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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

LIVRES ÉTRANGERS.

ÉTATS-UNIS.

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96. THE LIFE OF GOUVERNEUR MORRIS. Vie de Gouverneur Morris, avec un choix de sa correspondance et de ses divers écrits, relatifs à la révolution américaine, à la révolution française, et à l'histoire politique des États-Unis, par JARED SPARKS. 3 vol. in-8°. Boston; publié par Gray et Bowen; 1832.

GOUVERNEUR MORRIS est une de ces illustrations politiques, une de ces ames pures, énergiques, infatigables, dont les patriotiques efforts ont conquis et assuré l'indépendance de l'Amérique du Nord. Sa vie a été pleine et diverse, comme celle de tous les hommes forts qui arrivent sur la scène du monde politique dans une époque mûre pour de grandes choses; et ses écrits sont variés, décousus comme les momens de sa vie, dont ils sont pour ainsi dire la trace solide. Ce n'est point un écrivain de profession, ni même un homme qui songe à laisser en passant une œuvre littéraire : comme ses compatriotes et contemporains Washington, Franklin, etc., Morris, toujours rappelé dans le domaine d'une vie réelle et agitée, n'a pu laisser aucun ouvrage de longue haleine. C'est tout simplement un ministre d'état qui fait des lettres officielles; un

observateur qui consigne des faits et des anecdotes dans un Mémorial pour soulager son esprit, et qui correspond avec des amis sur les événemens du jour. Mais aussi il y a là pour les historiens des deux mondes, une chronique inépuisable, une foule de réflexions neuves ou prophétiques, à consulter et à méditer. L'intérêt tout particulier de ces documens ne surprendra point lorsqu'on saura que Morris, comme Lafayette, vit s'accomplir les deux révolutions qui, sur chacun des hémisphères, sont les plus pleines d'avenir dans les temps modernes ; qu'après avoir été acteur influent dans celle qui délivra sa patrie, il fut spectateur demi-actif de la nôtre, en qualité de ministre des États-Unis auprès de la cour de France, et que, présent à l'ouverture des étatsgénéraux, il entendit aussi le roulement de tambours de Santerre, et ne quitta la France qu'en 1794.

C'est donc surtout à titre de témoin oculaire et compétent de notre révolution que Morris mérite l'attention des historiens et des publicistes français. Sans doute la révolution française est suffisamment jugée dans ses grands résultats philosophiques et dans ses conséquences politiques les plus éloignées; mais sous le rapport de la morale individuelle contemporaine et des détails dramatiques, il était permis de désirer la contradiction ou la sanction éclairée et plus calme d'une voix extérieure. Il était bon et curieux qu'un étranger, un des pères de l'indépendance américaine vînt raconter les faits à sa manière, opposer, le contraste de son point de vue, de ses mœurs, voire même de ses préjugés, à tant d'appréciations sorties de deux moules uniformes d'idées, de passions et d'intérêts ennemis.

Mais avant de faire connaître par des citations les écrits et les jugemens de Morris sur la France révolutionnaire, nous devons donner pour ainsi dire l'itinéraire de son existence politique, et nous attacher à montrer quelles passions dominaient en lui, dans quel milieu il vivait ou aimait à vivre, enfin les motifs qui ont dû modifier particulièrement ses opinions et inspirer ses actes.

Gouverneur Morris naquit près de New-York, en 1752, dans une terre de sa famille, nommée Morrisania. Il se livra de bonne heure à l'étude des lois, et, à peine âgé de vingt ans, il fut reçu procureur public. Actif, laborieux, ambitieux, et doué d'une élocution agréable, déjà à cet âge il avait la réputation d'homme éloquent, expérimenté et

supérieur. Sa famille jouissait depuis un siècle d'une grande influence dans ce comté, et avait produit des hommes remarquables par leur sagacité, leur talent de discussion et leur puissance de dialectique ; à ces qualités héréditaires, Morris joignait plus d'esprit, plus d'éloquence, et une plus grande mobilité de caractère. Il eut toute sa vie un penchant prononcé pour les mathématiques, et ses connaissances dans leurs branches d'application lui furent grandement utiles pour ses opérations financières et commerciales; car, bien que, comme nous le verrons, Morris ait rempli une longue mission diplomatique, et ait long-tems respiré l'atmosphère des cours de la vieille Europe, il n'en fut pas moins toute sa vie un homme d'affaires, dans le sens le plus vulgaire. C'est au commerce et au ménagement éclairé et industrieux de sa terre qu'il dut une assez brillante fortune.

Tandis que Morris ne songeait qu'à se distinguer dans la carrière de la magistrature civile qui lui était ouverte, un grand événement se préparait. Le moment solennel de la séparation définitive de la mère-patrie approchait Morris fut appelé, par l'élection populaire, au premier congrès provincial de New-York, en 1775, et continua d'y siéger dans les diverses transformations que ce corps dut subir sous les noms de congrès, de convention, et de comité de sûreté.

Bientôt, en janvier 1778, il fut envoyé au congrès continental, et, le jour même de la vérification de ses pouvoirs, il fut nommé membre d'un comité important. Il n'avait pas vingt-six ans lorsque le congrès l'honora de cette grande marque d'estime. Pendant la guerre de l'indépendance, Morris prit la plus grande part aux pourparlers qu'entraînaient les propositions des généraux anglais; il assista à toutes les transactions, et quand vint la paix, c'est lui qui fut chargé d'en rédiger le traité. C'est lui aussi qui élabora la forme de la constitution de l'état de New-York : c'est encore lui qui prépara les instructions de Franklin, lorsqu'il vint en France dans le but d'obtenir de notre gouvernement des secours financiers nécessaires au triomphe de l'indépendance. Enfin c'est lui qui plus tard, en 1787, rédigea la constitution américaine, qui passe pour un modèle de clarté et de précision.

