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LECTURE XLII.

DE LA POÉSIE ÉPIQUE.

IL nous reste à parler des deux espèces de poésie genre le plus élevé la poésie épique et la poésie dramatique. Je commence par la poésie épique. Nous emploierons cette Lecture à en faire connaître les principes généraux; nous examinerons ensuite le caractère et le génie des poètes épiques les plus célèbres.

L'on convient généralement que le poëme épique est le poëme du genre le plus noble et le plus élevé, mais en même temps celui dont l'exécution est le plus difficile. Inventer une action faite pour plaire au lecteur, pour l'instruire et pour l'intéresser; créer des incidens qui y soient bien liés et bien assortis; l'animer par une grande variété de caractères et de tableaux, et pendant tout le cours d'un long ouvrage soutenir cette dignité dans les sentimens, et cette élévation dans le style que demande la poésie épique, c'est incontestablement le plus grand effort du génie poétique. Aussi, les essais en ce genre ont été si rarement heureux que les critiques sévères ne veulent donner le nom de poëme épique qu'à l'Iliade et à l'Énéide.

Il faut avouer qu'il n'est pas de sujets sur lequel les critiques aient déployé plus de pédanterie. Ils ont su, par de ridicules et fastidieuses dissertations fondées sur une soumission aveugle à l'autorité, donner au sujet

le plus simple un air si mystérieux, qu'il est devenu fort difficile pour un grand nombre de lecteurs de bien concevoir ce que c'est qu'un poëme épique. Selon la définition de Le Bossu, c'est un discours inventé avec art, uniquement pour former les mœurs des hommes, au moyen d'instructions déguisées sous l'allégorie d'une action importante, racontée en vers. Cette définition conviendrait à plusieurs fables d'Ésope, si elles avaient plus d'étendue, et qu'elles fussent versifiées. Aussi, pour la développer, le critique ne manque pas d'établir un parallèle régulier entre le plan des fables d'Ésope et celui de l'Iliade. L'auteur d'une fable ou d'un poëme héroïque, dit-il, doit avant tout choisir la maxime ou le point moral que son ouvrage est destiné à inculquer. Ensuite il invente une histoire générale ou une série de faits qu'il ne rattache à aucun personnage, mais qu'il juge les plus propres à jeter du jour sur la morale qu'il a choisie. Enfin il particularise son histoire, c'està-dire, que s'il veut composer une fable, il met en scène son chien, son mouton ou son loup; s'il veut écrire un poëme épique il cherche dans l'histoire les noms dés héros qui conviennent le mieux aux rôles qu'il a à distribuer, et son plan se trouve achevé.

Mais voici l'idée la plus pauvre et la plus ridicule qui soit jamais entrée dans l'esprit d'un critique. Homère, ajoute encore le P. Le Bossu, voyait la Grèce partagée en un grand nombre d'états indépendans, obligés souvent de se réunir contre leur ennemi commun. Dans cette situation politique, l'instruction la plus utile qu'il pût leur donner, était de les bien per

suader que la mésintelligence entre les princes amenerait la ruine générale. Pour donner plus de force à son instruction, il imagina ce plan d'histoire plusieurs princes formèrent une confédération contre leur ennemi; celui qu'ils avaient nommé leur chef outragea l'un des plus fermes soutiens de la confédération, qui se retira en refusant de prendre part à l'entreprise. Cette discussion fut la source de grands malheurs, jusqu'au moment où le prince offensé, témoin de ce que souffrait l'armée, oublia ses ressentimens et se récon→ cilia avec le chef suprême; la défaite complète des ennemis fut le fruit de cette réunion. Ce plan général, une fois formé, dit toujours notre critique, il importait peu qu'Homère, pour le remplir, se servît de noms d'animaux, comme a fait Ésopé, ou de noms d'hommes; il eût été également instructif; mais comme il préféra des héros, il choisit la guerre de Troie pour être le théâtre de sa fable, il supposa que son action s'y était passée, il nomma Agamemnon le chef des princes confédérés, et Achille fut le nom du prince offensé : voilà comme il créa l'Iliade.

