la peau semblablement exagérées ont sans doute donné lieu à l'idée d'enfans nés avec des manteaux, des chemises, etc. On en trouve de tels dans presque tous les anciens ouvrages de tératologie; voyez par exemple ALDROVANDE, loc. cit. p. 582 et suiv.; SCHENCKIUS, Monstr. histor. memor., p. 86, etc.; et aussi BRUCHET, Sur un enfant monstrueux né avec une chemise et un bonnet, dans le Journal des savans, décembre 1683, et la Coll. acadé mique, t. I, p. 297. (3) Voyez JACOBEUs, dans les Act, de Copenhague, année 1674 et 1675, obs. 59. |