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Il faut le dire, cette épithète d'école de 93, si souvent décernée aux doctrines démocratiques, n'est pas seulement erronée, elle est encore ridicule. 93 traversa d'autres circonstances, mais n'eut pas d'autres doctrines que 89. Il n'y eut pas pendant cette tourmente de nouveau symbole. L'égalité, la sympathie pour l'humanité, sans distinction de classes, appartiennent à la révolution tout entière, et non pas à l'une de ses phases; c'est à leur trouver un mode d'application que la France a consacré quarante années; et, chose remarquable, la Montague seule, absorbéé par le combat, n'a pas fourni son contingent à ce travail. Son utopie, à elle, a été ajournée à la paix, et n'a jamais reçu sa réalisation. A peine, comme curiosité historique, pouvons-nous la chercher dans quelques discours de Robespierre, empreints d'une philosophie mystique assez élevée, et dans un écrit où SaintJust paraît trop préoccupé de l'antiquité pour songer sérieusement à constituer son pays.

Quant aux violences, alors comme de nos jours, elles n'ont été formulées en doctrine par personne. Conséquence rigoureuse d'une guerre acharnée, le fait révolutionnaire n'a été considéré par qui que ce soit comme le beau idéal d'un gouvernement régulier. Divisés sur le point de savoir quand et comment devait se terminer la crise, les conventionnels étaient du moins d'accord sur ce point qu'il fallait en sortir le plus tôt possible. Ceux même qui employaient avec le plus de vigueur les armes dont cette sanglante transition réclamait l'usage auraient frémi si on la leur eût montrée comme un état permanent, assiette hideuse du peuple français. Le supplice de Chaumette et d'Hébert en est la preuve. Il faut donc, sous tous les rapports, reléguer l'école de 93 au nombre des non-sens, car nul ne saurait montrer le corps de doctrines dont on prétend connaître un si grand nombre d'adeptes.

Mais, dans l'impossibilité de soutenir cette absurde fantôme, on essaie, à défaut de nos doctrines, d'inculper nos sympathies. On s'empare des aveux des patriotes, et parce qu'ils ne veulent

effacer aucune époque de nos annales on les transforme en admirateurs exclusifs de la terreur. Ce déplorable abus de mots n'est pas rare, et, qui plus est, il trouve encore des dupes. Un journal bien connu ose même, aux applaudissemens des badauds, diviser les républicains d'aujourd'hui en girondins et en montagnards, et déclarer que les derniers sont seuls conséquens, parce que la violence est nécessaire pour faire de la France une république.

C'est cependant chose étrange que de vouloir associer des hommes aux passions d'une époque qu'ils n'ont point vue! Autant vaudrait chercher parmi nous des Guelfes et des Gibelins; ou nous contraindre à nous prononcer entre Mazarin et la Fronde! Mais aucune absurdité ne coûte aux défenseurs des priviléges, et celle-là n'est pas plus grossière que beaucoup d'autres.

Disons-le cependant, puisqu'il est besoin de le dire, les admirateurs exclusifs de la Montagne sont encore une chimère, créée par les rétrogrades; nous sommes, quant à nous, admirateurs de la révolution tout entière; nous trouvons ce grand mouvement digne de notre enthousiasme, parce qu'il était utile dans tout son ensemble, et nous comprenons que, si la Montagne avait reculé devant sa terrible mission, la cause du progrès aurait été perdue. Mais, par cela même que l'on étudie aussi largement l'histoire, on ne saurait s'affilier par la pensée à aucune faction du passé.

Et, en effet, parmi les hommes sincères qui se sont associés à notre régénération, si beaucoup se sont trompés; s'ils se sont attaqués autrefois et détestés outre mesure; s'ils ne se sont pas compris entre eux, en sont-ils moins dignes d'estime aux yeux de notre génération qui partage leurs sentimens les plus généraux, sans entrer dans leurs passions d'un jour? Est-il, excepté la faction qui défendait les priviléges par égoïsme, est-il un groupe d'hommes, formant parti, qui n'ait été mu par le désir de servir la cause publique? Constitutionnels, girondins, montagnards, tous ont eu leur tems, tous ont eu leur part au

progrès, tous ont mis la main au grand œuvre, et tous aussi ont commis des fautes, parce que chacun d'eux ne pouvait voir et ne voyait qu'un coin du grand tableau, que l'avenir seul, de son large point de vue, pourra embrasser dans son ensemble. Nous les jugeons, nous, mais nous ne prenons pas parti entre eux.

Nous comprenons les constitutionnels s'élançant dans l'arène avec l'amour du bien public et l'enthousiasme des lumières philosophiques; essayant, sans expérience des faits, une œuvre sociale que le tems pouvait seul achever, et s'indignant contre ceux qui doutaient de leur chef-d'œuvre et voyaient un rouage dangereux dans une royauté antipathique et mensongère. Nous comprenons leur confiance malheureuse dans les sermens de cette royauté qu'ils ont pu détruire, et qu'un vieux respect traditionnel leur a fait conserver.

