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rigueur de la destinée ne voulait pas qu'il s'installât solidement jamais, c'était pour demander des secours à l'art médical et fuir en toute hâte vers les montagnes du Dauphiné, où les eaux thermales allaient être impuissantes à rétablir l'équilibre que le mal faisait pencher chaque jour de son côté. Tout portait donc à pressentir l'imminence d'une catastrophe, et il ne devait plus nous être donné d'entendre cette voix puissante, qui nous avait fait ses adieux, le 26 mai 1858, dans la traduction de quelques pièces échappées à la muse des poëtes couronnés du Céleste-Empire. Nous devions rester sous l'impression de ces nouveautés exotiques dans la vie académique de notre président sortant, le talent et l'activité ne connurent pas de lacune, et il n'était réservé à aucune production faible de trahir cette dégénérescence qui avertit, quelquefois trop tard, l'écri– vain de songer à la retraite. Heureuse compensation, qui pourrait jusqu'à un certain point adoucir ce qu'il y a de cruel dans cette fin prématurée, venant interrompre tout à coup un labeur utile, qui ne demandait plus que quelques années, pour voir resplendir le couronnement, au sommet de l'édifice. Mais que parlé-je d'œuvre inachevée ? La liste des publications de notre confrère ne suffit-elle pas à fonder solidement sa réputation et à recommander son nom à la mémoire de la postérité? Quelques pages de plus, quelques distinctions nouvelles n'auraient rien ajouté à ses titres; quelques années de plus n'auraient pas permis de réparer à son égard l'injustice des hommes. Il était trop tard pour reprendre une carrière brisée et empêcher que le monde officiel, privé de son concours glorieux, pût dire à son sujet, non sans amertume:

Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre.

Non, la journée du 4 février 1860 n'a rien changé à

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l'illustration de notre confrère, elle a plutôt servi de point de départ à sa renommée, elle a permis d'inventorier les richesses de sa veine et de ses incessants labeurs, de raconter les succès et les services du magistrat, calomnié par les cabales de la concurrence et de l'ambition, de dérouler quelques pages de cette Vie judiciaire, si accablante pour ses persécuteurs, et qu'il a eu la générosité d'omettre toujours dans la nomenclature de ses œuvres, en signe de pardon à ses ennemis. Après s'être justifié, parce qu'on l'avait traité comme un coupable, il a gardé quatorze ans, sans plus se plaindre, cette blessure toujours saignante dans le fond de son cœur. Retiré du monde, il voulait bannir à jamais le souvenir de ses déceptions, de ses promesses et de ses haines, et circonscrire le reste de ses jours dans ces frais vallons de Cessy, propices à l'inspiration et au perfectionnement esthétique, en présence des beautés de la nature, si frappantes dans les sites du pays de Gex.

Rura mihi et rigui placeant in vallibus amnes,
Flumina amem sylvasque inglorius. O ubi campi.
Sperchiusque et virginibus bacchata lacanis
Taygete! O quis me gelidis in vallibus Hæmi
Sistat et ingenti ramorum protegat umbrâ.

(Virg., Georg., lib. 1, v. 485-9.)

Oh! qu'ils viennent dans ces contrées,
Ceux que l'ambition dévore sourdement,
Dont la soif des honneurs fait le secret tourment;
Qu'ils viennent de ces monts les brises éthérées
Verseront dans leur âme un précieux calmant.
En reposant à l'ombré des grands chênes,
Ils sentiront bientôt de leurs brillantes chaînes
Le poids devenir plus léger;

Et, nouveaux Bajazets, leur ardeur inquiète

S'apaisera sans doute au son de la musette

De quelque insoucieux berger.

(Le Pays de Gex.

Gerbe littéraire, p. 73-4.)

