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dent, envoyait des reflets pareils à ceux d'un incendie, et au-dessus du pont, chargé de monde, s'élevait un arc-en-ciel, qui, d'un côté, se plongeait dans les eaux de la rivière, et de l'autre disparaissait derrière un amas de maisons, formant au-dessus de la foule une arche de feu puis toutes les passions populaires en émoi, avec un autre accent, une autre physionomie que celle que je leur connaissais. Pour moi, chaque site, chaque aspect de Nantes et de ses environs a un caractère particulier qui tient aux circonstances, et probablement aussi à la situation d'esprit dans laquelle j'étais alors. A peine sais-je le nom de telle place, de tel quai, que je pourrais dessiner de mémoire. Mes souvenirs sont autant de sensations. Avec M. Guépin, il me faut sortir de cette atmosphère vague et flottante, pour aborder ce qu'il y a de plus réel et de plus positif, et la transition m'a paru d'abord un peu brusque et un peu difficile; mais, une fois à l'unisson avec l'auteur, j'ai trouvé dans son récit de nombreux motifs d'intérêt. S'il a trop sacrifié le pittoresque et la poésie, en récompense il a des faits une connaissance profonde et pour ainsi dire expérimentale. Il n'avance rien qu'il ne prouve par des documens. Ce sont des bulletins annuaires de la vie de la cité, pleins de talent et de précision, des résumés où mouvemens, obstacles et progrès se viennent formuler en chiffres à l'œil et à la pensée. L'ouvrage, cependant, n'est pas purement statistique; les tableaux n'arrivent que de loin en loin et à propos, alors qu'il importe de constater le doit et avoir de la ville. La portion historique et politique est de beaucoup la plus remarquable. Après avoir signalé les diverses conjectures qui se rattachent au nom et à l'origine de Nantes, M. Guépin a montré la féodalité remplaçant la domination romaine, le clergé servant la cause de l'affranchissement et du progrès, enfin les diverses phases commerciales, révolutionnaires, industrielles que le peuple nantais a subies. Les crises qui se succédèrent à Nantes, depuis 1789 jusqu'au consulat, et qu'expliquaient les menées de la noblesse et le voisinage de la Vendée, sont racontées de la façon la plus impartiale, avec une sympathie complète pour les principes, et une horreur sincère du crime commis en leur nom. Je reprocherai à M. Guépin de n'avoir pas caractérisé aussi franchement l'époque de l'empire. L'histoire des quarante dernières années n'est pas tout entière dans la révolution de 89 et dans la restauration. Il y a entre ces deux grandes secousses une halte natio

nale, non faite dans la boue, mais sur des champs de bataille ensanglantés, alors que le colossal génie de Napoléon fit de la France une vaste machine à conquêtes, et de son peuple une gent corvéable et taillable à merci par le sabre. Je tiens que cette époque fut une des plus funestes à l'esprit public, que les ames y furent annulées, appauvries, que l'individualisme s'alla perdre dans l'immense personnalité d'un seul, que la marche de la France entière fut arrêtée en commerce, en industrie, en agriculture. Pourquoi donc ne pas le dire hautement? M. Guépin convient, il est vrai, que tout était alors frappé de nullité, mais il n'insiste pas assez sur les causes et les effets de cette inertie. La première et la seconde restauration viennent ensuite, et je regrette de ne pouvoir citer tous les passages qui m'ont frappée. « Il n'est pas inutile de remar» quer qu'à cette époque de proscription dans l'Ouest et de massacres » dans le Midi (1815), c'étaient les doctrinaires qui gouvernaient la » France. MM. Talleyrand, Barbé-Marbois, Pasquier, Decazes, Bec» quey, Royer-Collard, Bertin-Devaux, Guizot, Louis, Laisné, Beu» gnot et leurs amis occupaient le conseil d'état, les ministères et toutes » les avenues du pouvoir... Des proscriptions et des persécutions naquit » le carbonarisme; il s'étendit rapidement sur toute la France, comme un >> vaste réseau; mais jamais institution ne fut plus divisée de but et d'in»tention. Le journalisme lui soufflait la vie....» L'esprit de l'opposition de la presse, tantôt brutal, étroit et sottisier, tantôt digne et fort, n'est pas moins bien caractérisé. Les sympathies de l'auteur sont évidemment libérales; mais, place entre le mécontentement qui agite les esprits, et les faits matériels de la prospérité industrielle et commerciale qu'il s'est engagé à constater, et qui prend à cette époque un immense accroissement, il oublie de signaler le caractère moral de ce tems, si diversement jugé. Au premier coup d'œil, il semble difficile en effet de concilier des murmures toujours croissans avec le développement de richesse et de bien-être qui s'étend sur toutes les classes. Mais si on regarde plus attentivement, et par-delà la surface, on découvre sans peine les causes de l'ouragan qui, après avoir long-tems grondé, a dès son essor déraciné un trône. C'est que l'homme ne vit pas seulement de pain, c'est qu'il y a en nous une haute intelligence morale, un besoin de dignité, une faim de l'ame qui crie encore quand la faim du corps est apaisée. C'est qu'il y avait dans le prolétaire un admirable instinct de

