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moins paraissent à ceux qui les décrivent, trop dénuées d'incidens. L'état d'un berger, ou d'une personne livrée tout entière aux occupations de la campagne, est rarement exposé à ces accidens, à ces révolutions qui jettent sur une situation beaucoup d'intérêt, de surprise ou de curiosité. Sa vie est constamment uniforme. On conçoit que la politique ou l'intrigue ne sont pour rien dans son ambition ou dans ses amours. Aussi de tous les poëmes, l'églogue est le plus pauvre en sujet, et le moins varié dans son exécution. Les premières lignes nous font presque toujours deviner ce qui doit suivre. Ou c'est un berger qui s'assied solitaire au bord d'un ruisseau, pour déplorer l'absence ou la cruauté de sa maîtresse, et nous dire que depuis qu'elle a quitté le canton les feuillages sont flétris, les fleurs n'ont plus d'éclat; ou ce sont deux bergers qui, par suite d'un défi, chantent alternativement quelques vers assez ordinairement dépourvus de sens; le juge les récompense tous les deux, en donnant à l'un'une belle houlette, à l'autre une coupe de bois de hêtre. C'est à de tels lieux communs, toujours rebattus par les auteurs d'églogues, depuis Théocrite et Virgile, qu'il faut attribuer en grande partie l'insipidité presque inséparable de la poésie pastorale.

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Je demanderai cependant s'il ne faudrait pas plutôt attribuer cette fadeur à la faute des poètes qui se sont bornés à une triste et servile imitation des pastorales anciennes, qu'à la nature trop aride des sujets qu'on peut y traiter. Car pourquoi ce genre de poésie ne serait-il pas susceptible de plus de développement? La

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nature de l'homme et ses passions sont à peu près les mêmes dans toutes les conditions de la vie; et toutes les fois que ces passions agissent sur des objets qui rentrent dans le cercle des idées champêtres, elles peuvent fournir des sujets heureux à la poésie pastorale. L'on ferait bien, il est vrai, d'en éloigner ce qu'elles ont de violent et de cruel dans leurs effets, et d'y présenter seulement ce qu'elles ont de compatible avec l'innocence, la simplicité, la vertu. Dans ces limites, un observateur judicieux de la nature trouverait encore une carrière assez vaste ouverte à son génie. Ces événemens divers où les habitans des champs trouvent l'occasion de déployer leur caractère et leurs mœurs, les scènes de bonheur ou de chagrin domestique, la tendresse des amis et des frères, les rivalités et les prétentions des amans, le succès ou le malheur inattendu des familles sont une source de mille incidens pleins de charme ou d'intérêt, qui seraient plus susceptibles encore d'attacher le lecteur, si l'on mêlait aux descriptions que comporte cette espèce de poésie un plus grand nombre de récits auxquels une douce sensibilité donnerait de la chaleur et de la vie. (1)

L'on regarde Théocrite et Virgile comme les pères de la poésie pastorale. Théocrite était Syracusain; et

(1) Ces observations sur la stérilité ordinaire des églogues étaient écrites avant qu'une traduction fit connaître en Angleterre les idylles de Gessner, dans lesquelles mes idées sur le perfectionnement dont ce genre de poésie est susceptible, se trouvent réalisées.

comme toutes les scènes de ses églogues se passent dans sa patrie, la Sicile devint, après lui, en quelque sorte la terre classique et consacrée de ce genre de poésie. Ses idylles, comme il les a intitulées, n'ont pas toutes un mérite égal, toutes n'appartiennent même pas à la poésie pastorale, et quelques-unes sont des poëmes d'un genre tout-à-fait différent. Dans celles que l'on peut véritablement considérer comme des pastorales, on découvre un grand nombre de beautés supérieures. Il y règne une admirable simplicité dans les sentimens, beaucoup de douceur et d'harmonie dans les vers, et une grande richesse dans les descriptions. C'est l'original qui servit de modèle à Virgile; les traits les plus remarquables des églogues du poète latin sont empruntés à Théocrite; quelquefois même il n'a fait que le traduire. Il faut dire, cependant, qu'il a imité en poète habile, et que souvent même il a surpassé son modèle; car on ne saurait s'empêcher de reprocher à Théocrite d'avoir quelquefois des idées trop basses ou trop grossières, et de prêter à ses bergers un langage peu modeste; tandis que Virgile a su éviter une rusticité choquante, et conserver partout le caractère de la simplicité des champs. Il y a entre Virgile et Théocrite la même distinction à faire qu'entre la plupart des auteurs grecs et romains. Les Grecs ont ouvert la route, et, en suivant de plus près la nature, ont montré plus de génie original; les Romains, plus corrects et plus polis, ont mis plus d'art dans leurs compositions. Il nous est resté quelques fragmens de deux autres poètes grecs qui ont écrit avec beaucoup de talent dans le genre pastoral,