Nous comprenons les girondins, philosophes plus jeunes et plus bourgeois, tirant les conclusions logiques de l'œuvre de leurs devanciers, et, quand le trône refuse de défendre la nation, renversant le trône pour assurer le salut public; nous les comprenons lorsque, tout entiers aux théories, ils se méprennent sur les événemens, et espèrent vaincre toutes les difficultés par la puissance de leurs principes, se séparant avec une imprudente légèreté d'hommes d'action dont les patriotiques colères leur paraissent peu philosophiques, et dont l'aspect annonce plutôt le combattant échauffé que le législateur drapé à l'antique.

Nous comprenons aussi les montagnards; parti énergique qui, seul, n'a jamais désespéré du pays. C'est même avec un véritable orgueil national que nous étudions, dans leur histoire, les ressources que produit le désespoir d'une grande nation. Admirable spectacle, en effet, que celui de ces hommes tour à tour vaincus ou vainqueurs, mais refusant inébranlablement de transiger avec les ennemis de la France et de la civilisation! de ces hommes, qui, sortis du peuple, n'ont jamais désavoué leur origine et qui, au contraire, en faisant passer l'égalité dans les mœurs, out fondé le principe de notre nouveau droit social sur une base

indestructible! de ces hommes, en un mot, qui ont sauvé le pays aux dépens de leur repos, de leur vie, de leur renommée même! Admirable spectacle, surtout, que celui du petit groupe de républicains ardens et incorruptibles serrés autour de Robespierre; détestant l'anarchie et osant s'en servir; aimant l'ordre et sachant le sacrifier momentanément pour conquérir la liberté; avides seulement de réunir ces deux grands biens d'un peuple civilisé et de les asseoir sur la vertu !

C'est assez dire que pour nous la révolution n'est pas dans tel ou tel parti, dans telle ou telle période de tems, dans telle ou telle forme positive. Elle est dans un petit nombre de principes reconnus aujourd'hui de tous dans l'amour du peuple, dans la conscience énergique du droit et des devoirs de chacun, et dans la gloire de la France, non pas conquérante, mais civilisatrice et placée, quoi qu'on en dise, à la tête de cette grande propagande des idées qui labourera le monde! Aussi notre vive sympathie pour notre régénération sociale ne peut-elle pas nous détourner de la plus rigide impartialité. L'hommage que nous rendons à la stoïque vertu de Saint-Just n'a rien d'outrageant pour Bailly, marchant au supplice; non plus que les éloges décernés par nous au sage maire de Paris ne sauraient laver à nos yeux le sang versé par la loi martiale au Champ-deMars! Et où se réfugierait donc l'impartialité si elle désertait jamais le domaine de l'histoire? - C'est la surtout qu'elle peut dire la vérité à tous sans nuire à des intérêts vivans, sans entraver l'élan de passions généreuses; c'est là qu'elle ne se rapproche jamais du genre de modérantisme couard, où, faute d'impulsion forte, se plongent les partis du milieu!

Et voilà ce qui rend si ridicules les accusations portées contre ceux qui cherchent la vertu et la gloire dans tous les tems, et qui savent les reconnaître même sous la toge du proconsul. Certes de ce que nous ne voyons pas dans les événemens tant controversés de la terreur une boucherie de cannibales, une orgie de démagogues ivres, un étrange engouement de crimes, la ca

lomnie seule peut conclure que nous aimons, pour elles-mêmes, la dictature populaire qui fut alors le seul gouvernement possible; l'anarchie qui se substitua aux forces sociales régulières, mortes d'atonie; et la violence, unique moyen d'action de cette conflagration unique dans l'histoire. Nous le déclarons hautement, ce sont là choses mauvaises et très-mauvaises. Seulement nous ne croyons pas avoir le droit de flétrir nos aînés comme des criminels, pour avoir préféré ces fléaux à un fléau plus abominable encore à l'invasion étrangère, démembrant nos provinces et refoulant la France loin en arrière des progrès accomplis! C'est là un choix qu'on peut avouer, et quand il a été suivi du triomphe de la révolution et de la délivrance du territoire, c'est là un choix, pourquoi ne le dirions-nous pas, qu'on peut admirer!

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Voilà, sans doute, des explications surabondantes sur les prétendues doctrines de 93 et sur le prétendu enthousiasme exclusif que la terreur inspire aux démocrates. En pareille matière, on ne peut craindre que d'avoir raison jusqu'à la trivialité.

Il nous reste cependant à combattre un dernier mode d'accusation. La démocratie, dit-on, c'est la terreur même, et les patriotes modernes y tomberaient malgré eux comme ont fait leurs devanciers.

Il faut l'avouer, la réfutation de cette assertion présente une difficulté; c'est que nous y voyons seulement une assertion; ses auteurs, il est vrai, la répètent depuis quarante années, mais sans l'entourer de preuves, et par conséquent elle semble appeler plutôt une dénégation qu'un examen sérieux. Voulait-on, sous la dynastie déchue, améliorer la loi électorale, diminuer les impôts, libérer la presse, une nuée de courtisans de tribune ou de journaux faisaient aussitôt retentir sur tous les tons ces mots fantastiques de 95 et de terreur! La même jonglerie s'est reproduite depuis deux ans. Au reste, l'invention de toute cette prosopopée n'appartient pas plus aux carlistes qu'aux doctrinaires: un sénateur complaisant ne s'écriait-il pas, en 1807 ou 1808,

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