destinées meilleures et plus complètes, et que pour être repu il ne se sen tait pas heureux. Les progrès des sciences, la marche de la nation qui avançait en géant et comme un seul homme, étaient les résultats de cet instinct. Le peuple avait grandi, il lui fallait sa place; on ne la lui faisait pas, il se leva pour la prendre, et en juillet il crut l'avoir conquise. A Nantes, de même qu'à Paris, il y cut unanimité, explosion, désintéressement, et là aussi la révolution s'accomplit par le peuple. J'aurais voulu plus de détails sur les hommes qui présidèrent au mouvement, une fois engagé; sur un artisan, que son courage et sa présence d'esprit firent chef et maître de la ville pendant vingt-quatre heures et plus. Je sais qu'à mesure qu'elle s'éloigne de nous, cette grande crise sociale perd de son caractère d'héroïsme, et qu'on ne veut plus voir que le peuple des émeutes dans celui qui fit les barricades de 1830. C'est qu'il aurait fallu soutenir les masses au point d'intelligence et de moralité qu'elles avaient atteint d'un seul bond; il fallait que le peuple régénéré ne pût plus redescendre, qu'il se prit lui-même en respect, qu'il trouvât partout les voies de l'instruction et du savoir larges et faciles, qu'il jouît de l'estime qu'il avait chèrement achetée, et que chacun, classé comme citoyen et comme homme, s'enorgueillit de faire partie d'une nation qui avait conquis ses titres de noblesse à la pointe de l'épée et en horreur du parjure. Le tems de cette réhabilitation viendra sans nul doute, mais à quel prix et de quelles catastrophes n'auront pas à répondre ceux qui n'ont pas compris cet instinct puissant, ou qui, s'en effrayant, ont voulu l'étouffer?

Un résumé de ce qui reste à faire pour l'entier accomplissement de la révolution de juillet termine l'utile et important ouvrage de M. Guépin, et nous nous joignons de cœur aux vœux qu'il forme dans l'intérêt public:

« Gouvrir notre patrie d'écoles de toute espèce; remplacer les rece>> veurs généraux par des banques d'escompte et de commandite desti» nées à faire baisser, au profit du petit commerce et de la petite industrie, le taux de l'escompte, c'est-à-dire le loyer des instrumens » de travail, et à créditer les ouvriers laborieux, économes et éclairés; employer l'armée à des travaux d'utilité générale en faisant en sorte » que chaque soldat revienne chez lui plus moral, plus robuste, sachant » lire, écrire, compter, capable d'exercer une profession et possédant

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» un petit pécule; proclamer hautement qu'au lieu de punir il faut ré» former, et par suite supprimer la peine de mort et changer le sys>> tème pénitentiaire; changer la loi des céréales, qui prélève un énorme » impôt sur la France, dans l'intérêt de soixante-quatre mille grands propriétaires; réformer le système hypothécaire, etc., etc............. »

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C'est demander beaucoup, il est vrai, mais ce sont autant de faits dont l'accomplissement ressort de la force des choses. Comment et par qui s'exécuteront-ils ? là gît la question. J'ai foi au tems, et voudrais en attendre et en espérer tout progrès et toute amélioration, ne fût-ce que pour recouvrer un peu des illusions sous l'influence desquelles j'ai commencé cet article.