Moschus et Bion. On n'y retrouve peut-être pas la simplicité de Théocrite, mais il y a plus de sensibilité et de délicatesse.

Nos poètes modernes, dans leurs pastorales, se sont généralement contentés de copier ou d'imiter les descriptions et les sentimens des poètes anciens. Il est vrai que Sannazar, célèbre poète latin du siècle de Léon x, tenta une innovation hardie; dans ses églogues, au lieu de bergers, il fit parler des pêcheurs, et transporta la scène du milieu des bois sur les bords de la mer. Mais cette innovation fut si malheureuse, qu'elle n'eut point, d'imitateurs. En effet, la vie des hommes livrés à la pêche est évidemment plus dure que celle des bergers, et présente à l'imagination moins d'images agréables. Les troupeaux, les arbres et les fleurs sont des objets plus gracieux, et qui plaisent plus généralement que les poissons et les productions de la mer. M. Gessner, originaire de la Suisse, est de tous les poètes modernes celui qui a écrit des pastorales avec le plus de succès; on trouve dans ses idylles un grand nombre d'idées neuves, les situations en sont frappantes et les descriptions pleines de vie. Il nous présente la vie pastorale embellie de tout ce qui peut lui prêter des charmes, sans jamais aller jusqu'au raffinement. Son principal mérite est d'avoir su parler au cœur; il a enrichi ses sujets d'incidens qui lui ont fourni l'occasion de développer les sentimens les plus doux et les plus tendres. Quelles charmantes peintures il nous donne du bonheur domestique ! Il exprime de la manière la plus touchante l'affection réciproque des époux, des parens et

des enfans, des frères et des sœurs, des amans et de leurs maîtresses. Étranger å la langue dans laquelle M. Gessner a écrit, il ne m'appartient pas de juger de sa poésie; mais il me semble que pour le sujet et la conduite de ses pastorales, il s'est élevé bien au-dessus de tous les poètes modernes.

Les pastorales de M. Pope, ainsi que celles de M. Philips, font assez peu d'honneur à la poésie anglaise. M. Pope était fort jeune lorsqu'il composa les siennes, ce qui peut excuser bien des fautes, mais non la stérilité qu'on y remarque. La poésie en est douce et harmonieuse, et c'est leur plus grand mérite; car on y trouve à peine une pensée qui appartienne véritablement à l'auteur; les descriptions, les images n'ont rien d'original, c'est une continuelle répétition des tableaux que nous ont laissés Virgile et ceux des poètes anciens qui ont écrit sur la vie champêtre. Philips a tâché de paraître plus naturel et plus simple, mais il n'a assez de génie ni pour soutenir ses efforts ni pour écrire avec grâce. Il reproduit aussi tous les lieux communs rebattus par ses prédécesseurs; et pour vouloir être simple, il devient quelquefois insipide et plat. Ce ne fut pas une petite rivalité, que celle qui s'établit entre ces deux auteurs, lorsqu'ils publièrent leurs pastorales. Un journal montra pour Philips une grande partialité, et lui prodigua des louanges: M. Pope, pour se venger de cette préférence, fit insérer dans la même feuille un article, où, feignant d'exalter le mérite de Philips, il lui prodigue des éloges ironiques, lui lance les traits les plus aigus de la satire, et, par le détour le plus adroit,

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