Imagens das páginas
PDF
ePub

lorsque nul n'avait en France la parole sans le bon plaisir de l'empereur : « Il faut fermer sans retour la place publique aux Gracques! » paroles dignes d'être conservées, avec leur date; paroles dans le moule desquelles tant de froides passions, tant de bonnes volontés banales, tant de dévouemens à tous les pouvoirs sont venus se jeter, et qui sont destinées sans doute à avoir encore plus d'une contre-épreuve.

Mais c'est ici qu'à défaut d'argumens, abondent les injures : la démocratie est impossible, parce que c'est une utopie. Elle est impossible encore parce qu'elle est professée par des hommes empreints de mauvaises passions; voilà le texte sur lequel chacun brode à sa manière. L'un soutient que les républicains sont une fraction de la société de Jésus ; d'autres qu'ils aiment par nature à verser du sang. Je ne sais quel député leur a même reproché, avec une naïveté assez singulière, d'être seuls capables de dévouement; ce qui est un grave tort dans une société vieillie! Puis tous s'accrochent au même cercle vicieux: 93 leur paraît un essai décisif qui constitue la démocratie chose détestable; et quand vous leur contestez que l'essai de la véritable démocratie ait été fait, ils vous répètent avec une assurance risible : La démocratie conduit à 93.

On n'attend pas, sans doute, que nous essayions une analyse suivie de ces graves non-sens, de ces puérilités répétées avec emphase. En quelque lieu élevé que de telles absurdités soient proférées, elles n'en restent pas moins des absurdités indignes de l'attention d'un homme qui se respecte. Le talent même voudrait en vain leur donner quelque valeur. Un magistrat, dont la verve approche de l'éloquence, et un professeur, dont la science est relevée par l'éclat d'une parole justement admirée, en ont fait la triste expérience. C'est que la calomnie porte en soi quelque chose de dégradant; c'est que des assertions accusatrices, dénuées de preuves, n'ont, dans aucune langue, d'autre nom que celui

de calomnie.

Nous sommes cependant conduit, par ces étranges imputaTOME LV. JUILLET 1832.

2

tions, à revenir sur la coupable avidité avec laquelle on s'est saisi du bonnet rouge du 5 juin pour préluder, par des accusations en masse, à des proscriptions qu'on n'a pas eu la force d'effectuer.

Et d'abord, quant au fait en lui-même, nous n'avons rien à en dire, parce que nous ne le connaissons pas. Beaucoup de personnes dignes de créance semblent même portées à l'imputer à la police. Mais la n'est pas une question que nous puissions con

troverser.

Ce qui est vrai, et ce que nous avouons sans peine, quoique la calomnie s'en soit emparée, c'est que plusieurs jeunes gens ont pris plaisir à réveiller récemment le souvenir des grandes journées de la révolution et à se parer de ses emblèmes. Ainsi l'on a vu des costumes républicains et des publications portant au frontispice les faisceaux, les branches de chêne et le bonnet qui composaient le blason révolutionnaire. Et de là on a conclu à la terreur, tant l'esprit de parti va vite, quand il s'agit de tirer des conséquences qui puissent le servir!

L'auteur de cet article connaît quelques-uns de ces prétendus terroristes, et il déclare qu'il les compte parmi les plus estimables citoyens. Il n'a vu, chez eux, aucune propension anarchique ni aucun goût déterminé pour les échafauds. La plupart, livrés par état à des travaux sérieux, prennent sur le tems de leurs loisirs et de leur sommeil de longues heures consacrées à l'étude consciencieuse des théories politiques et de leurs applications possibles. Presque tous puisent leur mission dans un ardent amour de l'humanité qui les fait gém r sur le sort de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, et chercher opiniâtrement dans les sciences économiques des moyens de l'améliorer. A la poésie, aux beaux-arts, qui font le charme de leur âge, beaucoup préfèrent, par devoir, les veilles laborieuses qui peuvent concourir au bien du peuple, et tous prendraient les armes si le sacrifice de leur personne devenait nécessaire au salut de la patrie. Tout individu qui connaît beaucoup de jeunes

gens a remarqué, comme nous, que tel est le caractère de ceux qui se livrent de bonne heure aux pensées politiques; jeunes gens dévoués et studieux, qu'on a en vain essayé de rendre ridicules, car le ridicule n'atteint pas les sentimens vrais, et qui certes valent bien ces fats de salons, tout occupés de plaisirs, dont l'aristocratie flatte le désœuvrement modèle mais qui ne sauraient devenir le type du jeune homme, à une époque où les dangers de toute nature qui entourent la société stimulent le zèle de tout ce qui porte un cœur de citoyen.