De quelle crédulité ne doit-on pas être doué pour se persuader qu'Homère avait travaillé sur un tel plan! L'on peut affirmer avec confiance qué le poète qui suivrait cette méthode, c'est-à-dire, qui disposerait son sujet pour développer une vérité morale, avant d'avoir songé aux personnages qui doivent concourir à l'action, écrirait peut-être avec succès quelques fables pour des enfans, mais que s'il entreprenait de composer un poëme épique, il s'en tirerait de manière à ne trouver

qu'un bien petit nombre de lecteurs. Il n'est aucune personne de goût qui puisse mettre en doute que le choix d'un héros ne doive avant tout fixer l'attention du poète épique, et que ce n'est qu'après ce choix qu'il puisse déterminer la fable qui sera le sujet principal du poëme. Le poète, en effet, ne songe pas à établir en philosophe le plan d'un traité moral; son génie s'enflamme à l'idée d'une action qui lui paraît à la fois noble, grande, intéressante et digne d'être célébrée par la plus riche et la plus haute poésie. Il n'est aucun sujet de cette espèce qui n'emporte naturellement avec lui quelque instruction morale; et celle indiquée par Le Bossu se trouve incontestablement dans l'Iliade, et peut même être regardée comme la fin morale du poëme; mais il est une autre fin que l'on en peut déduire tout aussi naturellement, et qui, avec autant de raison pour le moins, doit être regardée comme la morale de l'Iliade: c'est que la Providence prend le parti de ceux qui ont souffert une injure, mais qu'elle sait aussi les punir eux-mêmes lorsqu'ils poussent trop loin leur ressentiment. Le sujet du poëme est la colère d'Achille excitée par l'injustice d'Agamemnon. Jupiter venge Achille en favorisant les armes des Troyens, mais Achille est puni, par la perte de son ami Patrocle, d'avoir persisté trop long-temps dans son ressentiment.

On peut donc définir d'une manière plus simple le poëme épique en disant que c'est le récit poétique d'une entreprise illustre. Cette définition est aussi exacte qu'elle peut l'être. Outre qu'elle s'applique à l'Iliade, à l'Énéide et à la Jérusalem, les trois poëmes épiques les

plus réguliers que nous connaissions, elle fait rentrer dans le genre de l'épopée plusieurs autres poëmes justement célèbres que la critique des pédans seule pouvait en exclure, parce qu'ils ne sont pas exactement modelés sur ceux d'Homère, de Virgile et du Tasse. On peut donner des définitions et des descriptions exactes de minéraux, de plantes et d'animaux, on peut les distribuer avec précision en différentes classes, parce que la nature leur a donné des caractères sensibles et invariables qui nous aident à rapprocher les espèces analogues. Mais il est absurde de vouloir mettre la même précision dans la définition et le classement des productions du goût et de l'imagination. Ici la naš ture n'a posé ni étendard ni limite, et la beauté peut s'y reproduire sous mille formes diverses. La critique appliquée à de semblables détails, n'est plus qu'un vain étalage de mots. Aussi je ne crains pas de placer sous la même dénomination que l'Iliade et l'Énéide des poëmes comme le Paradis perdu de Milton, la Pharsale de Lucain, la Thébaïde de Stace, Fingal et Témora d'Ossian, la Louisiade du Camoëns, la Henriade deVoltaire, le Télémaque de Fénelon, le Léonidas de Glover, l'Épigoniade de Wilkie. Quoique tous n'approchent pas également de la perfection d'Homère et de Virgile, tous sont incontestablement des poëmes épiques, c'està-dire, des récits poétiques d'actions illustres, seule définition qui convienne à l'épopée.

Bien que je ne veuille en aucune manière convenir qu'un poëme épique soit essentiellement allégorique, c'est-à-dire que ce soit une fable inventée pour déve

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