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C'est là que la mort est venue visiter notre confrère, sinon plein de jours, du moins plein de fructueuses études et de sentiments de résignation et de foi. Une expression de sérénité resplendissait encore sur cette physionomie si bienveillante, longtemps après que la dernière heure avait sonné. C'était comme une prolongation accordée pour les suprêmes adieux. On eût dit l'extase d'un de ces pieux solitaires de l'Arye, qui se retiraient loin du monde, s'en remettant à la Providence de leur vie matérielle, et qui, au milieu du silence et de la prière, s'abîmaient dans la contemplation de la Divinité, pour s'absorber finalement en elle. Ainsi vous avez sans doute fait, excellent confrère, et la meilleure partie de vous, celle qui enfantait ces œuvres que vous nous laissez pour modèles et pour consolation, s'est envolée vers ces demeures éternelles où s'accomplit la fusion suprême des races, loin des dissentiments d'intérêt, de coutumes et de langage, et au sein desquelles, c'est le vœu que nous formons, comme le vieux père d'Yaznadate, vous ne nous oublierez pas :

Tân lokan mad' anudyâtô

yâhi, tu pitar, çâçwatân.

(Valmiki, Ramaïde,

Yajna-datta

bádo pâkyânam, sl. 85).

Hosce locos, præses, nostrî? memor,ito perennes.

Pars, sans nous oublier, pour ce monde meilleur !
Monte... au divin séjour de l'éternel bonheur.

(Trad. de Guerrier de Dumast.

Fleurs de l'Inde, p. 60).

Gaspard BELLIN.

DES TRAVAUX

DE LA SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE DE LYON

Pour l'année' académique 1857-58

LU AUX SEANCES DES 18 MAI ET 2 JUIN 1859

Par M. GASPARD BELLIN

Secrétaire.

(Extrait du Moniteur Judiciaire de Lyon)

MESSIEURS.

C'est une heureuse pensée qui inspira nos fondateurs, lorsqu'ils arrêtèrent que chaque année devrait se terminer par un coup d'œil rétrospectif sur les travaux de la Société. Ainsi done, nous aussi, dans cette cité industrielle et positive, nous devons dresser périodiquement l'inventaire de nos richesses et nous soumettre à nous-mêmes l'état de notre situation, obligation d'autant plus douce à remplir que nous n'avons pas de déception à redouter sur ce terrain le bilan de chaque année se clot pour nous invariablement par un bénéfice. Ce bénéfice, c'est le plaisir de savourer, en une seule séance, comme le fruit de toutes les séances de l'année qui vient d'expirer. Appelé par vos suffrages à constater la trace de vos travaux, au moment où ils se produisent à la discrète lumière de nos réunions,

un devoir plus solennel de ma charge veut qu'aujourd'hui je déroule à vos yeux les pages encore fraiches de nos registres, et que je butine dans le porte-feuille de chacun, pour offrir ensuite à vos regards les beautés qui sont écloses sous les auspices d'une communauté de goûts et d'affections. Les talents, comme toutes les facultés de l'homme, ont besoin d'une impulsion qui les mette en œuvre, et ce sont les corps savants qui ont pour mission de donner le branle à l'exercice des plus nobles aptitudes de l'intelligence humaine.

A l'imitation de ses devancières, l'année 1857-58, dont nous venons vous présenter le bilan, Messieurs, s'est ouverte par quelques paroles de gratitude et d'encouragement émanées de la présidence. M. M.-A. Péricaud, appelé par vos suffrages à ce poste, qui lui revenait par droit d'ancienneté et aussi par l'autorité de son expérience, a inauguré vos travaux. Il vous a entretenus de ces traditions, héréditaires dans les corps savants comme dans les cités, et dont le dépôt est confié à la mémoire de ceux qui, par un heureux privilége, assistent sans vieillir aux destinées de plusieurs générations, dont ils sont comme les témoins véridiques et les conseillers bienveillants. A ce titre, mieux que personne, M. Péricaud pouvait vous retracer l'état de l'esprit public, lors de la fondation de notre Société, en 1807.

Après avoir esquissé à grands traits les dures épreuves imposées à l'enseignement de la jeunesse par la crise politique qui termina le dernier siècle, l'orateur nous a fait assister au réveil des études libérales en France, sous la direction de trois hommes de lettres échappés à la tourmente révolutionnaire: La Harpe, Lacretelle et Chateanbriand. La Harpe retrouvait un nombreux auditoire, merveilleusement disposé à l'admiration des chefs-d'œuvre du XIXe siècle, par le contraste des dernières années où, suivant

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