Oublient-ils donc qu'il furent jeunes, ou sont-ils nés avec l'égcïsme du vieillard usé, ceux qui lancent d'odieux reproches contre notre enthousiaste jeunesse? Ignorent-ils qu'à vingt ans les travaux les plus sérieux, les préoccupations les plus graves et les plus généreuses, se produisent avec une vivacité juvénile, gracieux apanage de l'adolescent? Nourrissent-ils l'odieuse prétention d'interdire à la jeunesse l'étude des intérêts généraux de l'humanité, ou espèrent-ils qu'elle accomplira cette étude avec le calme d'un autre âge, sans enthousiasme et sans passion! Ce sont cependant là les ressorts qui préparent les grands citoyens ; ce sont aussi les causes de l'ardeur avec laquelle nos jeunes gens se sont emparés des symboles révolutionnaires. On avait tant calomnié la révolution, que leurs cœurs ont dû battre avec une bien vive ardeur quand il l'ont entrevue, grande et belle, digne, au lieu de honteux regrets, d'être comptée au nombre des gloires de la France et du monde ! Il y a dix ans que ce travail s'est fait chez nous : hommes parvenus à la maturité de la vie, est-ce une raison pour l'avoir oublié, ou pour l'accueillir avec antipathie quand il se produit chez nos puinés. Nous étions bien un peu exaltés aussi lorsque M. Barthe, et tels autres personnages devenus comme lui bien graves, nous conduisaient au convoi du jeune Lallemant, sous les sabres des gendarmes, qui n'étaient il est vrai, aussi meurtriers que les épées des sergens de ville. Nous étions honnêtes et sages cependant, car à vingt ans

pas,

sagesse et probité sont contenus dans le dévouement enthousiaste.

Certes, notre amour pour les idées démocratiques, notre conviction de leur vérité et de leur utilité sont assez sérieuses pour que nous ne les attachions pas, avec une sorte de puérilité, à un emblème ou à un mot. Aussi blâmons-nous dans ce sens cette ardeur de jeunesse qui fait prendre le symbole pour. la chose, ou la forme pour le fond. C'est là un résultat fâcheux quoique nécessaire, d'un généreux principe. Il n'est pas un des jeunes hommes qui tombent dans cette erreur, capable de n'en pas voir en peu de tems le vide et le faux. Mais ils ont prêté le flanc à la calomnie, et les blessures qu'ils ont attirées à notre cause peuvent en retarder le triomphe, à leur grand déplaisir comme au nôtre. Il sentiront bientôt comme nous que l'admiration historique d'une époque passée ne peut pas, avec raison, aller jusqu'à prendre parti au milieu des dissentions de générations qui n'existent plus. Ils sentiront que nous ne pouvons pas plus aujourd'hui être du parti de la Montagne que du parti de Brutus ou de Pompée. Ils sentiront que, pour ne prendre qu'un exemple, le bonnet rouge, autrefois emblème de liberté, n'avait de valeur que par l'idée qu'y attachaient nos pères; tandis que, si la génération actuelle, à tort sans doute, y voit un symbole de sang et de pillage, il serait insensé de l'arborer quand, comme eux, on ne veut ni pillage ni sang. Ils le sentiront, car ils deviendront homme mûrs, et la vivacité extérieure de leur enthousiasme ne s'éteindra que trop tôt. Mais, si ces fautes légères donnent beau jeu à nos ennemis, elles ne font, pour l'homme sincère, que relever la généreuse candeur de ceux qui les commettent. Il ferait beau voir un de nos terroristes, comme disent les doctrinaires, discuter les constitutions et les lois de la révolution avec un modéré de nos assemblées législatives. Le prétendu anarchiste, éclairé par l'étude des faits de quarante années, donnerait sur tous les points des leçons d'ordre et de respect des droits à l'homme gouvernemental du

[ocr errors]

passé. C'est qu'on songe aujourd'hui plus à constituer qu'à détruire; c'est que nos jeunes gens ont tous, à côté de leur charte des droits, un livre des devoirs, qui leur paraît non moins obligatoire et non moins nécessaire.

Après avoir fait justice d'injures banales, nous ne savons, il faut l'avouer, comment aborder en elle-même la question que nous avons posée. Que répondre en effet aux écrivains qui déclarent la démocratie mauvaise en soi, sans avoir d'autre motif à donner que leur assertion mème. Probablement ceux qui appellent de leurs vœux la démocratie pensent autrement! C'est là une discussion de théories devant laquelle nous ne reculons pas ; mais 95 n'y fait rien. A ceux qui crient sans cesse : l'expérience républicaine a éte malheureuse, nous ne nous lasserons pas de répéter: il n'y a pas eu d'expérience républicaine parmi nous; mais seulement une lutte révolutionnaire. Que cette expérience doive se faire un jour, c'est ce que croient fermement les démocrates, parce qu'ils n'ont jamais vu l'humanité retourner en arrière, et qu'ils ne regardent pas comme possible la résurrection des priviléges détruits. Cette confiance même les rend peu accessibles aux déclamations qui nous montrent la terreur à nos portes. Ils savent que nous n'avons pas à craindre le renouvellement de violences déplorables, parce que nous n'avons plus à combattre les ennemis dont l'opiniâtre résistance a suscité tant de inalheurs. Les fermes soutiens du passé sont en très-petit nombre aujourd'hui; nous n'en avons pas vu en juillet 1830; nous n'en trouverions pas demain si la révolution, dégagée des langes doctrinaires, reprenait sa marche triomphale, si admirablement commencée et si soudainement interrompue. D'ailleurs on sait mieux où l'on va après quarante ans de guerre qu'au premier coup de fusil. Beaucoup de choses nous inspirent tout au plus du mépris, qui excitaient à bon droit l'indignation de nos pères. La destruction des titres, par exemple, a été alors un grave événement; qui de nous, en 1832, voudrait au contraire se donner la peine d'effacer l'article de la charte qui les rétablit ?

« AnteriorContinuar »