L. Sw. B.

86. HISTOIRE GÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE DES ANOMALIES DE L'ORGANISATION CHEZ L'HOMME ET LES ANIMAUX, ouvrage comprenant des recherches sur les caractères, la classification, l'influence physiologique et pathologique, les rapports généraux, les lois et les causes des MONSTRUOSITÉS, des variétés et vices de conformation, ou TRAITÉ DE TÉRATOLOGIE, par M. ISIDORe GeoffroySAINT-HILAIRE, docteur en médecine, professeur de zoologie et d'anatomie générale à l'Athénée royal de Paris, aide-naturaliste de zoologie au Muséum d'histoire naturelle, membre de la Société d'histoire naturelle de Paris, etc., etc. Tome Ier. Paris, 1832; Baillière, rue de l'École-de-Médecine, n° 13 bis. In-8° de xv-746

pages, avec un atlas.

I. La constance des lois naturelles est le principe et la base de toute science physique. Si les hommes n'eussent aperçu aucune régularité dans la manifestation et la succession des phénomènes naturels, jamais ils n'auraient songé à les étudier, et ils n'auraient pu faire un pas dans la carrière de leur perfectionnement. Imaginons, par exemple, que, pour notre monde, les saisons viennent à se succéder dans un ordre sans cesse interverti, et que le soleil paraisse et disparaisse capricieusement; dès lors nulle astronomie, nulle agriculture, nulle connaissance stable. Notre expérience d'hier est aujourd'hui inutile, trompeuse; notre vie même n'a plus d'élémens de durée; car infailliblement il doit arriver l'une de ces deux choses ou notre organisation est

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subitement modifiée, et nous tombons sous l'empire d'instincts nouveaux, ce qui revient presque à perdre le sentiment de notre identité, à n'êtres plus nous-mêmes; ou bien notre organisation n'est en rien changée, et alors, comme elle n'est plus en harmonie avec ce qui l'environne et la subjugue, elle se détruit, et nous périssons victimes d'un désordre pour lequel nous n'avons point été faits.

Sans la régularité des lois naturelles, nous ne concevons ni transactions, ni société, ni bonheur. C'est sur elle, pour nous borner aux recherches scientifiques, que, dans l'état actuel des choses, repose la prédominance de certitude des sciences physiques sur les sciences historiques. Dans les premières, les mêmes phénomènes se reproduisent avec le même ordre, et les assertions peuvent se vérifier toujours par l'expérience. Dans les sciences historiques, les mêmes agens, les mêmes circonstances, les mêmes faits, ne se représentent jamais. Le témoignage. est variable et trompeur : la nature est constante et véridique.

Tout dans la science et dans la société étant fondé sur la foi en la régularité de la nature, il est aisé de comprendre l'impression profonde qu'ont faite de tout tems sur les hommes l'irrégularité et les désordres apparens qui signalent quelquefois sa marche. Pendant de nombreux siècles, les éclipses, les comètes, les volcans, les tempêtes, la foudre, ont été en possession d'effrayer les peuples, et de leur faire croire à la colère de l'Etre créateur, ou à la rage d'un principe malfaisant. Des philosophes mêmes, que la culture de leur intelligence eût dû rendre plus attentifs à l'essence de ces phénomènes, en ont conclu à une sorte d'athéisme, à une domination du hasard, par lequel ils expliquent tout, comme si le hasard pouvait rien expliquer, et comme si l'on savait ce que c'est que le hasard.

C'est dans ces questions si compliquées et si hautes, qui touchent aux principes de la destinée de l'univers et de l'homme, c'est dans ces questions que la vraie science peut et doit remplir un beau rôle. C'est à elle de soulever le voile qui couvre la nature, de trouver l'ordre sous ses désordres apparens; à elle de chasser avec les préjugés, toujours funestes à l'homme, leur hideux cortége de terreurs et de cruautés; à elle de montrer les choses sous leur vrai point de vue, et de faire jaillir, du milieu de tant de variétés, l'harmonie et l'unité. Déjà ses efforts ont écarté bien des épouvantails. L'homme civilisé a senti ce que son inTOME LV. AOUT 1852.

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