Après avoir été réélu deux fois, et avoir passé deux ans au congrès, au milieu de travaux sans relâche, Morris n'obtint plus le suffrage de

ses commettans. L'un des motifs principaux de cet abandon paraît avoir été le désir qu'on lui supposait avec raison d'obtenir une mission étrangère. On lui faisait aussi un crime de passer généralement pour aimer la société et le relâchement, la gaieté et les plaisirs. Il devint alors simple citoyen de Pensylvanie, et s'établit avocat à Philadelphie, en 1780. Mais sa place n'était point là; en 1781, il fut nommé surintendant des finances: il venait précisément d'écrire, sur les finances et sur le système monétaire des États-Unis, des brochures qui avaient fait grande sensation. L'un de ses premiers actes fut alors de proposer le plan de la banque de l'Amérique du Nord, banque qui fut instituée par le congrès, et qui contribua beaucoup à élever le crédit public et privé : Morris remplit cet office pendant trois ans et demi, au grand avantage du pays.

En 1787, c'est-à-dire sept ans après avoir quitté le congrès, il fut délégué par l'État de Pensylvanie pour siéger à la Convention chargée de donner une constitution aux États-Unis.

Pendant cette première période de sa vie politique, Morris est partout et aide à tout : il est dans les traités, dans les camps, dans les débats parlementaires et dans la haute administration; ami des premiers chefs civil et militaires de ce nouveau peuple, il correspond avec tous les grands acteurs de la guerre d'indépendance. On comprendra donc combien ceux de ses écrits qui se rapportent à cette partie de sa carrière sont des sources authentiques, et peuvent faire autorité pour l'histoire.

Depuis long-tems Morris nourrissait le désir de voyager en Europe. Il partit entin pour la France, où l'appelait d'ailleurs une affaire commerciale en litige, au succès de laquelle étaient attachés sérieusement des intérêts dont il était solidaire. Morris se proposait aussi de visiter la Hollande et l'Angleterre. Washington lui donna des lettres d'introduction pour chacun de ces pays, et Morris arriva à Paris, le 3 février 1789. On y préludait à la révolution. C'est alors qu'il commença à consigner dans un journal courant les événemens politiques dont il était témoin et les impressions qu'il en recevait. Ce journal remplit une grande partie de l'ouvrage que nous annonçons. Il ne pouvait manquer d'être intéressant : l'auteur puisait aux plus hautes, sinon aux meilleures sources; et s'il n'interprète pas aussi souvent bien les faits qu'a droit

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de l'exiger une saine et haute philosophie de l'histoire, du moins les connaissait-il et les racontait-il toujours dans leurs véritables circonstances. Admis et recherché dans les cercles de la noblesse et de la cour, et souvent cité par eux comme un oracle, Morris dut, comme nous le verrons bientôt, empreindre chaque chose de la teinte aristocratique. En janvier 1790 Morris, ayant reçu des pouvoirs exprès de Washington, fit un voyage à Londres dans le dessein d'amener un traité de commerce entre les États-Unis et l'ancienne métropole. Il vint six mois après à Paris, où la révolution poussait toujours en avant. « Ses tendances. aristocratiques à l'égard de la cour de France, dit son biographe, n'avaient point diminué pendant son absence. » Morris fit de nouveau deux voyages très-courts à Londres en 1791 et 1792. Jusque-là toutefois, il n'avait eu encore aucun caractère politique auprès du gouvernement français ; mais tandis qu'il était encore à Londres, le sénat, à la majorité de cinq voix seulement, le nomma, le 12 janvier 1792, ministre plénipotentiaire des État-Unis auprès de la France. Au retour de Morris à Paris, le bruit courut dans les cercles politiques que le cabinet français refuserait de le reconnaître en cette qualité, à cause de ses relations et de ses antécédens aristocratiques. Brissot, dans son journal, venait d'insinuer que Morris était allé à Londres de la part de la cour pour contrarier la mission que l'évêque d'Autun (Talleyrand ) y remplissait alors au nom ou dans l'esprit de l'assemblée constituante. Néanmoins, Morris fut présenté au roi le 2 juin 1792. Depuis cette époque, jusqu'au mois d'août 1794, il resta à Paris en cette qualité : il fut alors remplacé par M. Monroe, sur la demande et par représaille du gouvernement français contre celui des États-Unis, qui avait demandé le rappel du ministre de France auprès du président américain. Remarquons ici que Morris, avant et surtout après la mort de Louis XVI, ne fut jamais bien vu des ministres patriotes et des hommes nouveaux : ce qui ne l'empêcha point, seul entre tous les ambassadeurs étrangers, de rester à son poste pendant la terreur. Morris cependant fut plus d'une fois en danger, et un jour même il fut arrêté comme n'étant pas muni d'une carte de citoyen. Les autorités municipales, contre le droit des gens, violaient sa demeure par des visites domiciliaires et des perquisitions révolutionnaires. Cependant il traversa heureusement cette époque si difficile, et sut ménager aux deux pays les avantages de la paix.

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